Le 17 mars, la quasi-totalité de la vie économique française s’est brutalement arrêtée du fait du confinement du au Covid-19. Touché en plein cœur, le secteur des industries culturelles peine à entrevoir le retour des « jours heureux ». L’ensemble des acteurs du monde de la culture s’inquiète légitimement sur un avenir plus qu’incertain, pour ne pas dire sa survie, malgré les annonces et mesures prises par le Président de la République Emmanuel Macron. Pour décrypter les enjeux spécifiques de l’économie culturelle nous avons échangé avec Florence Provendier, députée LaREM de la dixième circonscription des Hauts-de-Seine. Au sein de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation elle coanime le groupe de suivi sectoriel de la crise du Covid-19 « médias – industries culturelles ».
Madame Provendier vous siégez au sein de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, comment avez-vous pu continuer à travailler durant la période de confinement ?
Florence Provendier : C’est en effet important de le souligner : l’Assemblée nationale a continué de travailler pendant toute la période de confinement. Après quelques jours de suspension de nos travaux, nous avons réussi à nous organiser pour que la vie parlementaire de notre pays puisse continuer.
Dès la mi-mars, la conférence des Présidents a décidé de mener une mission d’information pour suivre les conséquences de la crise sanitaire, dans la continuité de notre contrôle parlementaire de l’action du gouvernement.
Chaque commission a organisé un travail de suivi thématique. La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation dans laquelle je siège m’a confié la coanimation du groupe de travail de suivi sectoriel « médias & industries culturelles » avec ma collègue Elsa Faucillon.
Dans le strict respect des recommandations sanitaires, ces auditions que nous avons organisées se sont toutes tenues par visioconférence. Depuis le 16 avril, nous avons auditionné de multiples représentants du secteur des médias (TV, radio & presse) et des industries culturelles du livre, du disque, du cinéma, de la musique, en passant par les auteurs, compositeurs….
Ces tables rondes et auditions nous ont permis de suivre avec finesse les impacts de la crise sur des acteurs déterminants pour notre souveraineté culturelle. Ce travail a nourri nos propositions immédiates, à court terme pour la sortie de crise et à plus long terme sur les besoins structurels du secteur.
Pouvez-vous mesurer l’impact de la crise du Covid-19 sur les secteurs des industries culturelles et des médias ? Quelles lignes forces pouvez-vous identifier ?
L’impact est forcément différent si on isole chacune des filières : l’audiovisuel public ou privé, le cinéma, la presse, la musique ou le livre. Ce qui est certain, c’est que les conséquences du Covid19 sont dans chacun des cas très lourdes et malheureusement durables. La culture n’est pas un marché comme les autres, il s’épanouit grâce à des moments de partage. Le confinement les a limités, mais n’a pas fait reculer l’appétit culturel des Français, bien au contraire.
La baisse des investissements en communication atteindrait 2 à 2,4 milliards d’euros sur l’année selon L’Union des Marques (UDM), soit une diminution de 14 à 18 %. Cette crise révèle la fragilité des modèles économiques de nos médias qui sont dépendants d’une ressource principale : la publicité.
Plusieurs risques apparaissent : licenciements, faillites, baisse d’investissement dans la création, baisse de la qualité de l’information, appauvrissement du secteur, risque de concentration et de rachat par des grands acteurs étrangers, soit à terme c’est un risque pour notre souveraineté et notre modèle culturel.
L’audiovisuel public a montré pendant la crise toute son importance à la fois en matière d’information, d’éducation, de soutien à la création ou encore de divertissement. Il a néanmoins subi des pertes de recettes publicitaires et événementielles qui rendent impossible le maintien de la trajectoire budgétaire.
À titre d’exemple, d’après le baromètre bimensuel du CSA au 30 avril, les investissements publicitaires bruts sur les chaînes publiques et privées ont diminué? de 61 % durant les trois premières semaines d’avril par rapport a? l’année précédente ! Les cinémas, fermés depuis le 14 mars, risquent une perte de chiffre d’affaires qui pourrait atteindre entre 40 et 50 % sur l’ensemble de l’année, alors même que les Français ont passé 1 h de plus par jour devant le petit écran.
Idem pour les libraires qui pour d’autres raisons ont enregistré une baisse de 80 % de leur chiffre d’affaires durant le confinement, pouvant aller jusqu’à 100 %. Antoine Gallimard redoutant lui-même « une vague de faillites » dans les librairies, dont beaucoup sont le seul point d’ancrage culturel sur des territoires ruraux.
