Je commence cet article par ce qui pourrait être la conclusion. Le calcul et le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu se heurte à une impossibilité technique d’ordre structurel. Ce qui est possible, c’est de prélever sur les revenus (salaires, pensions, rentes, …) ce que l’état imagine être de votre impôt de l’année civile en cours.
La nuance a son importance, et c’est pourquoi je propose un petit décryptage sur le projet du gouvernement, en insistant sur la fissuration à venir de l’édifice fiscal qui verra s’altérer quelques propriétés fondamentales que l’on est en droit d’exiger des méthodes et des résultats, à savoir l’exactitude, la compréhensibilité, la « non contestabilité », la rigueur, l’équité.
Le gouvernement a donc réactivé récemment ce vieux serpent de mer, ce qui a suscité comme d’habitude beaucoup de réactions. Malheureusement, les chaînes de télévision ont peu insisté sur le fait que la clé de voûte du système fiscal français risque de subir de sérieux dommages, du fait même de la nature de cet impôt qui présente la propriété d’être progressif, et par conséquent de ne pouvoir se prêter à ce genre de fantaisie. Les discours politiques sur ce sujet s’enferment dans une sorte de mystification, d’hypocrisie, et font davantage penser à une belle entourloupe, une tromperie, une farce, une bouffonnerie, plutôt qu’à un projet sérieux.
(Je précise que dans cet article je ne fais en aucun cas référence aux principes de justice sociale liés à cet impôt, mais uniquement à ses mécanismes)
Pourquoi un tel constat ? Tout simplement parce qu’un impôt progressif ne peut, de par sa nature, se calculer au fil de l’eau. Il faut attendre la fin de l’année, le moment où il devient possible d’agréger l’ensemble des revenus (revenus salariaux, pensions, rentes, allocations, revenus des capitaux mobiliers et immobiliers), pour pouvoir appliquer les règles de calcul de la progressivité, des décotes, des exonérations, des crédits d’impôts et autres réjouissances. J’insiste donc sur le fait que le prélèvement à la source dans le contexte français, fidèle aux usines à gaz, fait face à un mur infranchissable (sauf à y brûler quelques valeurs et vertus). Et pourtant le gouvernement s’y est engagé. Ce qui est possible pour la CSG qui est un impôt proportionnel, ne peut l’être pour l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques, sigle que je réutiliserai). C’est pourquoi je suis très critique à l’égard de cette mesure, car j’estime que l’ADN de l’administration fiscale, qui jusqu’à une date récente ne montrait que de rares faiblesses, ne doit en aucun cas subir des mutations qui ferait d’elle une administration OGM encore plus indigeste, à laquelle on aurait ôté les gènes de la rigueur.
Du fait de cette impossibilité technique, les services de Bercy ne pourront qu’utiliser des méthodes approximatives, des procédés artificieux. Pourquoi le système actuel a-t-il été construit avec une année de décalage ? Tout simplement parce qu’il est impossible de faire autrement. Les personnes qui ont conçu et fait vivre ce système qui perdure depuis des décennies, qui a fait largement ses preuves en termes de robustesse, d’efficacité et d’aboutissement, qui répond aux grands principes théoriquement intouchables dans une société qui se veut exemplaire et juste, se seraient-elles fourvoyées dans leurs conceptions ? Le décalage d’une année avait également le bénéfice de la simplicité (simplicité déclarative par le pré-remplissage) et de l’exactitude. Ce que l’on payait est ce que l’on devait, ni plus ni moins. Le 1er janvier 2018, si promesse tenue, on bascule dans un nouveau monde, le monde de l’incertitude fiscale, le monde du flou absolu, puisque l’administration calculera votre impôt sur une base au mieux incertaine ou pire indéfinie (cas du premier emploi et de la première année de travail). Il y a aura donc de manière systématique, un trop perçu ou un moins perçu de l’administration. Aujourd’hui ces cas sont relativement rares puisque le prélèvement se fait sur la base d’une déclaration à partir de données connues et exactes, et non sur des hypothèses floues. C’est ce point essentiel qui aurait dû faire débat dans les medias.
Les pays européens ont tous adopté le prélèvement à la source à l’exception de la Suisse et de la France. De ce constat, on pourrait se dire « alors pourquoi pas nous ? ». La grosse différence tient à la simplicité de leur système fiscal, un nombre réduit de niches, à l’individualisation de l’impôt (pas de notion de foyer fiscal) et à des revenus du capital taxés proportionnellement. Cela conduit évidemment à des écarts moins importants, une plus grande justesse, mais nécessitant néanmoins une régularisation en fin d’année.
