A en croire les rapports, il semble n’y avoir en France aucune solution, en dehors du redressement de notre économie, pour contrer les chiffres effrayants du chômage.
Et si cette situation trouvait ses fondements dans notre conception même du travail ? Faudra-t-il encore longtemps se laisser freiner par des cadres normatifs qui n’existent plus que dans les esprits ? L’audace, selon la sociologue Elsa Godart, c’est remettre en cause ses conditionnements. L’audace dans le travail, s’émancipe au regard…
D’un fatalisme béat
Les chiffres en faveur des nouveaux modes de travail n’en finissent plus de tomber. Encore récemment, un sondage Syntec Numérique faisait ressortir le fort plébiscite des cadres pour le télétravail. Et s’engouffrant dans la brèche (ou par l’effet combiné de la coïncidence heureuse et du réveil brutal), l’Etat lance son plan national de déploiement du télétravail, dans une volonté toujours de bon aloi de redynamiser les zones rurales. Mais la prudence incite à en parler au futur, voire au conditionnel, le plan étant subordonné à d’hypothétiques discussions et palabres entre élus locaux et partenaires sociaux.
L’on sait où cela mène. En général, les négociations vident de leur substance toute réforme un tant soit peu musclée ou ambitieuse, et ne tiennent étrangement jamais compte des besoins des premiers concernés, les entrepreneurs. S’il fallait ne citer qu’un exemple, les zones de revitalisation sont toutes désignées. Conçues par le prisme des territoires fragilisés, elles ont conduit à des effets d’aubaines par une forte défiscalisation mais n’ont pas plus encouragé les entreprises pourvoyeuses d’emploi à s’implanter en zones rurales. Le manque d’infrastructure de transports et l’absence de marché sont les premiers freins et le resteront.
Cela n’empêche pas les auteurs des nombreux rapports présentés devant l’assemblée nationale de déplorer, à la volée, les effets de la crise, le taux de chômage, la fermeture des usines laissant derrière elles des centaines de chômeurs qui ne trouvent pas à valoriser leurs années d’expérience professionnelles. Et le système traditionnel de se mettre en branle, avec force annonces des organes syndicaux criant au scandale, pendant que Pôle Emploi peine à reclasser une population entrée par la grande porte dans le très enviable statut de chômeur à tendance longue durée.
D’un conservatisme de conditionnement
La situation pourrait ne pas être aussi dramatique si l’on ne la doublait pas d’efforts et d’effets de manche pour empêcher toute tentative de dégager des solutions originales au problème. Le portage salarial vient à nouveau de faire les frais d’une jurisprudence à la limite du grotesque, remettant en cause la relation entre le porté et sa structure de portage. Alors que le portage salarial est reconnu et organisé dans les textes, la Cour de Cassation n’hésite pas à requalifier le contrat de prestation en contrat de travail à durée indéterminée, une aberration qui n’est dans l’intérêt de personne et qui portera peut-être un coup fatal à ce schéma, pourtant plébiscité.
Le homeshoring est une autre solution originale à la reprise d’une activité. Mais las, il n’entre dans aucune case généreusement déterminée par notre indétrônable code du travail, si farouchement défendu par les détenteurs privilégiés d’un emploi. Et pour cause ! Le homeshoring n’est pas non plus de l’emploi salarié. Il a l’outrecuidance de reposer sur le statut d’indépendant. La conséquence pour ces regroupements organisés de travailleurs ? L’impossibilité de soumettre une offre dans le cadre de marchés publics de centres d’appel, où décidément, tradition rime avec stupéfaction. Le carcan administratif dans lequel sont enfermés les contrats publics prive autant les acheteurs publics d’économies substantielles que les travailleurs, d’opportunité de travail.
Il y a une incapacité effroyable des pouvoirs publics à valoriser les nouvelles formes d’emploi et une mauvaise volonté manifeste. Cela passerait encore si parlant d’indépendant, il s’agissait d’une cohorte d’avocats, de médecins, d’architectes. Mais les nouveaux venus dans le business ne sont pas de cet acabit et ne bénéficient pas du même regard bienveillant. Ils sont de tous jeunes entrepreneurs mais anciens salariés, séduits par une réforme qui mérite encore que l’on en parle : l’auto-entreprenariat. Une solution souple, sans grande prise de risque, idéale pour se frotter (souvent pour la toute première fois) au parcours de l’entrepreneur.
Parfait, dira-t-on. Trop parfait à l’évidence. Et l’on ne compte plus les prises de paroles sanguinaires à l’égard de ce nouveau public, d’un président d’une caisse de retraite complètement dépassée par les évènements (et qui a manifestement raté le train de la transformation digitale) à notre ex-président de la République, qui semble avoir perdu de vue les raisons qui l’ont poussé à soutenir ce statut.
D’un aveuglement coupable
C’est manifestement une tendance de fond de chercher à paralyser toute initiative de création d’activité, au profit du maintien d’une conception du travail qui ne protège que les autres, de moins en moins adaptée aux besoins des entreprises et des travailleurs eux-mêmes.
A en croire nos juges, le législateur, les partis politiques et les responsables syndicaux, le choix de l’indépendance, particulièrement après une période de chômage, relèverait nécessairement d’un choix par défaut, un statut faute de mieux. Mais n’est-ce pas plutôt les conditions dans lesquelles nous évoluons qui ne présentent plus le même attrait, les mêmes garanties, incapables de nous mener vers plus de paix sociale ?
Le plébiscite des cadres pour le télétravail, à contre-courant des employeurs qui en refusent ne serait-ce que le principe, ne témoigne-t-il pas d’un mouvement d’ensemble plus large pour d’autres formes de travail, vers plus d’autonomie et justement d’indépendance dans l’organisation de sa vie ?
En d’autres termes, combien sont-ils déjà à travailler depuis chez eux, ayant avec succès intégré l’univers professionnel au sein de la sphère privée, se félicitant d’un équilibre retrouvé dans le couple et auprès de leurs enfants ? Des milliers. ?Combien sont-ils à pouvoir techniquement le faire, par le biais d’une technologie devenue mâture et grand public, mais sont encore dépourvus du soutien sans faille des pouvoirs publics ? Des milliers également.
Pourtant, il ne manque plus grand-chose pour répondre efficacement aux besoins des entreprises de s’associer des compétences de manière souple, sans risquer le dépôt de bilan à chaque nouveau cycle dépressionnaire.
La création d’entreprise, sous toutes ses formes, n’est pas qu’une réponse à une crise qui épuise nos forces. Elle est le témoin de la volonté manifeste de briser les codes établis, dans le respect de sa personne et l’espoir d’un avenir commun fait de réussites. Il faut de l’audace pour dépasser les obstacles éminemment psychologiques et tendre vers des solutions qui, d’ores et déjà, sont accueillies par une société sans cesse en mouvement.