Comment réduire le nombre de fonctionnaires ?

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Par Jacques Bichot Publié le 22 décembre 2015 à 5h00
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5,6 millionsOn compte 5,6 millions de fonctionnaires en France.

Le nombre total de fonctionnaires (État, collectivités territoriales et hôpitaux) a augmenté à nouveau en 2014, moins qu’en 2013 mais plus qu’en 2012. Cette progression est-elle inquiétante ? Oui, car les résultats ne sont pas à la hauteur : trop de services sont défaillants malgré le nombre excessif des personnes qui y travaillent, tandis que d’autres manquent cruellement de personnel (et souvent aussi de matériel).

Mettre l’accent sur la productivité

Les collectivités territoriales, globalement, pourraient faire mieux avec des effectifs bien moindres, comme l’a montré en 2010, sous forme humoristique, le témoignage d’Aurélie Boullet Absolument dé-bor-dée. L’auteur de cette jolie étude de mœurs n’aurait pas été persécuté comme il le fut s’il avait été moins perspicace. Les hôpitaux sont bien connus pour fonctionner grâce à celles des infirmières et des aides-soignantes qui ne font pas durer les pauses 2 ou 3 fois le temps prévu.

Quant à l’Éducation nationale, qui emploie à elle seule la moitié environ des fonctionnaires de l’État, des calculs simples et les comparaisons internationales montrent qu’elle pourrait sans difficulté se passer de 20 % de ses effectifs s’il y avait plus de jours de classe, moins chargés : quand il y a trop d’heures de cours chaque jour, leur densité est moindre, si bien qu’il en faut davantage, ce qui requiert plus d’enseignants.

Ces quelques exemples, qui pourraient être complétés par bien d’autres, montrent que la productivité de nombreux services est insuffisante. Pour y remédier, il est illusoire de fixer une règle du type « ne remplacer qu’un sur deux des fonctionnaires partant à la retraite ». Si la productivité ne s’améliore pas, la diminution des effectifs débouchera sur une dégradation du service public et sur de fortes pressions pour d’importantes créations de postes.

Mieux d’informatique

De quoi dépend la productivité ? Le réflexe est de dire : « informatisons au maximum et tout ira mieux ». Or ce n’est pas comme cela que les choses se passent. D’abord parce que l’administration a une fâcheuse tendance à rater son informatisation. Demander à des magistrats et à des greffiers comment fonctionne Cassiopée ou à des militaires ce qui se passe avec Louvois permet de se faire une idée de la question : multiplier les logiciels et bases de données de ce genre ne ferait que dégrader la qualité des services et aggraver leur manque de productivité.

Il ne faut pas forcément plus d’informatique (ça dépend des services), mais « mieux d’informatique ». Et pour cela il faut que les logiciels soient construits après une consultation bien organisée des personnes appelées à s’en servir : les concepteurs ont largement autant besoin d’étudier le travail de la greffière du TGI de Perpignan et celui du juge d’application des peines d’Arras que d’écouter le directeur de cabinet du Garde des sceaux et le premier président de la Cour de cassation.

Stopper la boulimie réglementaire

Il faut aussi que l’informatisation soit menée conjointement avec une simplification drastique des règles et procédures. Si par exemple des logiciels permettent de maintenir avec moins de personnel la complication infernale de notre système fiscal, ils inciteront les hommes politiques et les hauts fonctionnaires de Bercy à augmenter encore et encore cette complexité néfaste : le remède sera pire que le mal.

Un point très important est la définition claire et précise des missions fixées aux différents services. Ceux-ci ne sont pas faits pour préparer, appliquer et faire appliquer des règlements, mais pour accomplir des tâches utiles. Partout, le bon sens devrait prévaloir : si un citoyen ne se conforme pas à un règlement stupide, il ne convient pas de punir le citoyen, mais de réformer ou de supprimer le règlement. Et chaque agent de l’État ou d’une administration locale ou d’un centre hospitalier est un citoyen. C’est d’une lutte opiniâtre contre les dispositions inutiles ou néfastes que viendront les gains de productivité et la diminution du nombre de personnes nécessaires à la bonne marche des services.

Assez souvent, un travail inutile découle de l’insuffisance des aménagements. Prenons l’exemple du stationnement des véhicules : le manque de places de stationnement conduit à mobiliser des armées de « pervenches » pour une chasse aux contrevenants parfaitement stérile. Nous n’avons pas les agents requis pour filtrer les immigrés, les enregistrer et s’occuper d’eux correctement, mais le travail de milliers de personnes est gaspillé pour persécuter les automobilistes au lieu d’être consacré à ces tâches de la plus haute importance. Quant aux entreprises de travaux publics dont l’activité pourrait résoudre le problème, elles licencient ou n’embauchent pas.

Des changements de mentalité et de gouvernance sont donc nécessaires : sans eux il y aura toujours plus de règlements et toujours plus de fonctionnaires pour les faire appliquer. Le dégraissage de nombreux codes est indispensable pour que l’emploi passe de la fraction du secteur public qui est répartiteur de la pénurie et castrateur des initiatives à la partie du secteur privé qui est créatrice de richesses.

Embaucher sous statut salarial ordinaire

Ajoutons pour terminer que le statut trop protecteur qui est celui de la fonction publique, joint aux règles d’avancement à l’ancienneté, incite inévitablement ceux qui en bénéficient à modérer leurs efforts ou à les orienter dans un sens plus utile à leur intérêt personnel qu’à l’intérêt général. Certes, il existe nombre d’incorruptibles, qui ont le sens du devoir chevillé au corps et qui ne profitent pas de leur statut pour se la couler douce ; mais la chair est faible : beaucoup d’entre nous ont besoin des aiguillons que sont le risque de stagner, voire de se faire licencier, si l’on se relâche, et l’espoir de prendre du galon si l’on se donne à fond.

Cela veut dire qu’une mesure simple, mais exigeant beaucoup de courage politique, serait fort utile pour faire évoluer les services publics : ne plus recruter le personnel de l’État, des collectivités territoriales et des hôpitaux que sous contrat de travail ordinaire, à quelques exceptions près comme les militaires et certains magistrats.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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