De notre vivant, trois directeurs de la Fed se sont retrouvés confrontés à un défi similaire. Chacun occupait le fauteuil de président à un moment où la « normalisation » des taux d’intérêt était nécessaire.
Dans le précédent article, nous avons parlé de William McChesney Martin, à la tête de la Fed sous les administrations Truman, Eisenhower, Kennedy, Johnson et Nixon. Aujourd’hui, nous comparons Martin à deux de ses successeurs, M. Paul Volcker et Mme Janet Yellen. Nous vous laisserons tirer vos propres conclusions.
Avancer contre le vent
En 1951, la Fed et le Trésor US se sont affrontés sur le fait de « normaliser » la politique de taux après 10 ans environ de contrôle strict. En 1942, une fois les Etats-Unis entrés dans la Deuxième Guerre mondiale et à la demande du Trésor US, la Fed fixa ses taux à un niveau bas afin de faciliter le financement de la guerre par le gouvernement. La paix revenue, il fallut négocier un retour à un taux fixé par le marché.
Bien entendu, la Fed ne peut jamais entièrement échapper à ses responsabilités ou ignorer sa propre influence. Son comité, le FOMC, a le dernier mot sur les taux courts. Mais la Fed peut peser lourdement sur les commandes… ou rester légère. Elle peut permettre au marché de s’exprimer… ou bien le bâillonner et parler toute seule. Une fois les troupes rentrées sur le sol américain, Martin développa deux métaphores pour décrire son point de vue sur la banque centrale.
La première était que la banque centrale ne devait fixer les taux ni trop haut ni trop bas, mais « aller contre le vent ». L’idée était de modérer les forces du marché en exerçant une légère pression contracyclique. Si l’économie s’échauffait, la banque centrale maintenait ses taux directeurs un peu plus élevés qu’à l’ordinaire. Si l’économie ralentissait, elle visait un taux légèrement plus bas. Cela nous mène à la seconde métaphore de Martin.
La fonction de la Fed, dit-il, est d' »enlever le bol à punch dès que la fête commence à prendre de l’ampleur ». En d’autres termes, augmenter les taux d’intérêt exactement lorsque l’économie commence à entrer dans un boom non viable.
Les temps changent
M. Martin n’était pas forcément moins intelligent que ceux qui lui ont succédé. Mais les temps changent. Les modes évoluent. En février 1951, l’indice des prix à la consommation annuel, l’IPC — la mesure la plus commune de l’inflation — atteignait près de 8% par an. Le président Truman convoqua tous les membres du FOMC à la Maison Blanche — Martin servant de négociateur principal — pour exiger d’eux qu’ils s’engagent à maintenir les taux d’intérêts bas.
Mais la Fed s’obstina et refusa de « maintenir la situation actuelle ». Martin annonça ensuite qu’il laisserait les taux grimper — ce qu’ils firent. De moins d’1% lorsque Martin prit son poste à la tête de la Fed, les taux courts passèrent à près de 4% au début des années 60.
Assaut frontal
Le défi suivant se produisit à la fin des années 70. Paul Volcker, nommé par Jimmy Carter, était l’homme pour la tâche. Lorsque Volcker prit la tête de la Fed, en août 1979, les taux courts et l’IPC étaient au-delà des 11%. Il se donna pour objectif de les ramener tous deux à des niveaux plus normaux. Mais à l’époque comme maintenant, l’inflation avait des amis. Et tout le monde savait qu’il serait douloureux de la ramener sous contrôle.
Cela signifiait qu’il faudrait enlever non seulement le bol à punch… mais aussi les boissons à volonté et tout le buffet gratuit d’argent et de crédit dont se régalaient les marchés. Volcker ne recula pas. En juin 1981, il administra à l’économie un taux directeur de 19,1% ; quelques mois plus tard, la fièvre avait baissé.
Pas de retour à la normale
A présent, nous avons Mme Janet Yellen à la tête de la Fed, tenant fermement la barre… le regard porté sur l’horizon. La situation n’a rien à voir avec celle qui attendait M. Volcker. Au lieu d’un IPC à deux chiffres, aujourd’hui, la Fed s’inquiète de ce que les prix à la consommation ne grimpent pas assez rapidement. « Des inquiétudes sérieuses sur la persistance d’une inflation basse » — c’est ainsi que Lael Brainard, gouverneur de la Fed, décrit ce qui dérange son sommeil. Et 7 000 milliards de dollars de dette souveraine des pays développés s’échangent désormais à des niveaux sous le zéro — fournissant aux gouvernements autour du monde de l’argent gratuit.
Revenir à la normale n’est jamais simple… surtout quand on ne veut pas y arriver. Le 27 mars 2015, Mme Yellen s’est exprimée sur le sujet. « Normaliser la politique monétaire : perspectives et tendances » — tel était le titre de son discours. Mais tant le contenu que les conséquences ont été bien différents de l’époque de M. Volcker ou M. Martin. Alors que M. Martin avait insisté sur le fait que dicter les taux d’intérêt était « contradictoire avec […] un système d’entreprise privée », Mme Yellen ne voyait aucune contradiction.
Alors que M. Martin avait vu le besoin, dans une situation de grande urgence — la Deuxième Guerre mondiale –, d’abandonner des taux fixés par le marché, Mme Yellen est prête à ignorer le marché à la moindre chute du Dow. Et alors que M. Martin et M. Volcker s’étaient résolument mis au travail, Mme Yellen semble indécise.
Il y a un an, elle a déclaré qu’elle normaliserait les taux « uniquement de façon progressive »… et que, même si elle avait « les outils de supervision et de réglementation macro-prudentiels » pour accomplir sa tâche, les investisseurs ne devaient pas s’attendre à des miracles. Ils n’en ont pas eu. Durant les 12 mois écoulés depuis son discours, son maigre cadeau aux épargnants atteint seulement 25 points de base (même les moineaux refusent de se baisser pour ramasser de telles miettes). Quant à « la normale »… elle n’est toujours pas visible à l’horizon.
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