Signe des mutations de l’économie en Chine, les milliards ne se gagnent plus seulement grâce au charbon, à la bourse ou à la pierre. Internet devient un véritable vecteur d’enrichissement. Allure décontractée et sourire charmeur, Robin Li, le fondateur de Baidu (le Google chinois), ressemble plus à un jeune premier du cinéma hong-kongais qu’à un geek multimilliardaire. Et pourtant. Ce quadra originaire d’une famille pauvre du Nord-Est de la Chine est devenu l’un des hommes les plus riches de Chine. Le Bill Gates, le Mark Zuckerberg ou le Steve Jobs de demain ? Peut-être bien.
Lors de la Technology Innovation Conference, grand-messe annuelle de Baidu à Pékin, des fans agitent des panneaux au nom de Robin Li. La star en question s’approche du pupitre. Un écran géant de cinquante mètres de long sur six mètres de haut retransmet en direct le moindre de ses gestes. Si certains patrons ont des admirateurs, le jeune et charismatique fondateur de Baidu, l’équivalent chinois de Google, possède un véritable fan-club. À chacune de ses conférences annuelles à Pékin, une trentaine d’étudiants attendent patiemment au pied de l’hôtel China World, dans l’espoir d’apercevoir leur idole. Lorsque l’homme, parmi les plus riches de l’année 2012, s’extrait de son véhicule noir, la foule scande son nom. Parfois, il accepte de prendre la pose, avant d’aller répéter une dernière fois son discours. Si Baidu est soupçonné d’orchestrer ce genre de manifestations, allant jusqu’à payer l’avion et l’hôtel aux jeunes, son créateur n’en reste pas moins l’exemple type du jeune entrepreneur chinois décomplexé.
Robin Li, qui a démarré sa carrière aux États-Unis, dans la Silicon Valley, a vite compris qu’un moteur de recherche pouvait changer la vie de millions de personnes. Fort de cette vision, il est rentré en Chine et a lancé Baidu en 2000, à la veille de l’explosion du nombre d’internautes et de la formidable croissance du marché publicitaire. Dès 2004, son entreprise est devenue rentable. Un an plus tard, la société a fait une entrée triomphale en bourse, avec une progression de 355% en quelques heures. C’est lui, notamment, avant son concurrent américain, qui a introduit le concept génial du pay per click consistant, pour un site Internet, à payer pour que le lien de sa page apparaisse parmi les premiers résultats de l’outil de recherche. Preuve que les Chinois peuvent aussi être des inventeurs, comme le furent leurs ancêtres. De nombreux annonceurs ont beau l’accuser de reléguer au second plan les résultats des sites qui diminueraient leurs investissements dans sa société, Robin Li reste confiant :
— J’espère que, dans dix ans, Baidu sera devenu un nom commun pour la moitié de la planète.
Depuis le retrait partiel de Google du marché chinois en 2010 et la signature d’un accord avec Bing de Microsoft pour fournir des résultats de recherche en anglais, son voeu pourrait fort bien s’exaucer. À l’heure actuelle, il capte plus des trois-quarts des requêtes en Chine. Résultat : pour Forbes, il fait carrément partie des sept personnes les plus influentes en Chine, aux côtés du président Hu Jintao et du Premier ministre Wen Jiabao. Il est le seul entrepreneur ainsi distingué par le magazine américain.
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Pourtant, le géant chinois se prépare déjà à la montée en puissance de nouveaux concurrents. Dans un email intitulé « Change starts with you and me » (« Le changement commence avec vous et moi »), Robin Li exhorte ses employés à se préparer au changement. D’emblée, il annonce que la priorité sera donnée à l’innovation et à la recherche de nouveaux relais de croissance. Ce qu’il redoute le plus, c’est la stagnation du groupe. « Nous risquons de devenir des dinosaures », écrit-il. « Si vous cherchez simplement à éviter les situations difficiles et si vous recherchez un emploi stable au lieu de vous battre pour réussir, alors, s’il vous plaît, partez maintenant, ou le bateau risque de couler », poursuit-il sans ambages.
Extraits de "Chine : Les nouveaux milliardaires rouges" par Laure de Charette et Marion Zipfel. Editions L'Archipel. 19,95 €.