Faut-il discuter d’un texte qui sonne le glas de la protection sociale ?

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Par Laurence Cohen Publié le 17 novembre 2014 à 4h45

Les interventions dans la discussion générale ont donné le ton et marqué le début de l'examen de ce nouveau PLFSS, le troisième que nous examinons depuis que Mme Touraine est ministre de la santé. Malheureusement, son contenu nous rend, une fois de plus, très inquiets.

Certes, quelques dispositions vont dans le bon sens. Je pense notamment à la prévention, qu'il s'agisse du dépistage du VIH, à l'article 33, ou de l'accès à la vaccination, à l'article 34. Je remarque également avec intérêt la volonté du Gouvernement de renforcer les dispositions prises depuis décembre 2012 pour tenter de faire échec aux déserts médicaux.

Toutefois, la structure même de ce budget, sa conception, nous a conduits à déposer cette motion. Pour nous, les choix de réductions budgétaires – pour ne pas dire les choix « austéritaires » – qui ont guidé l'élaboration de ce budget sont contraires à la politique de renforcement de notre système de protection sociale qui devrait être menée : ils sonnent peu à peu, année après année, le glas de la sécurité sociale. En ce sens, nous estimons qu'il n'y a pas lieu de débattre d'un budget qui entérine la mort annoncée de notre système de protection sociale mis en place en 1945.

En outre, nous ne pouvons que constater avec colère – ou pour le moins une certaine amertume – combien la différence est grande avec le PLFSS pour 2012 examiné en 2011, année où le Sénat venait de basculer à gauche et où cette nouvelle majorité adoptait collectivement des amendements pour proposer des financements justes et pérennes, permettant de répondre au déficit structurel de la sécurité sociale... Pourquoi ne pas avoir poursuivi dans cette voie ? Pis, en mettant fin à l'universalité des prestations familiales, ce PLFSS ose s'attaquer à l'un des piliers de notre système.

Dans la continuité des propos de ma collègue Annie David, je voudrais, pour justifier notre motion, axer mon intervention sur l'analyse de deux branches principales.

J'évoquerai la branche maladie, tout d'abord : dans le cadre du pacte de responsabilité vous imposez à cette branche essentielle une cure qui va au-delà de l'amaigrissement, puisque ce sont quelque 3,2 milliards d'euros d'économies qui seront réalisés sur son dos en 2015. Vous justifiez ce choix par des dépenses rationalisées, maîtrisées, mais nous savons que, pour l'essentiel, ce sont des réductions de moyens qui sont visées.

J'en veux pour preuve l'ONDAM, qui, cela a été souligné, n'a jamais été aussi bas. Or ce qui pour nous est un très mauvais signe semble pour vous une source de satisfaction, synonyme de bonne gestion...

Voilà un an à peine, j'ai été auteur et rapporteur pour mon groupe d'une proposition de loi demandant un moratoire contre les fermetures d'établissements hospitaliers et les regroupements de services. Les auditions que j'ai réalisées ont apporté la confirmation de l'asphyxie programmée des hôpitaux publics.

Or, constater que, dans ce PLFSS pour 2015, l'ONDAM pour les établissements de santé ne progresse que de 2 % – une évolution encore moins importante que l'an dernier –, quand on sait qu'il faudrait qu'il s'établisse autour de 4 % est pour nous source de révolte !

Quant aux perspectives pluriannuelles annoncées, elles ne nous rassurent pas davantage et confirment votre objectif d'imposer une cure d'austérité aux hôpitaux publics. Et tant pis si les personnels hospitaliers ne cessent de dénoncer leurs conditions de travail, leur manque d'équipement ; tant pis si les patients constatent des dysfonctionnements dans leurs prises en charge ! Quiconque se rend dans un établissement hospitalier ou discute avec des personnels sait que la situation est difficile, de plus en plus difficile.

Dans ce contexte, quelles seront les conséquences d'une réduction de 520 millions d'euros de leurs dépenses ? Vous le savez cela ne peut se faire qu'en remettant en cause la qualité des soins.

