Faim dans le monde : la prochaine crise sera-t-elle alimentaire ? Episode I

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Par Bruno Parmentier Modifié le 8 mars 2021 à 8h03
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@shutter - © Economie Matin
800 MILLIONSLe nombre de gens qui ont faim sur la planète Terre a été d'une navrante stabilité, quelle que soit la population, autour de 800 millions de personnes. C'est à dire qu'il y a autant de personnes qui ont faim en 2021 qu'en 2000, en 1950 ou en 1900 ! La vraie question, c'est : combien en voulons-nous en 2030 et en 2050 ?

La crise du coronavirus a réussi à ralentir très fortement toute l'économie mondiale, ce qui provoque une récession sans précédent depuis les années 30… Or, on n'avait rien vu venir, ce qui est un peu humiliant pour tous ceux qui essayaient de scruter l'avenir, mais induit aussi aujourd'hui une vraie stimulation intellectuelle pour imaginer la suite.

À mon sens, la suite, ce sont d'abord les effets extrêmement perturbants que va provoquer notre incapacité collective à diminuer, et si possible stopper, le réchauffement de la planète.

En premier lieu, avec le réchauffement, serons-nous capables de nourrir les près de 10 milliards de terriens qui s'annoncent pour le milieu du siècle ? La situation sera évidemment très différente dans les différents pays et régions du monde, et globalement les Français n'ont pas lieu d'être inquiet : on aura faim dans de très nombreuses capitales avant que ce phénomène ne touche Paris, et il est fort peu probable que cela arrive… si on s'en occupe sérieusement. Mais ailleurs, particulièrement en Afrique subsaharienne et dans la péninsule indo-pakistanaise, ça n'aura absolument rien d'évident.

Versons quelques éléments au dossier.

1. Les révolutions agraires du XX e siècle ont permis d'augmenter considérablement la production agricole, mais il n'est pas sûr que ce mouvement ascendant puisse continuer.

On mange beaucoup mieux sur la planète de 2021 que sur celle de 1960, malgré le fait que la population a été multipliée par 2,5 ! En effet les nouvelles techniques agricoles intensives qui ont été mises en place à partir des années 50 ont permis d'augmenter la production agricole de façon plus rapide que la population, en particulier pour les productions qui sont à la base de la nourriture : les 3 grandes céréales riz, blé et maïs ; mais c'est également vrai pour les légumes et pour la viande et de nombreux autres produits, comme le montrent les chiffres de la FAO illustrés dans ces schémas.

Un pays comme la Chine, qui connaissait d'épouvantables famines, arrive maintenant à se nourrir lui-même, malgré le doublement de sa population et les faibles ressources naturelles dont il dispose (en particulier peu de terres et peu d'eau).

La France, qui est nettement mieux dotée, avait cependant connu 11 disettes au 17e siècle, 16 au 18e, et 10 encore au 19e ; au 20e siècle, elle avait maintenu ses tickets de rationnement jusqu'en 1948, plus de 3 ans après la fin de la guerre ! Maintenant, elle est devenue une grande puissance agricole exportatrice ; en particulier elle produit 3 fois plus de blé qu'elle n'en mange !

Il faut absolument continuer à augmenter la production agricole mondiale, de l'ordre de 70 %, pour 3 raisons.

  • La population va continuer à augmenter, au moins jusqu'au milieu du siècle, où les démographes annoncent qu'on va frôler les 10 milliards de terriens ; après, c'est plus incertain et il n'est pas exclu que nous allions vers une diminution de la population mondiale, en passant toutefois peut être par un pic à 11 ou 12 milliards avant la fin du siècle… nous sommes actuellement 7,6 milliards, si l'on en rajoute un peu plus de 2 milliards dans les 30 ans qui viennent, cela fera 30 % de bouches plus à nourrir.
  • À l'intérieur de la nouvelle population, le pourcentage de gens des classes moyennes, qui auront un peu de moyens pour s'acheter de la nourriture, va fortement augmenter. Et, quelle que soit sa culture, dès qu'on en a les moyens on ajoute des produits animaux aux produits végétaux dans ses habitudes alimentaires : viandes, laitages, poissons et œufs ; Or les produits animaux sont en quelque sorte des concentrés de produits végétaux, car les animaux qu'on mange mangent eux-mêmes beaucoup plus qu'ils ne produisent ! Il faudra donc augmenter d'environ un 2 ème tiers la production mondiale de végétaux pour nourrir ces animaux supplémentaires (en espérant que dans les pays ou on mange beaucoup trop de viande et de lait comme en Amérique du Nord et en Europe on baisse de façon significative ce type de consommation).
  • Le gâchis alimentaire est absolument considérable et concerne actuellement à peu près le tiers de la production agricole mondiale, de l'ordre de 1,3 milliards de tonnes, essentiellement à la production dans les pays pauvres, faute de bons équipements de stockage de la nourriture, et à la consommation dans les pays riches, compte tenu de la gabegie ambiante ; au total les riches gâchent plus que les pauvres ; comme il y aura davantage de riches, on n'arrivera pas à limiter significativement ce gâchis, et il est probable qu'il faudra augmenter d'encore 10 % la production à cause de cette inefficacité chronique.

