Une réforme de la fiscalité locale, qui consiste à faire payer plus à moins de gens, est en cours. Elle pénalise les propriétaires, même si leurs droits de mutation sont allégés.
Le Premier ministre Edouard Philippe a tranché. Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), couramment appelés « frais de notaire », n’augmenteront pas en 2019. C’est donc 500 M€ que les propriétaires vendant leur bien n’auront pas à payer. C’est toujours ça de pris mais les départements, autrefois bénéficiaires de cette manne, sont furieux.
Dans un rapport sur la refonte de la fiscalité locale, commandé par le gouvernement et publié en mai 2018, les deux auteurs – Alain Richard, sénateur LREM, et Dominique Bur, ancien préfet – recommandent de transférer purement et simplement le produit des DMTO à l’Etat. Ils estiment en effet que du fait de leur variation conjoncturelle et de leur forte disparité territoriale, les DMTO ne sont pas appropriés pour servir de ressources aux départements. En contrepartie, ils suggèrent que l’Etat transfère aux départements une part de taxe nationale.
Comme nous allons le voir, le rapport de Richard et Bur – 153 pages bien serrées d’hypothèses et de scénarios en tout genre – est un subtil jeu de bonneteau fiscal qui ne simplifie aucunement l’usine à gaz actuelle. Mais revenons à ce qui a motivé ce rapport.
Trouver 22 milliards d’euros pour remplacer la taxe d’habitation
Le rapport commandé à Richard et Bur trouve son origine dans la suppression à terme de la taxe d’habitation, qui va priver les collectivités locales de 21,8 Md€ de recettes. Il faut donc trouver comment compenser la perte de ces quelques 22 milliards d’euros, en excluant « un nouveau big bang territorial », tout en conduisant, selon les mots du président de la République, « une réforme ambitieuse, cohérente dont la taxe d’habitation n’est que le premier acte ».
Les deux rapporteurs se sont attaqués à une « réforme globale de la fiscalité locale, laquelle représente, en 2018, 138 milliards d’euros pour l’ensemble des collectivités territoriales et leurs groupements. Cette réforme devrait prendre effet à partir de 2020, éventuellement de manière échelonnée ».
Un rapport politiquement orienté
Avant de nous arrêter sur les solutions imaginées par les rapporteurs, penchons-nous sur quelques-uns de leurs propos qui laissent songeur et dévoilent leur parti-pris. Les auteurs estiment, à l’instar du président de la République, que la suppression de la taxe d’habitation est judicieuse car elle favorise le pouvoir d’achat des classes moyennes. On rappellera tout de même que les fameuses « classes moyennes » sont, pour l’instant, surtout victimes de l’augmentation de la CSG, de la fiscalité alourdie sur les PEL, d’une imposition forte de leurs revenus fonciers, de la hausse des taxes sur le gasoil, les cigarettes, les métaux précieux, les véhicules dits « polluants », le carbone (c’est-à-dire l’énergie)… Il n’est pas certain que la suppression de la taxe d’habitation, prévue seulement pour 2022, vienne compenser ces autres augmentations.
Les rapporteurs affirment ensuite que cette suppression de la taxe d’habitation viendra mettre fin « à des inégalités qui s’étaient cristallisées et amplifiées, en raison du défaut d’actualisation des valeurs cadastrales des locaux d’habitation, remontant à 1970, sur lesquelles est assise cette taxe ». Cette affirmation, exacte au demeurant, vaut aussi pour la taxe foncière qui est assise sur la même base. Pourquoi alors ne pas supprimer également la taxe foncière ? Alain Richard et Dominique Bur estiment par ailleurs que la réforme permettra d’avoir une fiscalité « plus juste pour le contribuable local, qui est aussi un citoyen qui bénéficie des services publics locaux ».
Doit-on comprendre ici que l’on s’achemine vers une flat tax locale, ou mieux encore, vers un impôt de capitation ? Il ne faut pas rêver. C’est même plutôt tout le contraire qui se prépare. Une imposition plus juste, nous disent les rapporteurs, devra tenir compte « des capacités contributives des ménages ». Qu’est-ce qui se cache derrière cette formulation ? Les revenus des ménages ? Les deux auteurs du rapport soutiennent également qu’ils ont « pris le parti méthodologique de développer des hypothèses de remplacement de la taxe d’habitation neutres pour le contribuable (aucun nouvel impôt local ou national) ». On comprend donc qu’aucun nouvel impôt ne sera créé, mais que l’on augmentera la fiscalité existante.
Si les quelque 22 milliards d’euros perdus de la taxe d’habitation seront compensés à l’euro près, le résultat sera peut-être « neutre » pour les finances publiques locales. Mais comment imaginer un seul instant que cela soit aussi « neutre » pour chaque contribuable pris individuellement puisque la base sur laquelle il sera imposé va changer. Il y aura des perdants et des gagnants dans la réforme. Enfin, dernier parti-pris, « la suppression de la taxe d’habitation emporte l’obligation de la remplacer par :
- « une ressource d’un montant équivalent, afin de garantir à chaque collectivité une compensation intégrale de la suppression de la taxe d’habitation ;
- une ressource qui devra être en grande partie de nature fiscale afin de proposer aux collectivités et intercommunalités impactées une recette assurée et dynamique et de respecter les ratios d’autonomie financière définis dans la loi organique de 2004« .
