Chacun connaît le syndrome de Stockholm: les otages, à force de vivre avec leurs geôliers, subissent une contagion émotionnelle qui les conduit à prendre fait et cause pour ceux-là contre leurs libérateurs.
Avec une dépense publique qui atteint les 57% du PIB, la France vit un syndrome de Stockholm: plus l'Etat l'emprisonne, plus elle semble l'aimer.
Le philosophe Georges Steiner, dans un entretien au Monde du 11 mai, ne dit pas autre chose lorsqu'il parle de l'acédie de la jeunesse française, c'est-à-dire de cette étrange passivité qui conduit nos jeunes à ne pas s'intéresser au destin politique du pays, ni aux enjeux collectifs. Les générations qui arrivent à l'âge de la majorité ont en effet toutes vécu dans un pays étatisé, où la majorité des richesses faisait l'objet d'une mutualisation, et où les citoyens semblent déléguer à cette grande machine institutionnelle la prise en charge des besoins collectifs.
Pour Georges Steiner, ce glissement économique a une forte incidence sociale et culturelle: habitué à un monde où l'Etat assume la responsabilité collective, les individus se sentent déliés de toute obligation vis-à-vis du groupe. Ne reste que l'affirmation égotiste de leurs désirs immédiats et proches, sans aucune appropriation du bien commun, et avec une forte subordination à un environnement hyper-normé et sur-encadré.
Ce constat brutal mérite qu'on y réfléchisse à deux fois: le transfert vers l'Etat de la responsabilité individuelle n'est pas, à long terme, un jeu à somme nulle.
Avant même la naissance, le petit Français est entouré de règles, de statistiques, d'obligations, mais aussi de prises en charge qui sont autant d'amortisseurs collectifs contre le risque individuel. Ainsi, durant la gestation, le nombre d'échographies est programmé, ainsi que leurs dates. Toute échographie donne lieu à une série de statistiques sur la position du foetus par rapport à la norme (norme de taille, de poids, dans tous les sens).
Lorsqu'il voit le jour, le petit Français est déjà inscrit dans une sorte d'immense Babel techno-statistique où l'essentiel des risques qu'il encourra dans sa vie est catalogué, mesuré, évalué, afin d'en limiter au maximum la portée. Toutes ces informations sont stockées dans une immense base de données gardée jalousement par la Sécurité Sociale.
Dès qu'il rentre à l'école, c'est l'Etat qui prend le relais, avec la «base élèves» qui va compiler toutes les données nécessaires à la compréhension du destin scolaire de notre petite tête blonde. La grande machine étatique entreprend la modélisation du citoyen dès son arrivée dans le monde du savoir. Pour ne plus jamais le lâcher par la suite.
Cette mécanique n'a pas que des inconvénients: globalement la qualité de vie des Français est bonne. Chacun aura aussi souligné que les inégalités progressent moins vite en France que dans les autres pays industrialisés.
Mais, signe des temps, la performance française par rapport aux autres pays du monde s'altère peu à peu. En 2009, la France était encore le 8è pays mondial en termes de développement humain - indice qui prend en compte des éléments non-économiques dans son classement. En 2013, elle n'est plus qu'à la 20è place. Dans le même temps, l'Allemagne, qui ne figurait pas dans les 20 premiers en 2009, est passée à la 5è place.
Ne faut-il pas voir ici le dangereux dérapage induit par un excès d'étatisation et de mutualisation des risques et des responsabilités individuels?
Peu à peu, la dépendance individuelle vis-à-vis de l'action collective est devenue, en France, un sujet existentiel. Là encore, elle commence dès le plus jeune âge. Voulez-vous élever votre enfant librement? Vous êtes malgré tout gentiment invité à trouver dès les premiers mois de vie une structure collective de prise en charge de votre enfant, organisée selon des principes où vous n'avez pas votre mot à dire. La scolarité dès 3 ans est devenue la norme. On parle même (malgré la pénurie de moyens) de l'avancer à 2 ans.