Paradis fiscaux : aller au delà de l’indignation 

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Par Bernard Cherlonneix Publié le 20 avril 2016 à 5h00
Panama Papers Evasion Fiscale France
@shutter - © Economie Matin
12 milliards ?En 2015, l'Etat français a recouvré 12 milliards d'euros liés à l'évasion fiscale.

Sur cette nouvelle affaire de Panama, il est d’abord indispensable d’aller jusqu’au bout de l’indignation (jusqu’à Singapour par exemple). Ce n’est pas si évident que cela à voir le nombre de mines faussement effarées qui prétendent « découvrir » aujourd’hui le pot aux roses.

Mais il faut aussi aller au-delà de l’indignation, non seulement en s’assurant que seront bien punis de manière exemplaire les « truands » de haut vol qui se cachent derrière des apparences de notable, mais également, dans une vision de plus long terme, en incitant les capitaux et les personnes qui ont fait fortune à rester sur place et à investir chez nous.

Aller jusqu’au bout de l’indignation, en poursuivant de manière impartiale toutes les personnes coupables de fraude fiscale, ne pas s’en tenir à un seul cabinet panaméen, ou à un seul paradis fiscal fût-il emblématique, qui servirait commodément d’arbre cachant la forêt de la fraude généralisée. S’opposer résolument à refuser l’évasion fiscale organisée, moralement tout aussi inadmissible, qui permet aux « riches » d’éviter l’impôt légalement et creusent les déficits publics. Cela n’implique pas d’aller jusqu’à rémunérer les lanceurs d’alerte, ce qui reviendrait à corrompre les trop rares incorruptibles, mais à les protéger effectivement contre les retours de bâton téléguidés par ceux qu’ils dénoncent, en particulier leur hiérarchie dont le Conseil d’Etat voudrait faire un point de passage obligé. Cela veut dire aussi s’interroger sur la réalité de ce que découvrent les administrations fiscales lors de révélations postérieures à des mois d’enquête secrète menées par des centaines de journalistes. Il paraît en effet difficile de croire qu’un secret partagé par des centaines de journalistes ait pu être aussi bien gardé aussi longtemps, ou il nous faut vraiment douter de la qualité des services de renseignement. Il paraît également difficile de croire que les administrations fiscales ignoraient totalement ce qui vient d’être rendu bruyamment public. Que signifie ce silence et même ce déclassement du Panama de la liste noire des pays suspects de participation au blanchiment des capitaux ?

Mais il faut aller au-delà de l’indignation : d’abord en punissant de manière exemplaire et sans exception toutes les personnes, publiques en particulier, qui fraudent l’impôt d’une manière ou d’une autre, par exemple en sous-évaluant leur déclaration de patrimoine, sans s’en tenir à quelques bouc-émissaires faciles et déjà bien connus, comme Jérôme Cahuzac ou Patrick Balkany. Bien des ministres ou parlementaires ont sous-évalué leur patrimoine lorsque l’affaire Cahuzac a enfin conduit à soumettre ministres et députés à une obligation de déclaration de leur patrimoine. Il fut même alors furtivement question de sous-évaluation du patrimoine du chef de l’Etat. Qu’en est-il exactement ? Le citoyen saura-t-il un jour si ces interrogations ont fait l’objet d’une investigation approfondie et quel en a été le résultat ? Ou sommes-nous bien dans une république bananière de type panaméen, juste un peu plus sophistiquée ? A peine le scandale de l’affaire Cahuzac aplanie, aussi énorme que ce nouveau scandale de Panama, l’omerta habituelle semble redevenue de rigueur. Peut-il d’ailleurs en être autrement dans un pays où les journalistes n’ont pas su résister à l’avantage compromettant d’une déduction fiscale spéciale et où la presse est habituellement subventionnée et aidée ponctuellement par chaque nouveau Gouvernement ? Irons-nous vraiment au-delà de cette « chasse aux sorcières largement hypocrite » ?

Mais on ne peut se contenter de réclamer et veiller à ce que justice soit faite sans s’interroger sur les raisons que « les capitaux » et les personnes fortunées ont de quitter un pays, en prenant le risque d’être poursuivis et en payant en frais d’intermédiation des sommes qui, ajoutées aux diverses gênes de résidence et d’utilisation de leur fortune, finissent par représenter une taxation d’ordre privé non négligeable de leur fortune et de leur bien-être. Pourquoi tant d’exilés fiscaux aux frontières de la France, pourquoi tant de niches fiscales qui aboutissent pour notre pays à l’équivalent économique de ce que Newsweek avait appelé au début du quinquennat de François Hollande une « révocation de l’édit de Nantes » ?

Ne vaudrait-il pas mieux s’efforcer de tarir, ou réduire, à la source fraude et évasion fiscales en adoptant une fiscalité raisonnable et stable, soutenue de manière transpartisane, pour évacuer la crainte d’un retour en arrière. Punir certes, mais aussi prévenir l’évasion, afin que « ces 600 milliards qui manquent à la France » lui profitent et fécondent enfin son territoire en investissements nouveaux créateurs d’emplois, en évitant une fiscalité considérée comme punitive par les gens fortunés, sans tomber pour autant dans une fiscalité au rabais qui ne s’impose pas dans un pays naturellement attractif. Adopter une fiscalité modérée permettrait en outre de supprimer ces niches fiscales exotiques sans aucun intérêt économique pour le pays qu’un législateur fiscal incohérent laisse subsister. Ne serait-il pas imaginable par exemple d’échanger la suppression de l’impôt sur le capital par la création d’une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu ?

« Quand je vois le Travail lutter contre le Capital, disait l’économiste et pamphlétaire Frédéric Bastiat après la révolution de 1848, je crois voir la misère repousser l’aliment ». Une politique fiscale d’intérêt national ne doit-elle pas prendre en compte cette évidente complémentarité en sortant enfin de son immaturité économique ? La pénalisation des fraudeurs n’en serait que plus légitime et plus efficace.

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Bernard Cherlonneix est Président de l’Institut pour le Renouveau Démocratique.

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