Le gouvernement a inventé le concept de « l’impôt flou », digne d’un prix d’excellence qu’on attribuait autrefois au meilleur élève de la classe, une innovation parfaitement inscrite dans les nimbes ministérielles..
- Jusqu’à présent régnait le monde de la rigueur, de la justesse, de la robustesse, de l’exactitude, de l’équité, aussi bien sur le déclaratif que sur le prélèvement. Demain régnera le monde de la logique floue, de l’incertitude, de l’iniquité.
- Jusqu’à présent on payait ce que l’on devait (postulat universel dans une société qui se veut honnête et juste). Demain on paiera ce que l’état imagine être ce qu’on lui doit. Il est probable que ce soit souvent supérieur à ce qui est dû, à l’image des espagnols qui pour deux tiers d’entre eux se voient infliger la peine du « trop perçu ».
- Jusqu’à présent on avait la liberté de se mensualiser ou non, et moduler en quelques clics son niveau de mensualisation en fonction de ce que l’on sait de ses revenus futurs. Demain cette liberté disparait
L’état est en train de casser ce qui fait aujourd’hui la charpente de l’administration fiscale, casser un système qui a atteint un certain degré de perfection depuis le pré-remplissage, détruire les vertus que j’ai évoquées plus haut, tout ce qui fait la solidité de l’édifice malgré tous les griefs justifiés ou non que les contribuables pourraient en toute logique formuler, car qui arbore un large sourire lorsqu’il reçoit ses avis d’imposition ? Oui, aujourd’hui le système est suffisamment souple et rigoureux pour ne pas y toucher. Le prélèvement de l’IRPP à la source n’est qu’une régression évoquant la désarticulation du système et sa déstructuration (par la naissance des structures du flou). Le problème, si problème il y a, aurait pu être réglé par la mensualisation obligatoire
Je résumerais mon analyse critique en faisant une sorte de parallèle renversé: « heureusement que les ingénieurs et les techniciens d’Airbus ne programment pas leurs logiciels opérant les phases de décollage et d’atterrissage à partir d’hypothèses floues ou d’algorithmes approximatifs ! ».
Il n’y a pas de science fiscale, telles les sciences dures et implacables que sont la physique ou les mathématiques, il n’y a que des procédés, des méthodes, des processus de transformation, qui non soumis à des certifications de type ISO 9000, garantissant une certaine qualité, peuvent laisser libre cours à l’imagination débridée de nos dirigeants.
Voyons à présent les avantages et les inconvénients. Je vous le dis de suite, j’ai eu beau me creuser la tête, à me risquer à quelques insomnies, eh bien j’ai un peu coincé sur la partie « avantages pour le contribuable »
LES AVANTAGES
Avantages pour le contribuable
Le contribuable n’y verra pas beaucoup d’avantages. Citons le fait que le prélèvement à la source évite les mauvaises surprises pour celles et ceux qui n’ont pas le réflexe de l’épargne. Cela vaut surtout pour les foyers qui ne sont pas encore mensualisés. La mensualisation offre un avantage qui ressemble étrangement à celui qui est mis en avant avec le prélèvement à la source, d’ailleurs de manière spécieuse. Notons pour être précis et calmer les politiciens un peu trop emphatiques sur le sujet, que le contribuable a tout loisir en début d’année de moduler sa mensualisation et de la « caler » par rapport à ce qu’il sait de ses revenus futurs..
Avantages pour l’état
L’administration (ou plutôt le gouvernement) doit évidemment y voir de nombreux avantages, sinon pourquoi s’aventurer sur un chemin aussi risqué.
- En évitant le décalage d’un an, l’état espère une meilleure récolte du fait de la variation de la masse salariale globale par rapport à l’année précédente.
- Préfiguration d’une CSG progressive. Le parti socialiste qui a toujours rêvé de rendre la CSG progressive, pose les bases techniques pour le décider au moment opportun.
- L’état français ne sera plus avec la Suisse l’un des derniers pays européens à ne pas prélever à la source. On ne sera plus l’exception, Ouf !
- L’état prétend faire des économies en réduisant le nombre de fonctionnaires attachés au système de recouvrement. A étudier de près ! Et si ces fonctionnaires restaient en place pour nous garantir la solidité des structures.