Et que dire des 370 millions d'euros d'économies réalisées grâce au développement des soins ambulatoires ? Comme l'a très justement souligné ma collègue députée Jacqueline Fraysse, « Avant de réaliser d'éventuelles économies, des dépenses seront nécessaires pour réorganiser les pratiques, former les praticiens et créer des lieux d'accueil pour les patients. Le développement de la chirurgie ambulatoire est, de toute évidence, une pratique appelée à se développer, mais c'est moins pour les économies qu'elle permettrait de réaliser à terme, et qui restent à évaluer finement, que pour les progrès qu'elle permet en termes de prise en charge des patients pour certains actes. Il faut donc rester prudent quant au montant des économies envisagées ».

Bien entendu, la volonté affichée de parvenir à une réduction de la durée d'hospitalisation est tout à fait louable, mais elle ne peut se faire que si elle est très sérieusement encadrée. Selon que vous serez puissant ou misérable, pour paraphraser Jean de la Fontaine, vos conditions de retour à la maison seront bien différentes...

Permettez-moi, au-delà de l'hôpital, de m'inquiéter du rôle de gendarme des ARS, les agences régionales de santé, qui jugeront de ce que vous appelez « la pertinence et le bon usage des soins ». Ce renforcement de leur rôle, sans aucun contre-pouvoir, met à mal la démocratie sanitaire et se situe dans le droit fil de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », que nous dénoncions ensemble il n'y a pas si longtemps et que, pour notre part, nous continuons de dénoncer !

Quant à la branche famille, elle aussi est particulièrement visée dans ce PLFSS. Je rappelle d'ailleurs que la politique familiale connaît son troisième plan d'économie en deux ans. L'UNAF, l'Union nationale des associations familiales, chiffre à trois milliards d'euros les économies déjà supportées par les familles. Toutefois, au-delà de ces réductions, c'est le fondement même de notre politique familiale qui est remis en cause. C'est ce qui a essentiellement motivé le dépôt de notre motion. En effet, comment aborder le budget de la sécurité sociale si l'on casse l'un de ses piliers ?

L'amendement sur la modulation des allocations familiales, adopté par dix-huit voix contre onze à l'Assemblée nationale, sur l'initiative des députés socialistes, est dangereux et inacceptable. Et nous ne sommes pas les seuls à le dénoncer, à l'intérieur de cet hémicycle comme à l'extérieur.

Certes, dans une période de crise profonde, cette modulation peut apparaître comme une mesure de justice et d'égalité. Qui pourrait trouver choquant, en effet, que des familles qualifiées d'« aisées » voient leurs allocations non pas supprimées, mais juste réduites ? D'ailleurs, à la commission des affaires sociales, un sénateur de votre sensibilité politique nous a avoué avoir toujours trouvé injuste de toucher des allocations familiales comme tout un chacun, compte tenu de ses revenus.

Pourtant, introduire des conditions de ressources marque bien la fin de l'universalité des allocations familiales. Quand vous opposez le terme d'« universalité » à celui d'« uniformité » pour faire taire celles et ceux qui s'opposent à la modulation des allocations familiales, vous ne répondez pas au problème de fond.

Les allocations familiales visent à compenser les charges familiales. Elles ne constituent ni une politique de redistribution des revenus ni une politique de redistribution entre les familles ; elles créent une solidarité horizontale entre ceux qui n'ont pas d'enfants et ceux qui en ont. C'est une politique d'aide à l'enfant. En ce sens, comment admettre qu'un enfant appartenant aux couches moyennes ou supérieures ait moins de besoins à satisfaire ? Le fait qu'une famille choisisse d'avoir un nouvel enfant ne doit pas être pénalisant !

Voilà les raisons majeures qui plaident en faveur de l'universalité de la politique pour les familles. Cette question de l'universalité affecte notre système de sécurité sociale, et elle est déterminante. La protection sociale n'a pas vocation à réduire les inégalités sociales ; il existe d'autres instruments pour cela, tels que le SMIC ou la fiscalité. En revanche, elle a vocation à compenser la maladie – pour l'assurance maladie –, le coût de l'enfant – pour les allocations familiales – ou l'arrêt du travail – avec la pension de retraite.

