Commentant la désintégration de plusieurs hedge funds depuis la mi-septembre, un gérant britannique spécialiste des matières premières a déclaré la semaine dernière que les marchés sont peuplés de trois types d’intervenants :
– Ceux — les plus nombreux — qui ne comprennent pas ce qui se passe?
– Ceux qui savent mais qui ont ordre de se taire?
– Ceux qui subodorent que la situation actuelle ressemble beaucoup à celle qui a précédé la faillite de Lehman mais qui ne peuvent pas croire que l’histoire serait en train de se répéter… en pire.
Oui, en pire — parce que toutes les bulles d’actifs sont infiniment plus dilatées qu’il y a huit ans… parce que l’encours des dérivés se chiffre en centaines de milliers de milliards de dollars (on frôle le million de milliards)… parce que la contrepartie est devenue momentanément absente à plusieurs reprises sur un nombre impressionnant d’actifs cotés depuis le 24 août dernier…
Cela concerne plusieurs compartiments obligataires : les dettes high yield (notamment celles contractées par les producteurs de pétrole de schiste), les dettes d’entreprises, les dettes étudiantes et même les dettes souveraines en cas de pics de volatilité.
Il faut également compter avec les dérivés… où le scénario ressemble à une réaction en chaîne. En l’occurrence, il s’agit à la fois de dérivés de crédit (Glencore supporte 30 milliards de dollars de dette depuis le rachat de son grand rival XStrata en 2012), de matières premières (cuivre, charbon) et même d’indices boursiers majeurs comme le Nikkei 225.
L’Asie en mauvaise posture…
?En ce qui concerne la bourse de Tokyo, le problème vient des ETF à effet de levier. Leur succès est tel — une hausse de 120% de l’encours en 24 mois — que les titres du Nikkei 225 servant de collatéral subissent des pics de volatilité incoercibles et fortement déstabilisateurs. Un paroxysme a d’ailleurs été atteint fin août avec l’annonce de la dévaluation chinoise.
Le courtier Nomura, principal animateur sur le marché des ETF, a annoncé la semaine dernière qu’il jette l’éponge. En dépit des achats de la Banque du Japon, la bourse de Tokyo subit désormais des désinvestissements massifs de la part des gérants anglo-saxons qui ont maintenant compris que le Japon n’échappera pas au ralentissement économique planétaire.
La récente signature du TTP (Traité commercial trans-Pacifique), la version américano-asiatique du TAFTA — qui exclut la Chine –, ne peut que braquer encore plus Pékin et exacerber la rivalité entre les deux géants de la zone. Le seul suspense, désormais, concerne le timing du prochain épisode de a guerre des devises.
Certes, les deux géants asiatiques sont en perte de vitesse mais il est un peu court de les accuser d’exporter les pressions déflationnistes vers l’Occident. L’Arabie Saoudite porte en effet une lourde responsabilité dans l’effondrement des cours du pétrole, ce qui a asphyxié la plupart des autres pays producteurs, tous gros clients de la Chine.
Mais ça ne va pas mieux ailleurs… ?
Les Etats-Unis sont maintenant pris en sandwich. Il y a d’un côté le Canada, l’un de leurs principaux partenaires économiques, maintenant en récession… Et de l’autre le Mexique, un autre producteur de pétrole, qui a vu ses hypothèses de croissance pratiquement divisées par deux.
Il y a aussi le Brésil, ex-locomotive de l’Amérique du Sud, qui patauge en plein scandale politique suite au système de corruption massive mis en place par Petrobras. La présidente, Dilma Roussef, pourrait voir ses comptes de campagne retoqués et donc sa réélection invalidée.
Dans ce cas, une période d’incertitude sur fond de situation sociale explosive pourrait tenir les investisseurs éloignés encore très longtemps du Brésil. Le pays se raccroche désormais aux seuls Jeux olympiques de 2016 pour soutenir son activité d’ici juillet prochain.
