Ce matin, lorsque je me lève tout est normal. Un matin comme j’en connais depuis cinq mois à Washington. Le soleil pénètre à peine dans la chambre mais suffit à réchauffer la pièce et à me pousser à me lever. Tout est identique, sauf, presque, le paysage extérieur. La légère et fine couche de neige a laissé place à un manteau épais qui dépasse ostensiblement le mètre. La brique rouge des maisons n’en est que plus belle. Elle scintille dans ce paysage lumineux. Je m’habille en empilant deux paires de chaussettes, et je pars.
Comme tous les jours depuis bientôt six mois, je me dirige vers l’arrêt de bus qui m’emmène au centre de Washington. Une marche d’une dizaine de minutes avant d’embarquer pour une demie heure de trajets dans la campagne et la banlieue washingtoniennes. Les paysages défilent. Je vois les quartiers huppés de Georgetown où l’été, nous avions l’habitude de flâner au soleil près de la lagune. Je vois les ambassades de Dupont Circle, et au moment où je les dépasse, j’imagine l’ambassadeur et son corps diplomatique réglant les affaires du monde. J’aperçois, se rapprochant, le Washington Monument que j’ai pris pour habitude d’appeler, en bon patriote, « la Concorde américaine », hommage à cette place que j’ai tant vue au moment du défilé parisien du 14 juillet. Dernière étape avant d’arriver, au croisement de Pennsylvania Avenue et de la seizième rue, alors que j’indique au chauffeur que je souhaite descendre au prochain arrêt en tendant légèrement sur la corde qui traverse le bus en longueur, je tourne la tête sur la droite et je la vois. La Maison Blanche. J’imagine le Président américain faisant les cent pas. Et je réalise la chance que j’ai d’être au cœur de la capitale américaine. Je m’évade, et je me laisse aller à de l’autosatisfaction voire à de l’autocongratulation. Quelle fierté d’être au cœur de la diplomatie mondiale, de pouvoir toucher du doigt ce que nous avons de plus précieux, la fabrique de la Paix, la coopération entre les États, la défense du monde libre…bref, une envolée lyrique intérieure stoppée nette par le frein brutal de la conductrice qui m’indique de descendre. Une nouvelle journée commence.
Ce dont je ne me doutais pas, c’est que ce mercredi allait pour toujours marquer mon séjour américain.
Une fois rejoint mon bureau au sixième étage, mes collègues et partenaires de travail me regardent différemment. Avec compassion.
Je rejoins mon bureau et je découvre la situation. Une fusillade a eu lieu dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo.
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