EPIC : chronique d’une mort annoncée

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Par Hugues Moutouh Modifié le 6 octobre 2012 à 7h44

En rejetant, jeudi 20 septembre 2012, un recours en annulation de la France contre une décision de la Commission européenne concernant l’ancien statut de La Poste, le Tribunal de l’Union européenne a porté un nouveau coup à la notion d’établissement public industriel et commercial.

L’avenir même de ce type d’institution s’avère désormais compromis. Le sujet n’est pas nouveau et cristallise toutes les attentions depuis quelques années. Le coeur du problème tient au régime juridique exorbitant du droit commun dont jouissent tous les établissements publics, en leur qualité de gestionnaires du service public.

Cette exorbitance s’illustre de différentes manières : insaisissabilité de leurs biens, impossibilité d’utiliser à leur encontre les voies d’exécution du droit privé, etc. Le 20 septembre dernier, les juges européens ont donc décidé d’y ajouter officiellement l’existence d’une garantie implicite de l’Etat, dans la mesure où les établissements publics ne sont pas soumis au régime de la faillite ou de l’insolvabilité. Entre autres choses, et non sans malice, ils s’appuient sur une note du Conseil d’Etat rédigée en 1995 dans le cadre de l’affaire dite "du Crédit Lyonnais", pour démontrer que le droit français n’excluait pas que l’Etat pût se porter garant des EPIC à l’égard des engagements qu’ils avaient souscrits à l’égard des tiers.

Ce faisant, ils balayent deux des arguments que la France érigeait en rempart : un arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat de 1938, et certaines dispositions de la Loi organique relative aux lois de finances. Mais ce que visent particulièrement les juges, à l’instar des autres institutions européennes, ce sont bien les avantages dont semblent bénéficier les établissements publics industriels et commerciaux français par rapport aux entreprises privées du même secteur.

Ils ont considéré en effet, en se fondant sur la théorie de "l’investisseur privé en économie de marché", qu’avec leur statut excluant faillite ou insolvabilité, les EPIC bénéficiaient de conditions de crédit plus favorables, assimilables à une aide d’Etat sous forme de garantie, incompatible avec le marché intérieur. En dépit de la crise financière qui secoue aujourd’hui les États, les institutions européennes pensent que les prêteurs se montrent plus rassurés par le statut particulier d’un EPIC et les garanties qu’offrent, en dernier recours, son rattachement à l’Etat. Un tel raisonnement est contestable.

En effet, il est loin d’être évident que le système de garantie de l’Etat puisse se résumer à la seule nature juridique du gestionnaire du service public. Il est probable qu’il tienne plutôt à la nécessité d’assurer le bon fonctionnement et surtout la continuité de ce service. L’Etat pourrait très bien aider un gestionnaire de service public défaillant, quelle que soit son apparence, y compris en se substituant à lui si cela est indispensable.

Ainsi, à moins que l’Union européenne ne s’attaque à l’existence du secteur public, en son entier, et à la notion du service public qui en est le fondement, la réponse apportée par les juges n’est pas vraiment satisfaisante. Seule certitude, le principe de neutralité posé par l’article 345 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne - "les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les Etats membres" - ne concerne manifestement pas la question du statut juridique des opérateurs du secteur public. Espérons qu’il continuera, à l’avenir, à préserver l’existence de ce secteur.



En tout état de cause, si on prenait la peine de les interroger, les prêteurs et les agences de notation affirmeraient certainement que leurs décisions se fondent moins sur la forme juridique que sur le caractère de l’activité d’un prestataire et la valeur de ses actifs. C’est sur ces deux critères que repose en effet la compétitivité structurelle d’un établissement. L’analyse historique de la notation des EPIC le démontre : ils n’ont pas toujours réussi à se stabiliser au niveau du triple A, et les fluctuations de leur notation ont été intimement liées à l’ouverture de leurs marchés à la concurrence ainsi qu’à leur situation financière propres.

Quelles peuvent être concrètement les conséquences de ce jugement du tribunal de l’Union européenne ? À la fois très importantes, mais pas révolutionnaires. Avant tout, précisons que la France peut encore faire appel devant la Cour de justice de l’Union européenne, même si les chances de voir infirmer la décision de première instance paraissent maigres. À moyen terme, c’est l’existence même de la catégorie d’EPIC qui semble menacée, au travers de ses représentants les plus symboliques, SNCF, RATP, RFF, entre autres.

Car si la décision n’emporte à ce stade aucune conséquence sur le régime de ces établissements, elle ouvre la voie à des contestations possibles de la part d’acteurs économiques qui s’estimeraient lésés, ainsi qu’à des enquêtes de la Commission. Il semble probable que cette dernière, maintenant confortée par les juges européens, reprendra de façon plus formelle et approfondie la procédure visant la SNCF, initiée en février 2010, puis suspendue dans l’attente de ce jugement.