LES PROBLEMES ET LES INCONVENIENTS
- Problème des prérogatives de l’administration fiscale et du tiers payeur. L’administration est affaiblie dans son rôle de collecteur de l’impôt, devenant tributaire d’un tiers payeur avec toutes les difficultés liées à son installation dans les circuits : communications, échanges de fichiers, traitements des erreurs, rattrapages, contestations, faillites d’entreprises, etc. Mais si l’état accepte un rétrécissement de son rôle et de son pouvoir, c’est que par ailleurs, les avantages lui paraissent suffisamment notoires pour contrebalancer ces petits inconvénients. Le tiers payeur qui vient donc s’intercaler pourrait être l’employeur ou la banque vers laquelle est viré le salaire. Ce serait évidemment une bonne chose que ce soit la banque qui joue ce rôle afin de préserver la confidentialité des informations personnelles vis-à-vis de l’entreprise.
- Problème de l’impossibilité du calcul de l’impôt (peut-être le plus important !). Je l’ai évoqué plus haut, il est impératif de connaître la totalité des revenus pour un calcul juste de l’impôt.
- Problème de la conjugalisation et de la familiarisation. Mariage, divorce, naissance en cours d’année.
- Problème du trop perçu. Certains pays pratiquant la retenue à la source abusent du « trop perçu » pour mieux gérer leur trésorerie. Il faudra attendre plus d’une année pour que l’administration vous restitue le « trop perçu ». C’est juste un petit problème relevant de l’anecdote !
- (Si collecte par l’entreprise) Problème des faillites. Litiges possibles sur les derniers recouvrements.
- (Si collecte par l’entreprise) Problème de l’efficacité du recouvrement. Comment garantir que les montants soient intégralement reversés à l’administration fiscale lorsqu'on sait que la TVA collectée par les entreprises n'est pas intégralement reversée ? La régularisation se fera de toute manière l’année qui suit.
- (Si collecte par l’entreprise) Problème de confidentialité. Le principe de confidentialité est évidemment posé, car les entreprises pourraient avoir connaissance de la situation familiale et des particularités de chaque « employé contribuable ». De là la crainte que les employeurs soient influencés dans leur politique salariale. Pourquoi augmenter un salarié quand le taux marginal d’imposition est de 41%, signifiant par là que le conjoint dispose d’un revenu très confortable.
- (Si collecte par l’entreprise) Problème de surcoût. Celles-ci verront une charge de travail accrue, donc un surcoût d’exploitation, également perceptible lorsqu’elles font appel aux compétences d’un organisme tiers pour ses services informatiques.
- Problème des interlocuteurs multiples. Deux interlocuteurs pour le contribuable en cas de contestations, d’erreurs, de rattrapages. Donc un de trop !
- Problème de la complexité. Il y a une incompatibilité avec la complexité et les spécificités de l’IRPP; que faire des exonérations, des niches, des crédits, des abattements, des décotes, et tous les cas particuliers ?
- Problème de l’inégalité devant le prélèvement. Inégalités face au prélèvement de l’impôt car quid des professions libérales, des commerçants, des artisans, etc.
- Problème de l’année blanche. Problème non tranché
- Problème du manque de transparence. Les contribuables soumis à ces nouvelles règles auront beaucoup de difficultés à en comprendre les fondements puisque les bases de calcul seront occultées (1 ligne sur la fiche de paie !). Le prélèvement serait en toute logique fragmenté en autant de morceaux qu’il y a d’opérations de crédits relevant de l’impôt (SOURCE OBLIGE ! grande facilité de contrôle !).
- Problème de la première année de travail. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail devraient en toute logique se voir prélever leur impôt sans cette année de décalage. Normal puisque la source a commencé à couler. Mais sur quelle base, sur quel référentiel, puisqu’il n’y a pas de passé ? C’est un léger handicap, car le fait de différer l’impôt d’une année leur laisse aujourd’hui un peu plus de pouvoir d’achat pour leur installation dans la vie active.
- Et tous ceux que j’ai oubliés.
Conclusion
L’état se voit doté de nouvelles facultés. Il décrypte votre avenir financier. Il calcule votre impôt avant même de savoir ce que vous allez gagner. L’argent aussitôt gagné est aussitôt prélevé. Derrière la simplicité affichée, se cache une énorme complexité. Les vertus, les valeurs, les propriétés qu’on est en droit d’exiger sont malmenées.
Il est vraiment dommage de détruire un système qui marche au profit d’un système qui par des vices de construction, et de surcroît tributaire de nos incohérences et de notre amour pour la complexité, ne marchera jamais.
Alors, allez-vous aimer le prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source ?