Deux choses doivent vous frapper dans cet extrait : « la compensation intégrale », c’est-à-dire qu’aucune économie n’est envisagée ; et « une recette assurée et dynamique », c’est-à-dire qui est appelée à augmenter.
La solution ? Embrouiller pour spolier le contribuable local
Quand je pense que certains commentateurs affirmaient que le président Macron avait trouvé avec la suppression de la taxe d’habitation de quoi contraindre les communes à réduire leurs dépenses ! Il semble que nous en soyons loin. Examinons maintenant de manière synthétique les propositions de Richard et Bur. La solution préconisée pour remplacer la taxe d’habitation est de transférer aux communes une part départementale et une part intercommunale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). En effet, la taxe d’habitation représente (en 2016) 15,1 Md€ de recettes pour les communes. Ce montant équivaut à ce que perçoivent les départements et les intercommunalités de la TFPB. Bien sûr, des communes recevraient davantage, d’autres moins. Un fonds de compensation serait alors créé pour prélever aux unes et reverser aux autres.
Dans ce scénario, les intercommunalités, déjà privées de la part de la taxe d’habitation qui leur revenait, seraient également privées de leur part de TFPB. Au total, ce sont huit milliards d’euros qu’il faudrait compenser. Quant au départements, ils se verraient soustraire 13,8 Md€ de TFPB. Les rapporteurs ont la solution : attribuer à ces deux niveaux de collectivités une part d’impôt national, en l’occurrence une fraction de la TVA et un peu de TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques). Bref, la solution des brillants esprits rédacteurs du rapport consiste à remplacer l’usine à gaz existante par une nouvelle usine à gaz.
L’augmentation programmée de la taxe foncière
Les communes tirant désormais une grande partie de leurs ressources de la taxe foncière, il apparaît évident pour Richard et Bur qu’il faut réviser les valeurs locatives des locaux d’habitation. Ces dernières datent des années 1970 et sont obsolètes. Mais n’est-il pas également obsolète d’asseoir un impôt local sur l’équipement des ménages en eau courante, électricité, gaz, chauffage, lavabo, baignoire, douche et WC ? Va-t-on ajouter à cette liste la présence de la fibre, du wi-fi, de panneaux solaires ou encore d’un jacuzzi ? C’est peut-être cela que Richard et Bur appellent une « recette dynamique » ! Le pire est donc à craindre. Surtout qu’il existe un précédent : la révision des valeurs locatives des locaux professionnels. Selon les simulations de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), les commerçants dont les boutiques sont implantées dans un centre commercial ou une galerie marchande verront leur cotisation de taxe foncière progresser chaque année pendant 10 ans pour atteindre en moyenne une hausse de 47% en 2026.
Au total, l’administration considère que 85% des commerçants subiront une hausse des impôts locaux. Les maisons de retraite verront leur taxe grimper de 37% en 10 ans ; les crèches et haltes garderies de 25% ; les déchetteries et parcs de stationnement de 35%. Il s’agit là bien sûr de moyennes, les hausses pourront donc être plus élevées pour certains professionnels. Quelques-uns verront leur taxe baisser.
Reprenant le satisfecit que s’est attribué l’administration, Le Figaro du 26 janvier 2018 titrait : « Fiscalité : la révision des valeurs locatives des entreprises est un succès ». Le quotidien n’oubliait cependant pas de préciser que la réforme a été « façonnée afin d’être le plus indolore possible, voire de passer inaperçue, les premières années pour ses assujettis » puisque les corrections ont été lissées sur 10 ans. On en reparlera donc en 2028. Quand on sait que cinq années ont été nécessaires pour passer en revue les 3,3 millions de locaux professionnels, on imagine l’ampleur de la tâche pour les 43 millions de locaux d’habitation.
Les propriétaires et les entrepreneurs, seuls contribuables communaux
En résumé, avec les entrepreneurs, les propriétaires fonciers vont donc devenir les seuls contribuables communaux. La base fiscale va donc encore se réduire. Une vraie réforme aurait, par exemple, consisté à mettre en place un impôt local de capitation tenant compte du nombre de personnes habitant le foyer. Après tout, plus on est nombreux dans une maison ou un appartement, plus on est susceptible d’utiliser les services municipaux : voirie, écoles, crèches, équipements sportifs, bibliothèques, retraitement des déchets, etc. Ce n’est sûrement pas la taille du logement, ni son confort et encore moins les revenus du foyer qui devraient être pris en compte. Mais vous l’avez compris, ce n’est pas la voie choisie par messieurs Richard et Bur. Si tout cela reste encore flou, une chose est certaine : vous allez payer davantage !
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