La FED et le saut à l’élastique

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Par Alain Desert Modifié le 24 septembre 2013 à 16h58

Mercredi 18 septembre 2013, la FED prend une décision quasi historique : ne rien faire. C'est-à-dire, poursuivre les injections massives de liquidités à travers ses opérations désormais bien connues de Quantitative Easing (QE). Elles représentent actuellement 85 milliards de dollars par mois (rachat de dettes immobilières et achat d'obligations d'état). Une coquette somme qui s'élève à plus de 1000 milliards de dollars en rythme annuel. Cela ne vous dit peut-être pas grand-chose, car de tels montants bousculent nos échelles arithmétiques et donnent parfois le vertige

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Pour éclaircir un peu les idées et atténuer les brumes qui entourent ces chiffres, cela correspondrait à près de 140 milliards d'euros annuel pour la France toute proportion gardée (rapporté au PIB). A comparer à nos 90 milliards d'euros de déficit budgétaire annuel. Depuis le début de la crise, la FED a déjà injecté environ 2700 milliards de dollars dans les circuits économiques et affiche un bilan astronomique qui atteindra certainement 4000 milliards de dollars dans quelques mois (sans précédent dans l'histoire récente pour une banque centrale). Voilà pour les chiffres.

L'absence de nouvelles devient donc un évènement. Un évènement miroir qui retourne à 180 degrés l'évènement attendu avec tant de certitudes par les médias informés ! C'était acquis : la FED allait ralentir la planche à billets. Les certitudes explosent en vol.

Les raisons officielles qui ont conduit à cette immobilité peuvent se résumer ainsi :

  • La croissance aux Etats-Unis reste modeste et ne montre pas une vraie tonicité.
  • Recul assez net du déficit budgétaire de l'état fédéral, ce qui en théorie ne favorise pas la croissance.
  • Le plafond de la dette refait surface et son niveau devra être renégocié.
  • Remontée des taux immobiliers et resserrement des conditions de crédit.
  • Le niveau de chômage est supérieur aux conditions acceptables décrétées par l'institution (seuil à 6.5%).

En fait, le chômage aux Etats-Unis est bien supérieur aux chiffres officiels (7,3%) car beaucoup de travailleurs sortent des statistiques et ne recherchent plus un travail par découragement.

La croissance depuis le mois de juin est moindre que ce qui avait été anticipé et c'est certainement le point majeur qu'il faut retenir. Cela signifierait que l'on peut commencer à douter de l'efficacité de ces politiques dites non conventionnelles, qui subiraient la fameuse loi des rendements décroissants. Au fil du temps, les opérations en question deviennent moins efficaces et ont tendance évidemment à générer des effets pervers qui seront difficiles à contrôler et à maîtriser. Au vu des statistiques macro-économiques, qui certes indiquent une légère reprise économique, on peut considérer que les résultats sont finalement assez décevant au regard des moyens déployés, des quantités d'argent injectées.

Pour donner une image et comprendre les phénomènes de non-linéarité

On peut évoquer le gonflement d'un ballon : au début c'est facile, le ballon gonfle rapidement et ensuite cela devient un peu plus difficile ; on a l'impression qu'il faut souffler de plus en plus fort pour le voir légèrement grossir. Faire croître une économie mature (économies type occidentale déjà inondée de biens et services) n'est pas une opération simple, car les contraintes sont bien plus fortes que pour une économie émergente où les potentialités de croissance sont bien plus grandes.

S'il y a un résultat bien visible de ces politiques monétaires accommodantes, c'est bien sûr l'euphorie des marchés américains ; les indices boursiers atteignent des niveaux jamais atteints et battent régulièrement des records. A quand le krach ? Les derniers datant de 2000 et 2007, pourrait-on parier pour un krach en 2014 ?

L'économie globale qui pensait se raccrocher à l'économie américaine avec la reprise naissante va être certainement déçue. On a vraiment l'impression d'assister à un retour en arrière même si rien ne change. Comme on dit souvent « qui n'avance pas recule ». En fait, la FED voit ses marges de manœuvre se rétrécir, car elle n'est pas seule au monde et doit composer avec des pays émergents devenus pour certains « dollars-dépendants ». Si elle bouge les curseurs trop rapidement, elle fait éclater les bulles un peu partout dans le monde et le flux des capitaux grossit comme une rivière en crue après un orage.

Le problème devient en quelques sorte la fuite en avant, car plus la FED retarde le ralentissement de ses rachats d'actifs, plus elle doit manœuvrer avec soin, précision et doigté tout en prenant le risque de faire éclater des bulles et voir réapparaître le spectre d'une nouvelle récession.

La Federal Reserve manquerait-elle désormais de visibilité ?

Elle hésite dans un changement de cap comme un bateau perdu qui a cru voir un court instant le rivage ; ce n'était finalement qu'un mirage. Ce manque de visibilité s'explique justement par ces interventions massives, du fait qu'il devient très difficile de faire la part entre une croissance artificielle et une réelle reprise portée par un retour de la confiance et un dynamisme naturel. En fait, l'économie américaine ne se porte pas aussi bien qu'on pourrait le croire. Les bons chiffres de la croissance du dernier trimestre (2.5% sur un rythme annuel) sont bien fragiles. D'ailleurs les objectifs de croissance de 2013 et 2014 viennent d'être revus à la baisse. Peut-être la preuve que le malade n'est pas vraiment rétabli et souffre encore. Ses souffrances sont telles qu'il est impossible de diminuer les doses de morphines. Depuis 2008, début des opérations de Quantitative Easing, aucune pause n'a été marquée et une forme d'accoutumance s'est donc installée.

La FED qui doit impérativement soigner sa communication et son image se trouve aujourd'hui dans une position très délicate (voire une impasse), car elle n'a jamais eu à résoudre dans l'histoire économique l'équation finale qui se présente à elle et s'impose désormais. Comment gérer la sortie ? Qu'est-ce que l'on fait après ? Comment ? En combien de temps ? Autrement dit comment diminuer et interrompre ce dopage monétaire et quels seront les paliers à franchir? Par touche de 5, 10, ou 15 milliards de dollars ? Il faudra une grande dextérité, une sensibilité extrême pour estimer ces paramètres de désengagement, régler les mécanismes monétaires et ses courroies de transmission, sous surveillance de marchés qui réagissent à la moindre annonce, au moindre mouvement de l'institution.

Mr Ben Bernanke (président de la FED) a vu en ce mois de septembre sa main trembler. J'y vais, je n'y vais pas ? Un peu comme quelqu'un qui s'apprête à faire un saut à l'élastique. En voulant se lancer un tel défi, le sauteur n'a pas du tout imaginé ce qu'il ressentirait au moment où le précipice se rapproche. Il faut être devant la scène pour éprouver réellement les vraies sensations. Mr Ben Bernanke face à une décision majeure aurait donc tremblé ! Devant une réalité quelque peu truquée, il a refusé le saut ! Ce n'est que reporté car évidemment tout a une fin.

Les marchés peuvent encore nourrir une certaine confiance et boire à la santé des indices boursiers. La danse n'est pas terminée, la FED n'étant apparemment pas prête à opérer le fameux virage. Le (la) successeur présumée du président actuel (Janet Yellen) qualifiée de colombe poursuivra très probablement, si elle est élue, la même politique accommodante. Tout va bien !

Evolution du bilan de la FED. Source: site "Les-crises"

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.

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