La loi retraite de 2010 a commencé à détricoter la camisole de force appelée « retraite à 60 ans » mise en place en 1982. Le nouveau gouvernement veut revenir sur sa disposition centrale. Faire et défaire et refaire, c’est toujours travailler, pourrait-on dire – mais est-ce là un travail utile au pays ?
L’abaissement de l’âge de départ à la retraite, il y a trente ans, s’est traduit par la pénalisation de ceux qui auraient bien prolongé leur activité professionnelle pour disposer un peu plus tard d’une pension un peu plus conséquente : le but était de les décourager, de façon à faire « place aux jeunes ».
Cette politique, loin de faciliter l’entrée des jeunes dans la vie active, a contribué au ralentissement de la croissance économique et à la détérioration de l’emploi, dont les jeunes, et surtout les moins diplômés, furent et sont encore les premières victimes. Sous couleur de progrès social, la manipulation des règles relatives aux retraites fut utilisée pour instiller dans les esprits le goût de l’oisiveté subsidiée, c’est-à-dire subventionnée par la collectivité.
Le résultat fut plus réjouissant pour les capitalistes que pour les travailleurs : durant le premier septennat Mitterrand la part des revenus du travail dans la valeur ajoutée s’effondra au profit des revenus du capital. Ce résultat du programme commun de la gauche est généralement passé sous silence, mais les chiffres de l’INSEE sont éloquents.
Les lois retraite de 1993 puis 2003 n’attaquèrent pas de front le mythe de la retraite à 60 ans comme acquis social majeur. Cependant elles le grignotèrent en montrant qu’il obligeait à réduire la générosité des pensions (1993) puis en proposant de travailler plus longtemps pour obtenir une « surcote » (2003). La loi 2010, en remplaçant 60 par 62 et 65 par 67, entérina le fait qu’il n’existe pas d’exception française à la pression que met sur l’âge de la retraite la formidable croissance de la longévité.
Le décret en préparation – à supposer qu’il suffise d’un décret – vise à élargir les conditions de départ à 60 ans sans décote. Il en résultera un surcout de quelques milliards, qui devrait être couvert par une hausse de cotisation vieillesse : c’est mauvais, sans être une catastrophe nationale. Ce qui l’est, en revanche, c’est la remise en selle du mythe de la retraite à 60 ans. Les Français commençaient à prendre leur parti de l’inéluctable augmentation de l’âge « normal » de départ à la retraite : voici que le nouveau gouvernement va interrompre ce travail de deuil, raviver de vains espoirs, faire miroiter des perspectives de retraites précoces pour un maximum de Français.
Le réalisme était en train de faire des progrès dans l’esprit des Français. Que la première mesure du quinquennat encourage à nouveau le déni des réalités n’est pas de très bon augure.