Ce livre est celui d’un jeune entrepreneur à l’époque de la révolution numérique, cette nouvelle Renaissance.
Passionné par l’innovation, avec l’aide d’un grand capitaine d’industrie, Vincent Bolloré, auquel le lie une relation inédite, il code et crée un réseau social, Whaller.
Son objet : offrir une plateforme de services aux internautes, à la manière de Facebook, mais privé et sécurisée, qui leur garantisse la propriété et la confidentialité de leurs données.
Son combat : mettre fin, avec l’aide de l’Etat, de l’Europe et des entrepreneurs, à la domination de Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, pour que les Européens cessent d’être une colonie numérique et redeviennent libres.
C’est l’histoire de David contre Goliath.
C’est un essai qui permet de comprendre comment un adolescent, codeur inspiré par Bill Gates, est devenu ingénieur, père de famille, puis s’est lancé dans la création d’une entreprise qu’il a voulue pas comme les autres, respectueuse des hommes et des femmes qui y travaillent.
C’est aussi un petit manuel de la création d’entreprise, de la mise en place d’une culture maison de management originale et audacieuse ; les portraits des personnalités rencontrées qui l’ont aidées, de Vincent Bolloré à Edward Snowden en passant par un ancien super-flic ; le récit d’espoirs et de batailles pour convaincre investisseurs, clients et collaborateurs de vous suivre quand vous êtes en avance sur votre temps.
C’est enfin une réflexion sur le rôle, la puissance et le danger des GAFAM ainsi que des propositions pour s’en libérer.
EXTRAITS
Comment Whaller a été imaginé
« Cependant, je veux créer un réseau social à la manière de Facebook et d’autres encore. Son principe est simple : chaque utilisateur possèdera un seul compte, avec lequel il aura accès à plusieurs « sphères », sa sphère professionnelle, ses sphères privées ou encore celles liées à ses engagements associatifs. Ce sera Whaller, la réunion de wh + all, c’est-à-dire « ensemble ». Un soir, je dépose le nom de domaine à mon nom, puis je continue de travailler de nombreux mois la nuit, seul – deux amis me rejoindront plus tard pour de la qualification, des tests et du support utilisateurs. Plusieurs mois sont nécessaires pour que j’arrive à un POC.
Je suis alors mu par un goût pour l’innovation. J’aime ça. L’innovation c’est un peu comme se mettre dans la tête d’un navigateur portugais ou espagnol au XVè siècle : au-delà de la ligne d’horizon de l’océan, c’est terra incognita. C’est la même chose dans les nouvelles technologies. Elles sont constituées de milliers de terres inconnues que l’innovation peut permettre de découvrir. Aussi, comme les explorateurs, je me suis organisé. Je me force à innover. Je cherche des idées pour finir par les trouver. Concrètement j’ai un petit carnet bleu – que je possède toujours – dans lequel je note et hiérarchise des idées, dessine des schémas. C’est mon carnet d’idéation. Au départ, je cogite à propos des sujets sur lesquels je suis investi chez Morpho : l’idée numéro 0 – comme toute informaticien, je démarre à 0 – « Analyse d’images de l’empreinte digitale » ; idée 1 « Détecteur de présence avec webcam », etc. Puis apparaît l’idée numéro 12 : « Réseau social Whall ». C’est la première note sur Whaller. Ensuite il y a les idées 13, 14, etc. Je continue un peu, pourtant je reviens à l’idée 12 pour la creuser. L’idée de la collaboration dans l’entreprise est déjà là, décrite dans quelques pages. […]
Nom : Bolloré. Prénom : Vincent
Vincent Bolloré est un homme hors du commun. Il a un charisme fou. C’est un entrepreneur, un innovateur. Toujours à l’écoute de ce qui se fait dans son groupe et à l’extérieur, avec une force de conviction hors du commun, capable de convaincre des personnes, elles-mêmes très fortes, de venir travailler avec lui. J’ai appris à diriger en l’observant.
Dans un monde où il est de bon ton de faire croire que l'on s'est fait seul, je prends un certain plaisir à dire publiquement que ça n'est pas mon cas. Whaller, que je dirige aujourd'hui, n'existerait pas sans l’apport de Vincent Bolloré et l’aide quotidienne de ses services et de ses équipes. Mon seul mérite est peut-être d'avoir décidé un jour de lui soumettre, « à la hussarde », mon projet.
Comme toutes les entreprises, la Maison Bolloré n’est pas une démocratie. Ici, c’est un empire dirigé par un empereur. Enfin non, comme le préfet Ange Mancini le dit, la Maison Bolloré c’est un « camp de Gitans » avec à sa tête un roi, Vincent Bolloré. En même temps, c’est le patriarche d’une famille. Il est un vrai-faux héritier. Certes, jeune, il hérite d’une entreprise familiale créée il y a 195 ans. Notons tout de même qu’en la rachetant 2 francs symboliques, cela montre que ce n’est pas l’affaire du siècle, qu’elle est en très mauvais état. C’est donc bien lui qui, à 29 ans, transforme les papeteries familiales OCB, un groupe en faillite, pour en faire, quarante plus tard, un groupe mondial prospère. […]
Ce qui caractérise « Bolloré », c'est l'exceptionnelle acuité de sa vision. Il possède une capacité très inhabituelle à passer du détail à une vision d'ensemble, et de la vision d'ensemble au moindre détail. Il porte en permanence la focale sur l'essentiel, en changeant facilement d'échelle. Il prête attention à tout. Sa compréhension des relations sociales, son intelligence des rapports humains, il les habille, sans doute par pudeur, d'un certain talent de comédien. Voilà qui ménage utilement, entre ses courtisans et lui-même, un espace de respiration. On sent chez Vincent Bolloré le besoin de mettre à l'abri le fruit du travail et d'en transmettre la garde et le soin à d'autres, dans l'initiation d'un mouvement perpétuel. Il transmet, il prépare la suite. […]
Sur les fonts baptismaux
A mon tour, j’ai présenté Whaller devant le comité stratégique (de la Maison Bolloré). Face à moi, Vincent Bolloré avait demandé au directeur général d’Autolib de présenter un projet concurrent au mien. En colère, j’ai défendu Whaller bec et ongles. Et j’ai gagné. Le comité m’a choisi. J’ai été détesté. C’est la marre aux crocodiles. Avec des alliances de circonstances entre les participants, quoique rivaux par ailleurs. […]
Zones d’ombre
C’était en 2010, lorsque je décide de créer Whaller, contre Facebook, je prends conscience de l’ « invasion » des réseaux sociaux. L’idée a été de reconquérir une partie de ce qui nous a été volé, une partie immatérielle de notre quotidien, de notre attention. Mon ambition est de créer la première brique de ce qui sera peut-être dans cent ans ou deux cent ans, un dispositif qui sera beaucoup plus puissant, permettant de rééquilibrer le jeu. Je sais que cent ans ce n’est pas l’horizon des start-ups. Pourtant, nous n’avons pas le choix et nous devons voir loin.
Je reproche à Facebook d’avoir pirater la vie privée de près de 3 milliards d’internautes dans le monde, capter leur attention et fausser la diffusion des nouvelles, tout cela dans la plus grande opacité algorithmique. Regardons : qui trouve-t-on sur Facebook ? La terre entière : particuliers, petites et grandes entreprises, associations, partis politiques, médias, églises, etc. Personne n’y échappe, tous les âges ont des comptes, et tous publient des récits détaillés de leurs vies, de leurs goûts et de leurs passions, de leurs projets, à une seule entité, Facebook, qui sait tout d’eux. Car derrière l’écran, la plateforme enregistre toutes les connexions et interactions existantes entre ces personnes et ces groupes ; et grâce à ses algorithmes, elle peut prédire les connexions futures et guider les interactions à venir. Enfin, Facebook possède même les informations de contact des internautes qui n’ont pas de compte sur le site ! Conclusion : Facebook nous surveille. Pour être très clair, c’est le système de surveillance le plus vaste de tous les temps. Facebook vend cette surveillance aux entreprises et aux partis politiques via son système de publicité. Ensuite, les autres utilisateurs peuvent observer ce que nous disons de nous sur nos profils, suivre nos relations, nos voyages, nos recommandations, nos opinions et nos préférences. Enfin, les gouvernements peuvent espionner leurs populations en se connectant tout simplement avec des faux ou des vrais comptes. Pour résumer, il n’existe aucun moyen d’empêcher totalement Facebook de vous traquer. Rajouter les données collectées sur ses propres applications (Messenger, Instagram, WhatsApp, etc.), et vous avez un empire de la collecte des données privées. […]
Pourquoi s’opposer aux GAFAM, ces néo-Etats ?
En situation de monopole, les GAFAM dominent le cyberespace, les individus, les entreprises et les Etats classiques.
Nous pouvons dire que les GAFAM sont des néo-Etats, pour ne pas dire des néo-Empires. Sur un plan politique, un Etat est reconnu comme tel s’il possède les quatre attributs suivants : une population, un territoire, un gouvernement qui n'est subordonné à aucun autre et une capacité d'entrer en relation avec les autres États. Appliquons maintenant cette grille aux GAFAM :
Leurs populations : dépassant les communautés nationales, ce sont les internautes du monde entier. Leurs territoires : aucun, ou plutôt si, le leur, c’est-à-dire leurs sites Internet dont il faut comprendre que, comme des Etats, ils ont des frontières, avec des gardes-frontières, une police et des règles de contrôle. Personne ne fait ce qu’il veut. A cet égard, leurs serveurs qui stockent plus de la moitié des données mondiales sont leurs sous-sols. Leurs gouvernements : ce sont leurs directions générales. Quant à leur capacité à interagir avec les autres Etats, elle prend de multiples formes : budgétairement, ils réalisent des chiffres d’affaires gigantesques et des résultats non moins faramineux ce qui leur permet de préparer l’avenir en consacrant des budgets annuels à la R&D sans équivalent dans le monde, leur permettant de faire la course en tête. Leurs valorisations boursières, c’est-à-dire ce que les acteurs du marché voient comme potentiel de création de valeurs futures, sont stratosphériques : Microsoft vaut plus que l’ensemble du CAC 40. Par ailleurs, sept des dix entreprises les plus rentables au monde sont des plateformes numériques dont les GAFAM. Fiscalement, ils sont quasi-souverains, déclarant leurs revenus là où ils paient le moins d’impôts ; politiquement, leur influence est énorme comme nous l’avons vu avec Facebook, mais c’est également le cas pour ses pairs avec leurs multiples projets qui touchent les infrastructures publiques comme la diffusion d’Internet dans le monde entier. Enfin, gardons en mémoire que Facebook a eu le projet d’émettre sa propre monnaie, la Libra(1), ayant cependant dû reculer devant la levée de boucliers. Je rajouterai que les GAFAMs sont en situation de quasi-monopole dans leurs secteurs, comme un Etat sur son territoire. […]
Que faire ?
Nous n’avons pas d’autres choix que de soumettre pacifiquement les GAFAM. Sachant qu’ils résisteront avec leurs armes comme le lobbying, la publicité, l’étouffement de la concurrence par le rachat systématique des entreprises, jeunes et moins jeunes, qui peuvent être des dangers pour eux.
Nous devons bien avoir à l’esprit que les GAFAM ont pu se développer dans les proportions que nous connaissons parce qu’ils étaient hors de portée de la loi. Comme le montre bien Shoshana Zuboff dans L’âge du capitalisme de surveillance(2), nous nous trouvons dans la même situation que le capitalisme au XIXè siècle quand le droit n’était pas adapté aux nouvelles conditions de travail des salariés. Le régulateur s’est alors mis au travail et cela a donné toutes les lois que nous connaissons sur l’âge légal pour travailler, la protection, les horaires, etc. […]
Pour les encadrer, il nous faut mener à trois niveaux, national, européen et international, trois actions concomitantes : s’appuyer sur la législation actuelle en faisant évoluer dès maintenant la jurisprudence, voter des lois qui les encadrent et préparer leur démantèlement. […]
Rebâtir Internet
Pour sauver Internet, il faut simplement le réinventer. C’est-à-dire créer des Internet locaux hors GAFAM et en dehors des Etats-Unis. L’Internet est américain : les couches technologiques, les câbles, les OS, les serveurs, les puces, les applicatifs et les plateformes des GAFAM sont la partie immergée de l’iceberg. Il faut tirer de nouveaux câbles entre les continents, bâtir de nouveaux datacenters et créer de nouveaux services. Cela n’empêchera pas d’être relié à l’Internet mondial. C’est une idée qui s’impose à moi après la question posée par les territoires immatériels. Contrairement à ce qu’on peut faire avec les territoires géographiques qui ne sont pas extensibles, avec Internet c’est possible. Quand tout le territoire est conquis par l’adversaire, ce qui est le cas actuellement avec les GAFAM, une solution peut être de créer de nouveaux territoires Internet.
Dans les faits, cela existe déjà : ce sont les réseaux d’entreprises. Cela ne les empêche pas d’être connecté à l’Internet mondial.
1 Néanmoins, Facebook a lancé un nouveau projet, appelé Diem, de même nature. Il montre que la Libra est simplement retardé.
2 Op. cit.
Pour acheter Après Facebook, rebâtir, de Thomas Fauré, publié aux Nouvelles éditions de Passy, suivre ce lien : https://www.leslibraires.fr/livre/20486106-apres-facebook-rebatir-monsieur-thomas-faure-nouvelles-editions-de-passy
(Date de parution : 23 février 2022)