On pourrait être optimiste et dire que vu les progrès effectués depuis 50 ans il sera relativement facile d'augmenter encore la production agricole mondiale le 70 %. Mais on peut tout aussi bien être pessimiste car c'est précisément dans les pays dont l'agriculture va être fortement perturbée par le réchauffement climatique qu'il faudrait augmenter la production, particulièrement en Afrique et en Asie tropicale… Augmenter la production agricole en même temps qu'augmenteront fortement la fréquence et la gravité des sécheresses, inondations, ouragans, maladies, épidémies, incendies, etc. va devenir beaucoup plus difficile. Voir à ce sujet ma vidéo : L'agriculture victime du réchauffement - dans les pays tropicaux

Et surtout on ne peut pas refaire le coup de la révolution agraire des années 50 « tout chimie tout pétrole », car précisément les inconvénients de cette agriculture intensive ont maintenant largement rattrapé ses avantages : érosion, baisse de la fertilité des sols et de la biodiversité, pollutions diverses, moindre efficacité des pesticides, inadéquation des systèmes d'irrigation, faible approbation sociale, etc.

Prenons conscience du fait que cette agriculture dite « moderne » a réussi à produire des résultats tout à fait impressionnants en France dans les années 60 à 90, au cours desquelles les rendements de blé ont triplé, passant de 20 à 70 quintaux par hectare ; mais depuis 30 ans ils n'augmentent plus et stagnent autour de 70 quintaux, avec de fortes variations dues aux phénomènes climatiques ! Et, de ce point de vue là, il n'y a rien à espérer de la bio où, là aussi, les rendements de blé stagnent depuis 30 ans, mais à un niveau 2 fois inférieur !

Évolution des rendements de blé en France, conventionnels et bios

Davantage d'informations sur ma vidéo : La fin de l'agriculture chimie-pétrole

Le défi est donc immense : augmenter fortement la production agricole dans les pays tropicaux qui n'ont pas réussi à le faire jusqu'à maintenant, au moment même où il faut réinventer de nouvelles techniques agricoles car les anciennes marquent le pas, et en compensant en même temps les effets extrêmement délétères du réchauffement climatique ! En plus, on compte aussi sur l'agriculture pour non seulement produire malgré le réchauffement climatique mais aussi pour arrêter de réchauffer la planète et même pour la refroidir en fixant beaucoup plus de carbone dans les sols ! C'est heureusement possible comme je l'ai développé dans ma vidéo L'agriculture SOLUTION au réchauffement , mais ce sera quand même extrêmement difficile ; le succès n'est pas assuré et la menace de production insuffisante conduisant à des famines fort réelles.

Pour lire l'épisode II, c'est par ici ...

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Bruno Parmentier, Ingénieur des mines et économiste, est l'ancien directeur (de 2002 à 2011) de l’ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Il est actuellement consultant et conférencier sur les questions agricoles, alimentaires et de développement durable.  Il a publié "Nourrir l'humanité"  et « Faim zéro » (éditions La Découverte), "Manger tous et bien » (Editions du Seuil), « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (publication libre sur Internet) et « Bien se loger pour mieux vieillir » (Editions Eres) ; il tient le blog "Nourrir Manger" et la chaîne You Tube du même nom. Il est également président  du CNAM des Pays de la Loire, de Soliha du Maine et Loire, et du Comité de contrôle de Demain la Terre, et administrateur de la Fondation pour l’enfance.

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