Faim dans le monde : la prochaine crise sera-t-elle alimentaire ? Episode II

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Par Bruno Parmentier Modifié le 8 mars 2021 à 8h08
Faim Crise Alimentaire Monde Parmentier Episode 2
@shutter - © Economie Matin
4%En Egypte, la vallée du Nil ne représente que 4% de la surface du pays.

Vous n'avez pas lu l'épisode I, retrouvez-le sur EconomieMatin

2. La majorité des pays du monde comptent sur les autres pour se nourrir car ils sont incapables de le faire seuls.

Du point de vue de la géopolitique de l'alimentation, il convient de distinguer 3 groupes de pays :

  • Les pays autosuffisants , qui produisent à peu près autant de nourriture que ce qu'ils consomment. Ils participent relativement peu au commerce mondial de denrées alimentaires, ou alors ils exportent à peu près autant qu'ils importent. Ils sont en fait assez peu nombreux.

Curieusement, on peut estimer que la Chine fait partie de ce groupe, même si elle importe pas mal de soja brésilien ou de lait néo-zélandais. Le pays le plus peuplé du monde, dont la consommation annuelle de viande par personne est passée en 40 ans de 15 à 60 kilos, et dont l'agriculture était extrêmement inefficace du temps de Mao-Tsé-Toung, arrive maintenant à nourrir 1/5 de la population mondiale sur seulement 1/10 des terres agricoles, et avec énormément de problèmes hydrauliques. Pas sans travail, si l'on songe que la moitié des 60 000 barrages du monde sont chinois ! La Chine, qui est le premier producteur mondial de riz, de blé, de fruits, de légumes, de viandes, etc., et le second en maïs, arriverait maintenant à se nourrir correctement si jamais toutes les frontières mondiales se fermaient (au prix néanmoins d'une forte diminution de sa consommation de viande).

L'Inde est dans une situation plus compliquée ; elle est également un très grand producteur agricole mais elle n'est pas vraiment autosuffisante ; et surtout sa population continue à croître fortement et elle dépassera les 500 habitants par kilomètre carré en 2050, alors que la Chine n'en sera qu'à 137…

On peut aussi citer le cas du Maroc, dont la balance commerciale agricole est équilibrée, puisqu'il vend autant de fruits et légumes à l'Europe qu'il n'importe de céréales, mais de fait sa situation reste quand même très fragile, car on ne peut pas vivre uniquement en consommant des fruits !

  • Les pays structurellement exportateurs , qui produisent chaque année nettement plus que ce qu'ils produisent, en particulier en céréales, nourriture de base, à la fois pour les hommes et les animaux, et la seule qui compte vraiment lorsque l'alimentation vient à se raréfier. Ils sont peu nombreux ; pour le blé ce sont la Russie, l'Union européenne (dont la France pour une bonne part), les USA, le Canada, l'Ukraine, l'Argentine, le Kazakhstan et l'Australie… les bonnes années, car il arrive peu souvent que la récolte soit au top dans chacune de ces zones. Pour le riz, il s'agit de l'Inde, du Pakistan, du Vietnam, de la Thaïlande et des USA. Pour le maïs, on trouve les Etats-Unis, le Brésil, l'Argentine et l'Ukraine.

Ces quelques pays, dont le nôtre, ont finalement pouvoir de vie et de mort sur une partie importante de la population mondiale, particulièrement en période de crise majeure. Bien sûr ils ont intérêt à vendre leur sur production pour se procurer des devises, mais l'expérience prouve qu'en cas de montée des inquiétudes et des nationalismes ils peuvent aussi décider parfois de ne pas vendre.

  • Les pays structurellement importateurs sont malheureusement les plus nombreux ; on a vu lors de cette crise de la Covid que si jamais le commerce international s'interrompait ou si certains pays exportateurs décidaient de procéder à un embargo, ils seraient très rapidement en danger de famine ! Heureusement le pire n'est pas arrivé, comme en 2007, où on avait observé des émeutes de la faim dans plus de 35 pays du monde.

Notons au passage une grande loi historique qui perdure à travers les siècles : quand les gens ont faim dans la capitale, le gouvernement a du souci à se faire ; les pénuries de pain ont déclenché la Révolution française 1789, tout comme les révolutions arabes de 2010-2011 !

Pour une bonne part de ces pays cette situation est structurelle : ils donc pas assez de ressources naturelles pour nourrir leur population, et très souvent leur situation empire d'année en année car leur population continue à augmenter et très souvent leurs surfaces de terres cultivables, ou leur disponibilité en eau, ne cesse de se réduire. Lorsqu'il s'agit de pays industrialisés, l'inquiétude est relative puisqu'ils ont et auront largement de quoi vendre pour acheter leur nourriture ; c'est le cas par exemple de la Suisse, du Japon, de la Corée du Sud, ou de la Grande-Bretagne (gageons à ce sujet qu'une bonne partie des gens qui avaient voté pour le Brexit n'avaient pas réalisé que les paysans anglais ne peuvent pas les nourrir !).

