Vive l’héritage! C’est ainsi qu’on peut résumer (en forçant le trait, je le concède) la méticuleuse torsion de la pensée par laquelle le « think tank » du Premier Ministre France-Stratégie (c’est ce qu’est devenu le fameux Commissariat au Plan déclassé en 2013 par François Hollande et son excellent Jean-Marc Ayrault) a transformé sa question de base « peut-on éviter une société d’héritiers? » (tout à fait pertinente) en un éloge de l’héritage tous azimuts.
L’héritage et la vraie question de l’égalité des chances
L’étude commençait pourtant bien: elle se proposait de « promouvoir l’égalité des chances et l’accès des jeunes générations au patrimoine ». Là, on se dit « chouette! ». Les services du Premier Ministre ont compris que le petits gars de banlieue qui devient artisan à son compte après son CAP de menuisier n’a aucune chance « d’accéder au patrimoine » parce que, quand il réalise 100.000 euros d’excédent brut d’exploitation, il lui reste péniblement 25.000 euros de revenus nets. Entretemps, la protection sociale et les multiples impôts inventés par le génie administratif français l’ont plumé.
On sait tous que cette spoliation des entrepreneurs par la « mutualisation », la « solidarité » et autres faux nez de la désincitation à s’enrichir par le travail qui gangrène la France est aujourd’hui la principale source du blocage social. Quand tu nais pauvre ou sans rien, la technostructure, au nom d’un bla-bla factice, a mis en place une mécanique bien rodée pour te maintenir dans cet état.
L’héritage et la France d’en-haut
Disons-le clairement: le « coin socio-fiscal, » comme disent les jargonneux de l’économie, divise le pays en deux castes. Il y a la caste d’en-bas, qui n’a rien à la naissance, et pas grand-chose à la mort, et la caste d’en-haut qui naît avec tout et meurt avec plus encore. Tous ceux d’en-bas qui cherchent à rejoindre ceux d’en-haut, parce qu’ils ont la gnaque, parce qu’ils ont du courage, de l’ambition, de la volonté, sont, dans le système post-soviétique défendu becs et ongles par la nomenklatura française, sévèrement sanctionnés pour leur outrecuidance. Non seulement, ils sont soumis à tous les contrôles sociaux et fiscaux dont les administrations ad hoc sont capables, mais ils sont soumis à des impôts confiscatoires qui servent principalement à financer la « générosité » de nos politiques sociales.
Bref, la fiscalité qui existe aujourd’hui sur le capital est une vaste imposture qui contribue à figer l’ordre social en France. Tous ceux qui sont nés pour être salariés et qui cherchent à créer leur petite entreprise sont, grâce à elle, rapidement remis à leur place avec force quolibets du NPA (et son cortège de fils à papa mal dans leur peau) dénonçant les méchants capitalistes qui s’engraissent sur le dos du petit peuple.
De cette réaction nobiliaire, nous paierons un jour le prix fort, et la technostructure pontifiante française en portera une écrasante responsabilité.
France Stratégie et la réaction nobiliaire
Au nom donc, de l’égalité des chances, France Stratégie occulte totalement le principal empêchement contemporain à celle-ci, et se livre à une impressionnante torsion de l’esprit, en soutenant… qu’il faut
réformer en profondeur la fiscalité des transmissions en la reconstruisant du point de vue des héritiers. Au lieu de taxer les héritages transmis à chaque décès, il s’agit de taxer le patrimoine total reçu par l’héritier au cours de sa vie, de sorte que celui qui reçoit plus paie un taux plus élevé. Afin d’encourager la pratique de la donation et le legs par testament des grands-parents vers les petits-enfants, les sommes reçues par les jeunes héritiers pourraient être imposées à un taux plus faible que celles reçues par les héritiers plus âgés.
Autrement dit: plus d’impôts pour les très riches et plus d’héritage pour les autres. Concrètement, France Stratégie propose « l’idée consensuelle » (paraît-il, selon l’expression qui a circulé durant le point presse) de faciliter la donation aux petits-enfants. Dans le même temps, l’idée serait (on retrouve ici les obsessions étatistes de la technostructure française) de se placer « du point de vue des héritiers », c’est-à-dire de comptabiliser les sommes reçues par héritage tout au long de la vie d’un héritier et d’adapter le niveau de taxation aux sommes reçues.
On voit bien l’idée qui pointe derrière cette théorie: il faut toujours plus d’impôts pour rassasier les 5 millions de fonctionnaires en France.
Mais une autre idée pointe le bout de son nez: la fiscalité ne doit plus être liée à l’avoir des contribuables, mais à leur être. Ce ne sont plus des actes, des créations de richesse ou de valeur, des biens, que l’on taxe, mais des gens.
Les trois France de la réaction nobiliaire
Progressivement, ce que l’on comprend donc, c’est que France Stratégie exprime une vision de la société française organisée autour de trois ordres.
Tout en bas, le tiers état regroupe ceux qui n’ont rien et qui ont vocation à continuer à ne rien avoir. Pour leur rendre la misère acceptable ou supportable, l’Etat doit bien entendu continuer à financer des mesures d’assistanat: suppression des cotisations sociales sous 1,6 SMIC, exonération de l’impôt sur le revenu, tiers payant, etc.
Tout en haut, le grand capital industriel, largement transmis de génération en génération, devrait faire l’objet d’une taxation renforcée.
Et puis il y a cette noblesse qui s’estime mal traitée et qui demande des droits nouveaux. Ce sont principalement ces hauts fonctionnaires, ces cadres salariés du privé, ces « managers » d’une société complexifiée à souhait, qui voudraient des mesures ad hoc qui leur profiteraient (et c’est pour cette raison qu’elles sont présentées comme des mesures d’égalité des chances). Parmi celle-ci, la possibilité d’hériter rapidement du petit pactole constitué par les parents est un élément essentiel.
A quel âge faut-il hériter?
Avec l’allongement de l’espérance de vie, en effet, cette noblesse souffre. Lorsqu’elle héritait à 40 ans, elle récupérait les 200.000 ou 300.000 euros nécessaires à l’achat d’un appartement. Désormais, les prix à Paris sont plus élevés, et les parents meurent plus tard. Alors on s’entasse plus longtemps dans le 4 pièces hors de prix de l’Est parisien et quand on peut se payer enfin quelque chose dans Paris, les enfants sont partis et le 130m2 qu’on s’achète avec un crédit sur 15 ans paraît bien trop grand.
C’est cette « clientèle »-là que France Stratégie vise dans sa note. C’est elle qu’elle veut servir en lui permettant d’hériter plus tôt. Et on est heureux d’apprendre que l’égalité des chances est devenue synonyme des préoccupations de la nouvelle noblesse parisienne.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog