La récente publication des chiffres 2014 d’Eurostat confirme la stabilisation du déficit public de la zone euro sous le seuil réglementaire fixé à 3 % du PIB (2,9 % en 2013 et 2,4 % en 2014), ce qui est a priori une bonne nouvelle.
En effet, ce ratio a une importance particulière en Europe : il fait parti des critères de convergence que durent respecter les pays membres de l’Union Européenne désireux d’intégrer l’Union Economique et Monétaire (UEM) et il détermine si un pays peut ou non relancer son économie par du déficit public (via une politique keynésienne). Il est également à l’origine des politiques d’austérité mises en place dans certains pays de la zone euro après la crise, et ayant eu des répercussions plus ou moins néfastes pour les populations. Et pourtant, ce taux de 3 % de déficit public en fonction du PIB ne repose sur aucun fondement économique solide.
Une règle française mise en place dans les années 80 pour maîtriser les finances publiques
Deux versions existent sur la création de ce ratio :
1ère version : elle est relatée par Guy Abeille qui, chargé de mission à la Direction du Budget du Ministère des Finances de 1977 à 1982, affirme l’avoir conçu sur un coin de table un soir de juin 1981.
Pierre Bilger, devenu n°2 de la Direction du Budget, lui aurait demandé de créer pour le nouveau Président François Mitterand « une règle, simple, utilitaire, mais marquée du chrême de l’expert, et par là sans appel, vitrifiante, qu’il aura beau jeu de brandir à la face des plus coriaces de ses visiteurs budgétivores ». En moins d’une heure, Guy Abeille construisit son tout nouvel indice : comme il le justifie, « la bouée tous usages pour sauvetage du macro-économiste en mal de référence, c’est le PIB : tout commence et tout s’achève avec le PIB, tout ce qui est un peu gros semble pouvoir lui être raisonnablement rapporté. Donc ce sera le ratio déficit sur PIB ». En effet, il est plus facile de dire à sa population une phrase du type « le déficit public s’établit à 4 % du PIB » que de lui dire « l’Etat s’est endetté cette année de 82 milliards d’euros » (chiffres 2014 pour la France). Une fois ce ratio trouvé, il fallut lui donner une valeur. Pour se faire, Guy Abeille utilisa simplement pour l’année 1982 les prévisions de PIB de l’INSEE (3 500 milliards de francs) et le déficit public anticipé (100 milliards de francs). Après un rapide calcul, il tomba sur ces fameux 3 %.
Ce ratio n’aurait donc pas d’autre fondement que celui des circonstances et il aurait de plus été fabriqué à l’envers (la valeur du ratio à respecter a été fixée ex post). Pour plus d’informations sur cette version, voir cet article.
2ème version : une autre version moins surprenante existe aussi. Elle se fonde sur des calculs liés au taux de croissance g et au taux d’intérêt i. Pour la comprendre, il faut toutefois faire un peu de mathématiques.
Soit D le stock de dette publique et Y le PIB.
Le ratio D / Y % détermine donc la dette publique en pourcentage du PIB. Ce ratio est stable dans le temps si sa dérivée par rapport au temps est nulle, c’est-à-dire si (D’Y – DY’) / Y² = 0, ce qui implique D’Y = DY’ et finalement l’équation : D’ / D = Y’ / Y, notée (1).
Par définition d’une dérivée, Y’ / Y correspond au taux de croissance du PIB. De même, D’ est la variation du stock de dette, c’est-à-dire le déficit. Ce déficit est composé de 2 éléments : 1.le taux d’intérêt payé sur la dette D égal à iD et 2.l’écart pour l’Etat entre ses recettes et ses dépenses, appelé solde primaire et noté s. On a donc D’ = iD + s. En revenant à (1), on a (iD + s) / D = g, donc i – g = s / D. C’est cette dernière équation qui est importante pour déterminer les 3 % de déficit.
On suppose qu’à terme l’Etat équilibre son solde primaire (la dette de l’Etat aujourd’hui est mise en regard de sa capacité future à dégager des excédents primaires), donc s = 0. A terme, on a donc i = g (égalité du taux d’intérêt et du taux de croissance).
Une règle théorique et dépassée
Voila pour la partie mathématique. Maintenant, pour trouver ces fameux 3 %, il faut reprendre les données économiques des années 80. Si on calcule sur les 5 années qui ont précédé l’élection de François Mitterrand en 1981 le taux de croissance annuel moyen du PIB en volume, le résultat est légèrement au-dessus de 3 % (3,38 %). Combiné à un objectif d’inflation de la Banque Centrale de 2 %, on obtient une croissance du PIB nominal de 5 % (= 3 % + 2 %). D’après l’égalité i = g établie plus haut, le taux d’intérêt vaut alors 5 %. Avec un ratio dette publique/PIB fixé à 60 % (on peut aussi se demander d’où sortent ces 60 %…), on trouve comme intérêt sur la dette publique en pourcentage du PIB garantissant la stabilisation de la dette publique (ou de manière équivalente comme déficit public en pourcentage du PIB garantissant la stabilisation de la dette, car le solde primaire s est nul) : 60 %*5 % = 3 %.
On le voit, ce ratio de 3 % est non seulement théorique (égalité sur le long terme entre le taux d’intérêt et le taux de croissance) mais également lié à des données interdépendantes (le ratio dette publique / PIB étant fixé, pour avoir le déficit à 3 %, si l’inflation vaut N % alors le taux de croissance doit valoir XN %…).
Voici un exemple afin d’illustrer l’incohérence de ce ratio : le cas de l’Italie en 2003 et 2008.
En 2003, le déficit public de l’Italie était supérieur à 3 % (3,4 %) mais la dette publique en pourcentage du PIB diminua par rapport à 2002 (101,9 % => 100,4 %). Fallait-il contraindre l’Italie à réduire ses dépenses afin d’abaisser le déficit à 3 % alors que le poids de sa dette diminuait ?
De même, en 2008, le déficit italien était inférieur à 3 % (2,7 %) mais la dette en pourcentage du PIB augmenta par rapport à 2007 (99,7 % => 102,3 %). Dans ce cas, même si sa dette augmente, ne faut-il rien exiger de l’Italie puisque son déficit est inférieur à 3 % ?
Dans une union monétaire, la mise en place de règles de politiques économiques simples est dangereuse car elle peut contraindre les pays à mettre en place des politiques d’austérité plus ou moins brutales pour se conformer à une certaine norme qui n’est pas justifiée (ou au contraire laisser les pays mener des politiques laxistes). Faut-il condamner un pays dont le déficit se creuse parce qu’il réalise des investissements publics qui lui permettront par exemple dans le futur d’améliorer sa productivité et sa croissance potentielle (éducation, santé, développement durable…) ? Il conviendrait ici d’analyser précisément les causes d’une hausse des dépenses publiques et de moduler le niveau des déficits en fonction de la nature de ces dernières. Les enjeux sont trop importants pour laisser des règles macro-prudentielles aussi élémentaires régir la vie économique des pays membres de la zone euro.