Il y a évidemment lieu d'être nettement plus inquiet pour un pays comme l'Égypte qui doit nourrir 100 millions d'habitants sur un désert, où il ne peut cultiver qu'une seule vallée, celle du Nil, qui ne représente que 4 % de sa surface.

On peut également évoquer celui, particulièrement emblématique, des 160 millions d'habitants du Bangladesh, qui seront plus de 200 millions en 2050, faisant de lui le pays le plus dense au monde (1400 habitants au KM2), alors que la montée des eaux issue du réchauffement climatique risque de l'amputer d'un tiers de sa surface actuelle ! Citons également le cas du Rwanda qui en sera à 1000 habitants au kilomètre carré en 2050, alors que le Soudan en aura que 49 et le Kenya 167…

Notons également qu'avec le réchauffement climatique le Sahel se transforme à toute vitesse en Sahara, au moment même ou sa population augmente fortement ; il n'y a plus rien à boire, plus rien à manger, et de plus en plus de gens à nourrir, du coup on y on trouve toujours un prétexte pour se faire la guerre parce qu'on a faim, et ensuite logiquement on a faim parce qu'on s'est fait la guerre ; on ne voit pas très bien comment on sortira de ce cercle vicieux en Mauritanie, au Mali, au Niger, au Tchad, aux Soudan, au Burkina Faso, et au nord du Nigeria.

Citons pour mémoire le cas des pays qui possèdent de grands gisements de ressources minérales où pétrolières… et se sont de fait abstenu d'investir suffisamment dans leur agriculture en pensant qu'ils auront toujours du pétrole, du gaz, des diamants ou du cuivre pour se payer du blé ou du riz. On a vu que cette politique reste potentiellement très dangereuse car les cours de matières premières sont très fluctuants. C'est ainsi que de nombreux pays pétroliers comme le Venezuela, l'Algérie où l'Iran ont vu leur situation devenir extrêmement fragile depuis quelques années. Depuis l'indépendance de l'Algérie, la France a réussi à tripler sa production agricole pendant que là-bas la production stagnait et que c'est la population qui a triplé, cherchez l'erreur !

On peut aussi citer le cas de la Russie : il n'est quand même pas « normal » que le plus grand pays du monde, qui ne compte « que » 144 millions d'habitants, et dont les surfaces agricoles devraient pouvoir augmenter massivement avec le réchauffement climatique, n'arrive pas correctement à nourrir sa population ; gageons que s'il n'était pas un gros producteur de gaz il se serait débrouillé depuis longtemps pour avoir une agriculture plus efficace !

Il y a quand même davantage d'espoir dans les pays qui ne sont pas encore très peuplés et très denses mais dont les « réserves de productivité » en agriculture restent encore considérables, car pour une raison ou une autre ils n'ont pas encore installé chez eux la précédente révolution agricole. Notons par exemple que la majorité des pays africains ne sont pas (encore !) très densément peuplés, mais qu'il n'y en a pas un seul qui soit réellement bon en agriculture, contrairement à ce qui s'est passé en Asie ou en Amérique latine. Il est évidemment urgentissime qu'ils se mettent sérieusement à améliorer leurs performances dans cette activité, et en plus c'est techniquement possible de le faire en passant directement à la nouvelle révolution agricole agro écologique sans passer par la case agriculture tout chimie tout pétrole (tout comme ils sont passés directement au téléphone portable sans passer par le téléphone filaire). On ne voit pas pourquoi Madagascar serait indéfiniment condamné à ne produire que 2 tonnes de riz à l'hectare et à ne pas bien nourrir sa maigre population, alors que dans la vallée du Nil on arrive à récolter 8 tonnes de riz à l'hectare.

Par exemple, quand on regarde une carte de géographie, on est frappé par le fait que la République démocratique du Congo occupe en Afrique une place relativement similaire à celle qu'occupe le Brésil en Amérique latine, et que ce pays devrait donc logiquement être un très gros producteur et exportateur de denrées agricoles. Pas de chance pour lui, il est bourré de gisements de pétrole, de diamant, de cuivre, de cobalt, etc. qui intéressent passionnément les grandes puissances, ce qui fait qu'il a navigué de coups d'état en guerres civiles depuis 50 ans ; il faudra malheureusement attendre la fermeture de la dernière mine dans ce pays pour qu'il commence enfin à pouvoir se nourrir correctement, et en plus à nourrir ses voisins !

Pour lire l'épisode III, c'est par ici ...

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Bruno Parmentier, Ingénieur des mines et économiste, est l'ancien directeur (de 2002 à 2011) de l’ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Il est actuellement consultant et conférencier sur les questions agricoles, alimentaires et de développement durable.  Il a publié "Nourrir l'humanité"  et « Faim zéro » (éditions La Découverte), "Manger tous et bien » (Editions du Seuil), « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (publication libre sur Internet) et « Bien se loger pour mieux vieillir » (Editions Eres) ; il tient le blog "Nourrir Manger" et la chaîne You Tube du même nom. Il est également président  du CNAM des Pays de la Loire, de Soliha du Maine et Loire, et du Comité de contrôle de Demain la Terre, et administrateur de la Fondation pour l’enfance.

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