Experts, entreprises, cabinet d’études, tout le monde s’accorde à dire qu’une grave pénurie de compétences frappe le secteur de l’IT et spécifiquement celui de la cyber sécurité.
Mais il semblerait que nous nous trompions légèrement de problème… En effet, s’il existe un réel souci de compétences, ne serait-il pas plus sur la qualité des profils que sur leur quantité ?
Les ESN (anciennes SSII) sont particulièrement touchées par ce problème de compétences, mais elles semblent surtout faire face à un turn-over très important. Ne devrions-nous pas alors nous interroger sur les raisons qui poussent les profils techniques à déserter les troupes des ESN ?
Génération « sales gosses » ?
En parlant de troupes, il semble justement que les professionnels de l’IT n’ont plus rien de braves petits soldats. Nous verrons pourquoi plus tard mais les équipes techniques sont majoritairement constituées de jeunes générations. Et le moins que l’on puisse dire c’est que leurs aspirations n’ont plus rien à voir avec celles de leurs parents.
Il ressort que l’intérêt du poste, les missions, les clients, ne font plus toute la beauté d’un job. Le salaire, les facilités, la qualité de vie au travail (Cf : Mouvement Great Place To Work®), la préservation du temps personnel et des loisirs, la situation géographique, le temps de trajet domicile-bureau, les solutions de mobilité comme le télétravail, les outils numériques, sont autant de facteurs qui font grimper le baromètre de l’entreprise « bonheur ». Malgré les efforts consentis pour séduire les candidats, notamment des hausses de salaire qui à dires d’experts ne sont pas la garantie ni de la rigueur ni de la compétence et encore moins de la fidélité, n’est pas « boîte fun » qui veut. Il est bien loin le temps où on passait toute sa carrière dans une même entreprise. Combien de jeunes actifs après des études longues, surtout dans le tertiaire, ont d’ailleurs fait le choix de tout plaquer pour aller vers des métiers plus concrets, plus artisanaux, des métiers de contact ?
Si certains y voient un phénomène d’enfants gâtés, il n’y a cependant pas que dans l’IT que s’amorce cette tendance. En revanche, c’est toujours plus facile de se permettre d’avoir des exigences très élevées dans un secteur où on s’arrache vos compétences… C’est l’implacable logique de l’offre et de la demande. Il n’est d’ailleurs pas rare de rencontrer des profils qui testent plusieurs entreprises avant de faire un choix.
Des missions inintéressantes ?
Si les modes de vie ont changé, la qualité des missions confiées aux profils techniques joue aussi problablement dans ce jeu du désamour. En effet, les ESN ont peut-être parfois tendance à « survendre » les projets pour faire venir ces professionnels. Or, les missions consistant à développer des nouvelles technologies, à déployer des projets concrets de bout-en-bout se font plutôt rares. Et quand des projets de cette ampleur tombent, ils ne peuvent être confiés à des profils faiblement qualifiés. S’il existe bien une pénurie, elle semble bien porter sur ces « experts » IT, des experts de compétence verticale, c’est-à-dire sur un domaine bien pointu comme celui du Cloud, du Pentest de haut niveau, de la détection ou encore de la remédiation.
Un modèle ESN non valorisant
Beaucoup de professionnels se disent par exemple « Pentesteur » mais il serait un peu galvaudé (comme souvent avec le qualificatif d’expert) de les considérer directement comme des experts… en effet, les experts expérimentés et justifiant d’un très bon niveau dans l’IT se font en effet rares. Mais pour quelle raison ?
A cela, deux raisons concomitantes : d’abord, parce que la France est un pays qui traditionnellement n’aime pas l’informatique, une activité peu intellectuelle dans l’imaginaire commun. La seconde, qui en découle, est l’exclusion de la technique dans le modèle de carrière français. Ne vous a-t-on jamais présenté ce magnifique graphe en « Y » représentant les échelons de votre carrière ? Ce graphe vous montre que si vous commencez comme un technicien dans votre domaine, vous terminerez inexorablement, vers des métiers de manager. Il est impressionnant de voir combien ce modèle de plan de carrière largement partagé dans toutes les grandes entreprises françaises ne prévoit pas d’évolution vers de l’expertise technique poussée.
Le modèle économique choisi par la plupart des ESN n’aide pas forcément. Placer des personnes chez des clients pour des périodes de moyen ou long terme qui n’appartiennent pas tout à fait à leur ESN et pas tout à fait au client en font des apatrides qui n’aide pas à leur valorisation. A l’issue, quand les uns franchissent le pas de se faire embaucher par les clients, les autres optent pour le statut d’indépendants pour être maîtres de leur temps et de leurs activités. C’est ce qui explique pourquoi les ESN ont tendance à avoir un nombre important de jeunes diplômés ou de jeunes actifs mais finalement peu d’« experts expérimentés ». Pour certaines, elles intègrent même dans leur modèle de croissance une règle par défaut de turn over autour de laquelle se tisse la stratégie. Au bout de trois ans par exemple, une ESN peut considérer qu’elle n’a plus rien à tirer d’un salarié. Ce cercle vicieux alimente un système schizophrénique qui a tendance à se tirer vers le bas, tant en termes de missions gagnées, que de profils.
Dans ce modèle, la perte des profils techniques est aussi due à la rivalité technico-commerciale qui sévit dans les ESN. En effet, la priorité est souvent donnée davantage aux forces commerciales qu’aux techniciens, ce qui se traduit notamment par une forte disparité des salaires. Heureusement les choses évoluent.
L’approche DevOps, DesSecOps : une nouvelle aire
Le modèle ESN décrit est non seulement vieillissant économiquement parlant, mais se confronte à un nouveau modèle économique. Au-delà d’avoir désacralisé le monde de l’entreprise, le nouvel eldorado de l’entrepreunariat – dont notre président parle tant - a eu pour effet d’impliquer de plus en plus les individus dans la vie de l’entreprise. Aujourd’hui, et c’est surtout vrai chez les profils IT, le besoin de savoir où va l’entreprise (comment et avec quelle stratégie ? etc.) est devenue une préoccupation importante pour faire des choix pragmatiques.
C’est pourquoi la généralisation de l'approche DevOps et Agile apporte un renouveau notamment en matière de revalorisation des profils IT. C’est une organisation un peu nouvelle avec la séparation du rôle de responsable d'équipe (Team Lead) et du responsable technique (Tech lead), replaçant ainsi la technique à équidistance du métier et en lui redonnant voix au chapitre. Les deux profils doivent travailler de concert pour aider les équipes à s'épanouir, tout en garantissant la pertinence et la bonne réalisation des projets techniques.
Dans ce monde de l’IT qui se tend chaque jour un peu plus, avec des sociétés tournées radicalement vers leur transformation digitale, nous ne pouvons qu’encourager les jeunes générations, au risque de devenir des professionnels très vite dépassés et obsolètes sur le marché, de profiter des premières années pour développer leurs compétences, emmagasiner un maximum d'expérience, pour non seulement avoir la chance de devenir des références un jour dans leur métier et de pouvoir prétendre dans quelques années à un salaire à la hauteur de leurs attentes.