L’orthographe pose des problèmes. Mais leur solution viendra-t-elle de sa réforme, menée par l’État, ou de son apprentissage, également du ressort de l’État via le ministère de l’Éducation Nationale ?
Le choix de la réforme est très significatif. Celle-ci peut être imposée par décret – un décret qui sera sans doute, comme beaucoup d’autres, peu et mal appliqué, mais qui donne aux gouvernants l’impression d’avoir fait le nécessaire. Tandis que l’apprentissage est une œuvre de longue haleine, qui fait partie de l’amélioration des performances d’un système public. Or, si notre État pond chaque année sans difficulté des milliers de textes législatifs et réglementaires, il a beaucoup plus de mal à faire fonctionner ses services correctement. Ce n’est pas seulement le cas du plus grand de tous ses services, celui de l’enseignement public : le tout récent rapport de la Cour des comptes nous apprend – ce dont nous nous doutions un peu – que la politique de la ville coûte cher pour pas grand-chose, que l’inspection du travail ne fait pas correctement son travail, que l’armée est toujours en panne du logiciel de paie destiné à remplacer celui dont le nom prestigieux (Louvois) n’a pas suffi à éviter les dysfonctionnements en cascade, etc., etc.
Faisant le tri des dossiers qui encombrent mon bureau, j’ai envoyé au recyclage quelques kilos de papier relatifs aux jurys d’agrégation du secondaire dont j’ai été membre au cours de ma carrière universitaire. Je n’ai pas résisté à l’envie de relire certaines listes d’observations. Voici par exemple quelques perles (en gras) relevées en corrigeant des copies du concours d’agrégation d’économie-gestion en 2007 : "les points qui reste à étudier ; ont pu bénéficié ; les pays bénéficie ; les prix n’ont que faiblement variés ; d’autres pays montre ; des pays ont adhérer." Ces erreurs grammaticales posent un problème relativement à la structure logique des intellects (de niveau officiellement bac +5) qui les ont commises : un esprit qui n’accorde pas le verbe à son sujet, qui emploie le passif au lieu de l’actif et vice-versa, est mûr pour gober le méli-mélo conceptuel qui plombe notre manière de penser et d’aborder les problèmes.
Le drame est, entre autres choses, à l’heure du big data, que des cerveaux déstructurés conduisent des politiques sans queue ni tête basées sur des données numériques construites en dépit du bon sens. Du massacre des règles orthographiques on passe en effet à celui de la logique comptable. Ainsi la comptabilité publique considère-t-elle comme des cotisations employeur au taux de 124 % les sommes versées par le Trésor public (en sus des cotisations salariales) pour payer les pensions des anciens militaires, alors qu’une part majoritaire de ces sommes constitue en réalité une subvention d’équilibre allouée à un régime de retraite déficitaire.
Quand peu importe de confondre le singulier et le pluriel, le masculin et le féminin, l’actif et le passif, la porte est grande ouverte pour confondre cotisation et subvention, capitalisation et répartition, versement contributif et prélèvement obligatoire sans contrepartie, et ainsi de suite. L’organisation aberrante de l’État et de la sécurité sociale, tout comme le massacre de la syntaxe, provient de la confusion conceptuelle dans laquelle nous nageons. Il faudra que le hasard fasse vraiment bien les choses pour que les problèmes immenses auxquels notre pays – à l’instar de l’humanité dans son ensemble – est et sera de plus en plus confronté se résolvent en dépit de la préférence de nos gouvernants pour des réformes en trompe-l’œil qui laissent les vrais problèmes sans solution.