Rappelons que la Commission avait déjà exposé ses fortes préoccupations en la matière, dans ses lignes directrices sur les aides aux entreprises ferroviaires en juillet 2008, dans lesquelles elle demandait aux États membres - la France et le Portugal étant particulièrement visés - de mettre fin sous deux ans aux garanties illimitées dont elles bénéficiaient.

La perspective de transformation statutaire des EPIC, si jamais elle devait s’imposer, n’aurait rien de révolutionnaire. Tout d’abord, cette disparition ne toucherait qu’au contenant, à savoir la personne morale personnifiant la mission de service public, et pas au contenu, c’est-à-dire l’activité de service public proprement dite. L’idée à l’origine de la création de ce type d’établissement public - imaginer une solution de compromis entre l’étatisation et le caractère purement privé de l’activité en cause - demeurerait.



C’est juste le point d’équilibre de ce compromis qui se trouverait modifié. Ensuite, force est de constater que le processus de transformation des EPIC en société est une constante depuis quelques années, au point que l’on se demande s’il ne répond pas à une impérieuse loi de l’évolution. Depuis plus de 20 ans, ce sont ainsi France Telecom, EDF, GDF, ADP et La Poste qui se sont transformés en sociétés de capitaux. L’argument expliquant cette évolution est bien connu à force d’avoir été répété : ces établissements paraissent de nos jours atteints d’une malformation congénitale - leur caractère trop public -, qui les rendrait inadaptés au secteur d’activité dans lequel ils évoluent, soit parce qu’ils sont gênés par les pesanteurs administratives, soit parce qu’ils tirent de leur rattachement à l’Etat des avantages économiques vis-à-vis de leur concurrents.

Concrètement, cette transformation qui guette nos grands EPIC se traduira par une série d’opérations parfaitement identifiée mais toujours délicates sur le plan politique et social. L’ impact du passage au statut de société commerciale sera faible concernant le régime des actes, déjà largement soumis au droit privé pour les services publics industriels et commerciaux. Seule différence notable : l’impossibilité de conclure des contrats administratifs.

Pour le reste, la nouvelle personne privée pourra continuer, pour l’organisation du service, d’édicter des actes réglementaires. De la même façon, le régime des personnels n’emportera que peu de changements, hormis pour les rares EPIC employant des fonctionnaires en position d’activité, ce qui était le cas de France Telecom et de La Poste. L’abandon de la personnalité morale de droit public se traduira, en revanche, par la perte de régimes protecteurs des biens affectés au service public, comme celui de la domanialité publique.

Mais la portée de ce changement doit être relativisée, d’abord parce que le domaine public des EPIC a eu tendance à se réduire progressivement au profit de leur domaine privé, ensuite parce qu’en substitution à la domanialité publique, un régime spécifique de protection des biens indispensables à la bonne exécution du service public existe, limitant l’exercice par la société commerciale de son droit de propriété.

Le législateur, à certaines occasions, a su prévoir un éventail de mesures de protection des biens, allant de l’instauration d’un droit de veto de l’Etat à la cession d’éléments d’infrastructures essentielles (France Telecom), à l’instauration, quand cela était nécessaire, d’un quasi régime de domanialité publique (ADP). Nul doute qu’une telle initiative serait prise dans le cas, par exemple, de la transformation de RFF en société.

En fin de compte, l’expérience montre que les vraies difficultés dans ces opérations de transformation d’EPIC sont d’ordre politique et social. Les pouvoirs publics auront à démontrer, notamment aux organisations syndicales et aux parlementaires, que la nécessité d’accomplir les missions de service public concernées n’est pas incompatible avec le statut d’une société soumise à la concurrence ; que cette transformation ne conduit pas forcément à la privatisation ; qu’elle n’aura pas de conséquences sur les usagers ; que le contrôle moins direct de l’Etat ne conduira pas à des abus tarifaires ; et que la possible fin de la garantie publique ne sera pas une source de difficulté insurmontable pour la nouvelle société à assumer ses dettes. Tout cela ressemble à un pari risqué en ces temps de crise.

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Hugues Moutouh a occupé depuis 2007 les fonctions de directeur du cabinet du ministre des sports, de conseiller pour les affaires juridiques et institutionnelles à la présidence de la république, puis celles de conseiller spécial auprès du ministre de l’intérieur. Hugues Moutouh a débuté sa carrière en tant que professeur agrégé de droit public et se verra nommé préfet en 2009, pour devenir ainsi le plus jeune préfet de France. Hugues Moutouh a rejoint le Cabinet August & Debouzy en 2012, en qualité d’Associé au sein du département droit public et réglementaire. 

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