Au global pour ces industries, on parle d’une perte entre 7 et 9 milliards d’euros. Cela est colossal et montre combien ce secteur pèse pour l’économie et l’emploi dans notre pays. Ma conviction est que les industries culturelles doivent être une des locomotives de la relance, car cette exception culturelle française, est un de nos trésors en commun que le monde nous envie.
Et puisqu’il est question ici, de culture, d’économie et de « guerre », je ne peux résister d’évoquer les mots de Winston Churchill à qui on a demandé de couper dans le budget des arts pour l’effort de guerre, il a répondu : « Alors pourquoi nous battons-nous ? » La culture est une économie qui n’a pas de prix !
Plus particulièrement sur les enjeux de la filière du livre, vous étiez récemment à la rencontre des librairies de votre circonscription, quels sont les enjeux de ce secteur ?
Déjà fragiles économiquement avant la crise, ces commerces ont pu rouvrir et voir revenir les clients avec le déconfinement progressif depuis le 11 mai. C’était important pour moi d’aller à leur rencontre et d’échanger avec eux. Un déplacement auquel j’ai convié ma collègue Aurore Bergé, députée des Yvelines, qui coanime le groupe de travail de suivi sectoriel de la crise du Covid-19 « culture » à l’Assemblée nationale.
À Issy-les-Moulineaux, le vendredi 15 mai nous avons visité les librairies Caractères ou Gutenberg entre autres, qui ont chacune leur histoire et leur place dans la vi (ll) e. Toutes ont vécu le confinement de manière différente. Caractères, qui existe depuis 36 ans, une institution à Issy, a pu garder ses portes ouvertes du fait d’un point presse. Avant la crise, la presse était un produit d’appel pour la librairie, maintenant c’est l’inverse, les gens viennent acheter un livre et prennent la presse en passant. La librairie Gutenberg a continué de vendre des livres grâce au « clic and collecte ». Ils ont d’ailleurs reversé 10 % du chiffre d’affaires réalisé dans la période à la Fondation AP-HP pour la recherche. Je veux profiter de nos échanges pour leur dire merci, car même dans l’adversité on trouve toujours le moyen d’être solidaire.
Quelles sont vos préconisations pour accompagner cette filière en particulier ?
Que ça soit sur les libraires ou sur l’ensemble dans l’ensemble du secteur culturel, l’impact de la crise aura des répercussions à minima dans les deux prochaines années. Il faut un accompagnement stratégique sur le long terme avec des plans de relance spécifiques par filière. Dans la filière du livre, le centre national du livre (CNL) a amorti le choc grâce à une enveloppe de 5 millions d’euros débloquée en urgence par le Ministère de la Culture. Alors que nous amorçons la relance de l’activité économique, nous devons penser un plan plus ambitieux de soutien en renforçant les moyens alloués au CNL. Comme dans toutes les autres filières, les opérateurs de l’État ont et auront un rôle déterminant à jouer pour protéger, accompagner et dynamiser la reprise d’activité. À court terme : les médias et Industries Culturelles et Créatives (ICC) doivent être une des locomotives de la relance économique. À long terme : les médias et Industries Culturelles et Créatives (ICC) sont des secteurs stratégiques qui fondent notre souveraineté et notre identité culturelle.
Mais l’enjeu n’est pas seulement économique. Les librairies jouent aussi un rôle de lien social. C’est un lieu de vie formidable. Aller chez son libraire ne peut pas être remplacé par une barre de recherche sur les réseaux sociaux. Le libraire permet d’accompagner le lecteur dans le choix de son livre, dans ses préférences ou ses goûts, dans ses voyages imaginaires (avec zéro impact CO²). On pourrait dès à présent imaginer une fête du livre à l’automne d’ampleur nationale pour faire vivre nos commerces et promouvoir les nombreuses sorties littéraires qui ont été reportées à cause de la pandémie. Il faut être créatifs et ne pas s’empêcher d’imaginer de nouveaux rendez-vous et de nouvelles façons de faire vivre la culture.
Les collectivités locales ont aussi un rôle à jouer en complémentarité de celui de l’État. Par exemple, elles pourraient effectuer leurs commandes de livres pour les écoles ou les bibliothèques auprès des libraires locaux et renoncer au rabais de 9 % actuellement en vigueur. N’oublions pas que dans une commune, une librairie c’est aussi un lieu de rencontre créateur de lien social qu’il faut à tout prix préserver. En tant que députée d’une circonscription dans laquelle le livre représente une richesse importante, et tant que citoyenne passionnée par les lettres, je me tiens aux côtés de la filière du livre.