Le sol qui supporte la croissance mondiale semble se dérober — quel que soit le continent où se porte le regard le détenteur d’actifs obligataires. Les pays émergents ont accumulé en 10 ans une dette de 3 000 milliards de dollars qui devient doublement insupportable en régime d’absence de croissance et de hausse du dollar.
Ladite hausse nuit également à la croissance des Etats-Unis — qui subissent simultanément en interne l’effondrement du secteur du gaz et du pétrole de schistes. La fermeté du billet vert est de surcroît déflationniste. Cette évidence est opportunément masquée par le dérapage à la hausse des loyers, qui découle directement du gonflement de la bulle immobilière encouragée par des taux zéro depuis 2009.
Et surtout pas à la Fed ! ?
La Fed, réputée privilégier une vision égoïste, devrait se faire une priorité d’endiguer la bulle immobilière : elle plombe le pouvoir d’achat des classes les plus défavorisées et pèse sur la consommation (70% du PIB US).
Mais de plus en plus de membres de la Fed soulignent l’impact négatif de la conjoncture mondiale sur la croissance américaine. Certains reconnaissent même que la simple anticipation d’une normalisation monétaire aux Etats-Unis a déjà produits des effets considérables sur les économies émergentes.
Dans une "économie-monde" plus intégrée qu’elle ne l’a jamais été, la Fed peut-elle ignorer ses principaux partenaires économiques ? Et qu’en est-il des flux de capitaux investis dans la dette américaine par ses principaux créanciers (moins de croissance en Chine, moins de recettes pétrolières dans les monarchies du Golfe assèchent les capacités de refinancement des Etats-Unis) ?
Les conditions ne sont clairement plus réunies pour tenir l’engagement d’une normalisation des taux d’ici fin 2015 — surtout dans un contexte de volatilité des marchés telle que nous l’observons depuis début août. C’est pourquoi nous ne souscrivons que partiellement à la thèse de Donald Trump. Selon lui, Janet Yellen se saisit de n’importe quelle excuse pour ne durcir les taux car elle sait très bien que cela risque de provoquer une amorce de récession qui torpillerait les chances d’Hilary Clinton de reporter la présidence en novembre 2016. Comme Donald Trump se voit déjà en train d’affronter l’ex-Première dame à partir de l’été prochain… il accuse Janet Yellen de chercher à avantager sa potentielle rivale démocrate.
Là où il se trompe à notre avis, c’est sur le point suivant : que la Fed agisse ou non, cela n’empêchera pas un scénario économique très funeste de se produire. La volatilité des marchés — c’est-à-dire la stratégie de désengagement des initiés — préfigure une inversion de polarité sur les marchés financiers. Les permabulls tentent pourtant de nous rassurer en expliquant qu’un marché haussier aussi massif et aussi durable que celui inauguré en 2009 ne saurait s’éteindre en quelques semaines, ni même quelques mois.
Les récents records absolus printaniers pourraient être re-testés encore et encore, avec la complicité de banques centrales émettant toujours plus de fausse monnaie (et pourquoi pas un QE4 de la Fed ?)… jusqu’à ce que surviennent les premières ventes de lassitude, peut-être en 2017 ou 2018. Nous pensons qu’ils prennent leurs désirs pour des réalités : un schéma de Ponzi ne se désintègre pas à la vitesse des isotopes de l’uranium 238.
Une fois que l’escroquerie devient un fait avéré pour n’importe quel gérant lambda, c’est le sauve-qui-peut général… Mais il est déjà trop tard : les faux monnayeurs ont remballé leurs plaques, éteint la lumière et pris un aller simple pour n’importe quel paradis fiscal où le champagne est toujours servi à la bonne température. Et les récents "bangs" de volatilité (24 août, 15 septembre) ne sont autre que le bruit des bouchons de champagne que font déjà sauter les initiés.
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