Autant vous le dire tout de suite, je n'ai rien à voir de près ou de loin avec le Front National, aucune de leurs idées ou de leurs postures n'est en accord avec mes valeurs les plus fondamentales mais, en tant qu'observateur assidu de l'actualité sous l'angle de la communication, je dois tout de même revenir sur un épisode qui est un coup de com particulièrement efficace.
Et si j'en parle, c'est précisément pour veiller à ne pas nous faire avoir comme la plupart des observateurs viennent de le faire.
De quoi s'agit-il ?
La semaine dernière, Marine Le Pen a exigé que plus personne n'associe son parti à l'extrême droite et a même promis d'intenter un procès à tous ceux qui continueraient à le faire.
Alors, cela a fait rire certains tant c'était outrancier. D'autres, plus érudits et cultivés se sont lancés dans une explication savante pour assurer que le FN, c'était bien l'extrême droite, la pire même, celle qui ose vouloir le pouvoir comme dans les années 30.
Comme le rappelle le journal Le Monde : "Mme Le Pen l'a dit mardi 1er octobre à L'Express : elle contestera en justice la catégorisation à l'extrême droite. "Je m'élève contre la formulation d'extrême droite", a déclaré Mme Le Pen. "Dans le même sac, on met Breivik, Aube dorée, on secoue bien et on se dit qu'il y aura une bonne image bien crade" du FN, ajoute-t-elle. Deux jours plus tard, elle précise sur BFMTV : "J'envisage de me tourner devant les tribunaux pour faire admettre que ce terme est péjoratif, qu'il est utilisé de manière politique, partiale pour dénigrer le FN (...). C'est une injure (...) et c'est une manière de mener une guerre sémantique contre le FN."
Pourquoi est-ce une opération de communication réussie ? Pour deux raisons, selon moi.
La première est que cela occupe les journalistes et les commentateurs sur une piste qui est totalement hors sujet par rapport à ce qui se passe dans la société et le danger que représente cette formation politique. C'est une diversion qui aboutit à un débat sémantique stérile, une querelle d'intellectuels dont les français se moquent.
Car, à part les politologues, qui se soucie de savoir si l'on doit appeler ou non cette formation d'extrême droite ?
On peut tout aussi bien la qualifier de populiste, d'abjecte, d'anti-républicaine, le qualificatif que vous voulez, cela ne change rien. C'est une formation politique qui veut briser le pacte républicain, ce pour quoi nos pères se sont battus et ont donné leur vie, qui remet continuellement en cause les fondements de la société française, notre devise "liberté, égalité, fraternité" et qui nous conduira vers le cauchemar partout où elle réussira à prendre le pouvoir.
Pas besoin d'étiquette quand on fait cette description
Mais la deuxième raison qui me fait dire que c'est une opération de communication malheureusement très réussie, c'est qu'en affirmant cela, Marine Le Pen provoque des centaines de "coming out" de simples citoyens qui avaient jusque là toujours caché leurs sympathies pour le FN et qui se sentent désormais libres de le dire publiquement.
D'une certaine manière — et c'est une stratégie de communication bien connue des spécialistes de l'image de marque et du "branding" — c'est un message privé lancé à ceux qui se dissimulaient dans l'isoloir : "vous pouvez désormais être fiers de votre sensibilité politique, vous n'êtes pas des extrémistes. Vous êtes politiquement corrects et vous pouvez l'affirmer autour de vous" entend leur faire comprendre la chef du FN.
En revendiquant un positionnement, une baseline ou en proposant un acte identitaire tel que vient de le faire Marine Le Pen, celui ou celle qui s'occupe de l'image d'une marque crée une dynamique dans laquelle s'engouffrent immédiatement ses fans pour l'incarner et l'endosser.
En récusant l'attribut d'extrême droite, elle libère d'une certaine manière ses troupes les plus fraiches d'un poids de conscience qui va leur permettre de diffuser à visage découvert la "bonne parole." La dimension virale va se développer.
A mon avis, nous venons de vivre un tournant majeur dans la communication du Front National et dans son rapport à l'opinion publique. Laissons les intellectuels disserter sur le bienfondé ou non de cette revendication, Marine Le Pen vient de doper ses fans à la potion magique de la respectabilité.
Vous pouvez vous inquiéter ! Nous pouvons nous inquiéter.