La tentation isolationniste augmente et les programmes des partis extrêmes mettent à leur affiche le retour à la monnaie nationale. Quelles en seraient les conséquences ?
La Zone euro ne fonctionne pas de manière optimale, c’est prouvé depuis la crise financière de 2007-2008.
La cohabitation est en effet difficile au sein de l’Union monétaire entre le modèle de spécialisation économique industrielle des pays d’Europe du nord et celui d’Europe du sud (France comprise) fondé sur les services souvent non exportables. Tandis que les pays du nord ne font qu’accroître leurs excédents extérieurs, les pays du sud creusent leurs déficits (et peinent alors à les refinancer). Ce n’était pas un problème jusqu’en 2008 puisque les pays du nord réinvestissaient une partie de leurs excédents dans les obligations d’Etat des pays du sud ; la Zone euro fonctionnait alors correctement au moins du point de vue de la mobilité du capital.
Ce n’est plus le cas depuis 2009. Pour résoudre le problème, il faudrait :
– Soit passer à une union fiscale et budgétaire de type fédéral qui permettrait d’institutionnaliser les transferts du nord vers le sud. Cette solution reste difficilement acceptable pour les Allemands qui n’ont aucune envie de subventionner le sud.
– Soit homogénéiser les économies en les alignant sur ce que l’on considère être le modèle, l’Allemagne. L’efficacité de cette solution suppose que la Zone euro puisse prendre des parts de marché au reste du monde ; en effet si toutes les économies de la Zone euro avaient ressemblé à celle de l’Allemagne — avec une forte profitabilité des entreprises et une forte compétitivité/coût — alors chaque pays de la Zone aurait été en mesure de prendre des parts de marché à l’autre, créant une sorte d’équilibre concurrentiel. Certains programmes politiques prônent la sortie de l’euro et le retour aux monnaies nationales.
Quels en sont les avantages ??
Prenons le cas de la France. Notre dette publique négociable est détenue à hauteur de 70% par des investisseurs étrangers (autour de 1 200 milliards d’euros). Aussi vouloir sortir de la Zone euro provoquerait sans doute une baisse de 20% à 30% de notre nouveau franc vis-à-vis de l’euro, ce qui reviendrait à faire défaut sur la dette détenue par les investisseurs non-résidents.
Selon les partisans d’un retour au franc, il serait possible de revenir 42 ans en arrière (comme si la carte économique et financière du monde n’avait pas changé en quatre décennies). Rappelons en effet qu’avant 1973, le Trésor public avait l’habitude de se financer auprès de la Banque de France, qui émettait de la monnaie en fonction des besoins de l’Etat. La dette publique était alors automatiquement détruite et transformée en masse monétaire en circulation. Depuis 1973, tout a changé avec l’article 25 de la Loi n°73-7 du 3 janvier 1973 sur la réforme des statuts de la Banque de France : "Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France".
Cet article de loi a ensuite été entériné par l’article 104 du traité de Maastricht et l’article 123 du traité de Lisbonne. Il est tout à fait démagogique et inconscient de proposer explicitement ou implicitement d’effacer la dette publique française en revenant à cet avant 1973. Dans ce sens, une sortie de l’euro serait aussi une sortie de l’Union européenne. Si la dette était exclusivement détenue par des épargnants français, on pourrait imaginer que la création de monnaie se fasse en créditant le compte du Trésor public (et non celui des banques), lequel utiliserait cette ressource pour se désendetter ou pour financer son déficit budgétaire. Mais la réalité est tout autre.
Des schémas différents
Certes le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Japon battent monnaie et disposent de leur entière souveraineté monétaire. Mais ces pays financent leurs déficits différemment. Au Japon, la dette est intégralement détenue par les Japonais. Donc pas de fuite de capitaux envisageable ; le problème du Japon sera de gérer à terme son vieillissement démographique et de faire sans doute appel à de l’épargne non-résidente. A ce moment, les taux monteront.
Au Royaume-Uni, la dette nationale est essentiellement détenue par des banques et des assureurs britanniques. Aux Etats-Unis, le statut de monnaie de réserve du dollar ne pose pour l’instant pas de problème pour le financement du déficit courant et du déficit budgétaire.
Pour la France le choix est différent : on sort de l’euro et on fait défaut sur la dette détenue par les non-résidents ; on reste dans l’euro — auquel cas on gère le financement de la dette publique de manière intelligente (aidé d’une part par la réglementation qui pousse les banques et assureurs à investir en obligations d’Etat et d’autre part par les programmes de rachat d’actifs de la BCE).
