Assurance-chômage : tirer la leçon de l’échec

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Par Jacques Bichot Modifié le 23 mars 2023 à 9h55
Assurance Chomage France Echec Reforme
@shutter - © Economie Matin
2,4 %Un employé cotise à 2,4 % pour l'assurance-chômage, plus de deux fois moins qu'un employeur.

Les négociations entre partenaires sociaux relatives à l’Assurance chômage ont pris fin sur un constat d’échec, parce que le patronat ne veut pas augmenter les cotisations chômage employeur.

Les pouvoirs publics vont se substituer aux partenaires sociaux. Pôle-emploi continuera à verser des allocations de chômage, et aucune leçon ne sera tirée de ce vaudeville : la France restera empêtrée dans une conception obsolète de sa protection sociale, alors que les évènements en cours fournissent une occasion, si l’on se donne la peine de réfléchir, de faire un grand pas en avant.

Les taux ordinaires de la cotisation chômage sont jusqu’à ce jour 4 % pour la part employeur, et 2,4 % pour la part salarié. Par exemple, pour un salaire brut de 3 000 €, cela fait 72 € de moins en salaire net et 120 € de plus à débourser pour l’entreprise. Supposons que le salaire brut passe à 3 120 €, que les taux des différentes cotisations sociales soient ajustés en conséquence (0,962 % sur 3 120 € suffisent pour remplacer 1 % sur 3 000 €), et que la cotisation chômage soit désormais uniquement salariale : pour récupérer 192 € sur 3 120, il faut un taux (exclusivement salarial) de 6,154 %. Rien ne changerait, en ce sens que l’assurance chômage percevrait toujours la même somme, l’entreprise supporterait toujours le même cout salarial, et le travailleurs toucherait toujours le même salaire net. Rien ne changerait, et pourtant tout serait changé.

Le patronat n’aurait plus à négocier avec les syndicats, puisqu’il n’y aurait plus de cotisation patronale. Aux syndicats de s’entendre entre eux pour fixer la cotisation chômage, exclusivement salariale. Que le taux de la cotisation passe par exemple de 6,154 % à 6,5 %, les chefs d’entreprise n’en auraient plus "rien à cirer", ce serait exclusivement l’affaire des salariés. Aux syndicats de se justifier devant leurs mandants s’ils veulent une assurance chômage très généreuse, et donc très coûteuse !

Naturellement, une telle réforme devrait comporter un second volet : l’assurance chômage ne bénéficierait plus de la garantie de l’État pour emprunter. En clair, elle serait obligée de fonctionner en équilibre, de ne pas distribuer plus que ce qui rentre sous forme de cotisations. Ainsi responsabilisés, les syndicats y réfléchiraient à deux fois avant de mettre en place des indemnisations trop coûteuses. Ils devraient enfin rendre des comptes à leurs mandants, les salariés, qui veulent certes une couverture convenable contre le risque chômage, mais pas une garantie luxueuse tirant trop vers le bas leur rémunération nette.

Dans le système actuel, l’existence d’une cotisation patronale, et le fait que cette cotisation est supérieure des deux tiers à la cotisation salariale, incite à croire que ce sont les employeurs qui paient seuls la plus grosse partie de la note. Ce qui est inexact : l’argent versé pour les chômeurs réduit d’autant le salaire net, car l’entreprise n’a pas un trésor caché dans lequel elle pourrait puiser : si elle cotise davantage pour le chômage ou la sécu, c’est autant de perdu pour les futures augmentations de salaire brut et net.

La vérité des prix est une des conditions du bon fonctionnement de l’économie. L’existence de cotisations patronales d’assurance chômage, comme celle de cotisations patronales de sécurité sociale et de retraites complémentaires, est en contradiction avec cette vérité ; elle brouille les perceptions de la réalité, qui est pourtant simple : l’entreprise paie au salarié le salaire super-brut, et celui-ci paie toutes les cotisations patronales, aussi bien "employeur" qu’ "employé". Tant que cette réalité sera occultée par une organisation inadéquate du financement de notre protection sociale, les responsabilités resteront diluées, mal définies … et la mauvaise marche de l’économie, conséquence inéluctable, interdira le retour au plein emploi.

Article publié initalement sur Magistro

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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