En modulant les allocations familiales, le risque est grand de voir se déliter ce qui reste du tissu de cohésion sociale du pays et d'accélérer le glissement vers une société clivée : il y aura ceux qui passeront leur temps à produire la preuve humiliante qu'ils gagnent peu, et les autres. Néanmoins, à partir du moment où les gens dits « plus aisés » ne percevront plus d'allocations à égalité avec les autres, pourquoi participeraient-ils à égalité au système de sécurité sociale ? Ils pourront avoir recours à des mutuelles et des assurances privées... Alors, qui alimentera les caisses ? C'est la mort annoncée de notre système de protection sociale !

Cette politique de rupture avec les principes fondamentaux de la protection sociale est-elle au service de la justice sociale, comme vous semblez le soutenir ?

Même si les familles les plus aisées touchent moins, vous savez pertinemment que les familles modestes ne toucheront pas davantage. Le but réel de cette mesure est donc bien la réduction des dépenses publiques et sociales, qu'il est particulièrement scandaleux de faire supporter aux familles ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Il n'est pas surprenant que le conseil d'administration de la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales, toutes composantes confondues, ait très majoritairement émis un avis défavorable sur ce PLFSS pour 2015, notamment au regard des choix qui visent la branche famille.

Aussi, posons-nous ensemble la question des raisons de l'origine du déficit de cette branche. Le pacte de responsabilité entraînera, d'ici à 2017, un manque à gagner de 30 milliards d'euros de cotisations patronales... Cherchez l'erreur ! Le Gouvernement persiste et signe, il assume donc pleinement ce choix qui, de fait, asphyxie la sécurité sociale.

Faut-il rappeler ici que le coût de ces baisses de recettes est de 6,3 milliards d'euros pour la sécurité sociale en 2015 ? Le fameux « trou de la sécurité sociale » ne vient pas de nulle part. Il est organisé. Pis, il est entretenu, alors qu'il pourrait largement être comblé.

Au lieu de réduire les dépenses publiques – comme vous le proposez, madame la ministre, et aussi comme y contribue la droite avec ses amendements –, nous vous proposons, mes chers collègues, de trouver d'autres financements, donc d'augmenter les recettes.

Pour un financement dynamique de la politique familiale, nous préconisons une modulation des cotisations employeurs, avec des taux moins élevés pour les entreprises qui accroissent les emplois, les qualifications et les salaires. Au contraire, les taux de cotisation seraient augmentés pour les entreprises qui licencient et compriment les salaires.

Nous proposons aussi une nouvelle cotisation, soumise au même taux que les cotisations employeurs sur les salaires, qui concernerait les revenus financiers des entreprises et des banques, soit – faut-il le rappeler ? – quelque 300 milliards d'euros en 2012. Au taux de cotisation actuel de 5,4 %, cela rapporterait 16 milliards d'euros à la branche famille. Voilà de quoi largement remplir les caisses et renforcer notre système de santé et de protection sociale...

Ces deux propositions – parmi d'autres – feront l'objet d'amendements et pourront, je l'espère, trouver ici un écho favorable, du moins sur les travées de la gauche. Il faut rappeler que, dans un passé pas si lointain, certaines d'entre elles avaient pu être votées par la gauche rassemblée !

Je terminerai mon propos en insistant sur le danger d'adopter la modulation des allocations familiales. Si cette brèche est réellement ouverte, si vous décidez de maintenir cette fracture dans notre édifice social, rien n'empêchera d'aller encore plus loin au cours des prochaines années. Une fois ce seuil symbolique franchi, la situation risque de se dégrader extrêmement vite. On s'orienterait ainsi vers la fin d'un système qui fait notre identité et notre force, au profit d'un système assurantiel qui, lui, aurait de très beaux jours devant lui.

Mes chers collègues, vous l'aurez compris, pour nous, ce PLFSS est marqué par de trop mauvais choix, qui plombent à l'excès notre système et aggravent la situation.

Nous vous proposons donc de voter notre motion pour revoir l'ensemble de cette construction budgétaire. Et comme vous l'aurez constaté à l'écoute de l'intervention de ma collègue Annie David comme à celle de mon propos, ce ne sont pas les propositions de rechange qui manquent !

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Sénatrice du Val-de-Marne (SRC / PCF)Elue le 25 septembre 2011Membre de la commission des affaires socialesMembre de la délégation Droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmesConseillère régionale d' Ile-de-France

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