Les quatre conséquences néfastes d’un retour au franc?
Nous pouvons recenser simplement les conséquences suivantes d’un retour au franc : perte de pouvoir d’achat, déficits, taxation et destruction de votre épargne, super austérité !
Conséquence 1 : de l’inflation par la hausse des prix des produits importés
?Cette inflation importée serait mauvaise pour tout le monde. Mauvaise pour les ménages car il n’y a pas dans l’économie française de produits ou services substituables aux importations et la hausse des prix importés ne s’accompagnera pas d’indexation des salaires sur les prix (sauf à ruiner nos exportations). Ce sera donc un prélèvement sur notre pouvoir d’achat. Mauvaise inflation également pour les entreprises… car la baisse de la monnaie renchérira le coût des matières premières importées libellées en dollar et pèsera sur leurs marges. Mauvaise enfin pour l’Etat car l’inflation importée ne réduit pas la dette. C’est l’inflation domestique qui permet de réduire les taux d’intérêt réels. L’inflation importée conduit à une hausse des prix de consommation mais sans hausse de la valeur ajoutée domestique et elle ne remplit donc pas les caisses de l’Etat avec de la TVA.
Conséquence 2 : un retour au franc signifierait une aggravation des déficits extérieurs?
En effet, la baisse de la nouvelle monnaie nationale aurait les inconvénients de la dévaluation — à savoir une hausse de la valeur des importations — sans en présenter les avantages, c’est-à-dire une hausse des exportations. La dévaluation (le retour au franc en serait une) n’est bonne que pour les pays qui produisent des matières premières qui se vendent en dollar ou des marchandises à faible valeur ajoutée. On a vu ces dernières années l’illustration de ce phénomène avec l’Allemagne : la hausse de l’euro n’a pas empêché l’Allemagne de maintenir ses exportations dans des secteurs haut de gamme peu sensibles au change ; par contre, la baisse de l’euro ne permet pas de relancer les exportations de produits français.
Ces déficits seraient difficilement finançables par de l’épargne non-résidente. On imagine mal des rentrées de capitaux dans un pays sorti de la Zone euro et qui aura fait défaut sur une partie importante de sa dette publique.
Conséquence 3 : face à l’impossibilité de financer désormais la dette publique par l’épargne non-résidente, le gouvernement devra solliciter de manière institutionnelle la nouvelle Banque de France (cf. le retour au système d’avant 1973)?
Mais il sollicitera également les épargnants et contribuables français dans des conditions insupportables.
– Risques de nationalisation de l’épargne privée. Les contrats d’assurance-vie contiennent des obligations émises par l’Etat français. Ces obligations pourraient être remplacées par des nouveaux titres d’Etat dont la rémunération serait de plus en plus aléatoire (remboursement en intérêts et en capital subordonnés à la croissance et aux performances budgétaires de l’économie française).
– Risques de fiscalité de plus en plus confiscatoire. La tentation sera forte de créer un fonds visant à racheter et éliminer une large portion de la dette existante pour la ramener à des ratios dette publique/PIB plus soutenables. Ce type de fonds sera sans doute alimenté par la création d’impôts lourds sur le patrimoine et par une forte hausse de la fiscalité indirecte.
Conséquence 4 : des taux d’intérêts en forte hausse?
Pour empêcher une chute encore plus importante de la nouvelle monnaie nationale et des sorties de capitaux supplémentaires, il faudra remonter les taux courts. Les plus anciens se souviendront des crises monétaires des années 1992-1993 : à l’époque, pour "défendre" la parité deutschemark/franc, la Banque de France augmentait violemment ses taux directeurs afin de dissuader (sans efficacité aucune) les spéculateurs d’emprunter des francs pour les vendre sur le marché des changes et accélérer la chute de la monnaie nationale. Les tensions n’épargneraient pas les taux longs compte tenu de la disparition d’une partie importante d’acheteurs d’obligations d’Etat françaises (BCE, banques centrales étrangères, investisseurs institutionnels étrangers…)
Voilà concrètement quelques sombres conséquences d’un retour à la monnaie nationale : inflation et perte de pouvoir d’achat, explosion du déficit extérieur et du déficit budgétaire, impossibilité de financer ces déficits par l’épargne non résidente (fortes sorties de capitaux), nationalisation de l’épargne privée, fiscalité directe et indirecte de plus en plus insupportables, forte hausse des taux courts (crises monétaires et de change), forte hausse des taux longs aggravant la solvabilité de l’émetteur France.
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