Pourquoi taxer les oeuvres d’art à l’ISF est une idée stupide

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Par Fabien Bouglé Modifié le 15 octobre 2012 à 20h14

Depuis une semaine et à quelques jours de l’ouverture de la FIAC, le monde de l’art est en ébullition.

En effet, le député Eckert (PS), rapporteur du budget, soutenu par le député UMP Marc Le Fur de Loudéac en Bretagne, propose la taxation des œuvres d’art à l’ISF, générant un duel qui dépasse de loin les clivages politiques puisque le gouvernement appelle les députés à voter contre. Les défenseurs de cet amendement ont une vision purement idéologique et dogmatique de la question : il faut taxer les riches propriétaires d’œuvres d’art car c’est une proposition "symbolique".

En face, ceux qui se battent bec et ongle contre cette disposition ont une vision pragmatique et économique. Cette mesure si elle était appliquée, aurait des conséquences non seulement sur le marché de l’art mais également sur le rayonnement culturel de la France à l’échelle mondiale.

Qu’en est-il exactement ? Il faut bien comprendre que la taxation des œuvres d’art est particulièrement inefficace et qu’elle touche des foyers ou des personnes qui ne sont pas visées par le texte. En effet, il est souvent argué par les tenants de cette mesure que l’art est spéculatif et qu’il est normal que les spéculateurs paient. Mais les très riches (patrimoine de plus de 50 millions d’euros dans le classement de Challenges) disposent déjà des structures et une organisation patrimoniale internationale qui de toute façon ferait que cette mesure ne les toucherait pas.

Les moins riches (entre 10 et 50 millions d’euros de patrimoine) sont de toute façon actuellement en train de préparer leur exil fiscal. Une telle mesure ne ferait que précipiter leur départ. Enfin les personnes payant l’ISF à partir de 1,3 million d'euros de patrimoine s’arrêteront immédiatement d’acheter des œuvres d’art et cèderont celles qu’ils détiennent. Si bien que la mesure aura l’effet inverse à celui recherché.



Elle taxera non pas les riches "spéculateurs de l’art" mais tous les propriétaires d’œuvres qui sont devenu propriétaires d’œuvres d’art de valeur presque par accident : héritiers d’artistes ou de collectionneurs, collectionneur d’art contemporain ayant fait de bon choix, amateurs d’art du dimanche qui achètent et font des découvertes … Bref ceux-là même qui contribuent à la pérennité du patrimoine artistique français et à sa redécouverte.

Cette mesure est d’autant plus injuste qu’à la différence du patrimoine taxable à l’ISF, immobilier, action, etc… les œuvres d’art ne génèrent pas de revenus permettant d’acquitter cette fiscalité. En effet, taxer les œuvres d’art revient donc à payer un droit de possession grignotant progressivement la valeur de l’œuvre. Ainsi pour une œuvre valant 100 000 euros le contribuable devra payer de 550 à 1800 euros de droit à la détention de l’œuvre.

Les tenants de la taxation précisent alors que si les œuvres d’art ne génèrent pas de revenus, elles génèrent de grasse plus-values. Outre le fait que le marché de l’art est fluctuant et que la valeur des œuvres dépend largement des modes, ils ont largement oublié que la plus-value des œuvres d’art est déjà taxée à 34,5 % et qu’un amendement qui n’est pas contesté par les acteurs du marché de l’art vient d’être justement déposée pour alourdir cette fiscalité.

Enfin, et c’est une question fondamentale. Quelles seront les modalités d’une telle taxation ? Monsieur le député Le Fur avait proposé des idées que même les plus soviétiques n’avaient pas imaginées en suggérant que les inspecteurs des impôts viennent contrôler in situ les œuvres d’art détenues. Sans tenir compte d’idées aussi incroyables venant d’un député de droite, la question de l’évaluation pose d’énormes difficultés.



Comment évaluer les œuvres d’art lorsque l’on sait qu’il s’agit d’un marché fluctuant ? Lorsqu’un particulier aura redécouvert une œuvre dans un grenier qui est authentifiée par la suite sera-t-il redressé ? Non, cette taxation est une fausse bonne idée. Elle crée de véritables difficultés techniques et contribue à une baisse importante des recettes fiscales associées au commerce de l’art. Elle détruit un pan entier de l’activité économique de notre pays et appauvrit considérablement notre culture.

Il est temps d’arrêter d’utiliser cette réforme comme mesure symbolique afin de faire croire au peuple que des mesures sont prises. Car l’effet d’annonce - même s’il n’est pas suivi des faits -commence à avoir des effets catastrophiques dans un contexte de marché où la France ne représente déjà plus que 4,8 % du marché mondial des ventes aux enchères.

Il faut saluer les élus de gauche comme de droite qui soutiennent l’exonération des œuvres d’art à l’ISF indépendamment des clivages partisans. C’est au moins sur ce thème la victoire du pragmatisme sur l’idéologie actuellement mortifaire.

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Fabien Bouglé est le fondateur de Saint Eloy art consulting. Il est consultant en gestion de patrimoines artistiques depuis près de quinze ans. Juriste de formation, il est titulaire d’un DESS gestion de patrimoine et d’une licence d'’histoire de l'art. Il a acquis un réel savoir-faire ainsi qu’'une expertise recherchée pour traiter l’intégralité des questions liées aux patrimoines artistiques comprenant les objets d'art de collection et d'antiquité. Auteur de plusieurs livres sur le marché de l'art, il est une référence pour la presse tant financière qu’'artistique.

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