Evergrande incite la Chine à mettre de l’ordre dans sa maison

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Par Stéphane Monier Publié le 29 septembre 2021 à 6h04
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14,5%L'activité immobilière et la construction représentent officiellement 14,5% du produit intérieur brut de la Chine

Treize ans après la grande crise financière, il n'est pas nécessaire de rappeler aux investisseurs que de mauvaises pratiques de crédit sur un marché immobilier peuvent contaminer les actifs dans le monde entier. Alors que les craintes de contagion liées aux mauvaises pratiques de crédit du groupe Evergrande et l'éventualité d'assister à des défaillances s'estompent, leurs conséquences sur le marché immobilier chinois et la croissance du pays se précisent.

Evergrande était le plus grand promoteur immobilier du monde. Avec 300 milliards USD de dettes, il est désormais le plus endetté du marché immobilier chinois. Il s'agirait du plus vaste exercice de restructuration que l'État chinois ait eu à gérer, affectant jusqu'à 1,4 million de personnes ayant investi dans des biens achetés sur plan. Cette situation pourrait nécessiter des mesures monétaires et fiscales additionnelles pour soutenir la croissance du pays à court terme.

L'activité immobilière et la construction représentent officiellement 14,5% du produit intérieur brut de la Chine. Ce chiffre peut suffire à minimiser l'importance économique du secteur immobilier. La semaine dernière, Kenneth Rogoff, professeur à Harvard, et son co-auteur Yuanchen Yang ont doublé ce pourcentage en incluant l'exposition indirecte telle que le financement, le coût de la main-d'œuvre et la gestion. Selon ce calcul, la part du secteur dans le PIB a triplé au cours des deux dernières décennies, ont-ils indiqué, ajoutant que l'économie chinoise était plus dépendante du marché immobilier que l'Espagne et l'Irlande avant la crise financière de 2008.

Le marché immobilier chinois est à la fois plus vaste et plus cher que dans la plupart des autres économies. Le rapport entre le prix médian des logements et le revenu médian est jusqu'à cinq fois plus élevé dans les villes chinoises que dans les villes européennes et américaines, selon la base de données du coût de la vie de numbeo.com. Le rapport prix/revenu pour les logements situés à Pékin et Shenzhen est respectivement de 49 et 47 fois, soit plus du double du ratio pour Paris ou Londres.

La dette d'Evergrande

Le 22 septembre, Evergrande a déclaré qu'il était parvenu à un accord avec les détenteurs d'obligations pour le paiement d'un coupon en renminbi dû le lendemain, d'une valeur de 232 millions RMB (36 millions USD). Le groupe n'a pas honoré le paiement des intérêts d'un deuxième coupon « offshore » d'une valeur de 84 millions USD. Avec peu de données, le marché traite la dette de la société à un prix de 25 cents pour un dollar, ce qui suggère que les investisseurs se préparent à une faillite de la société.

Au total, Evergrande devra rembourser des obligations libellées en dollars et en renminbi pour une valeur dépassant le milliard d'USD au cours de ces quatre prochains mois, selon les données de Bloomberg. Les restrictions imposées par la Chine en matière de prêts bancaires signifient que le modèle d'affaires du groupe repose également sur la vente de produits financiers et il n'a pas honoré les paiements aux investisseurs particuliers pour un montant d'environ 6,2 milliards USD. Le groupe doit également 1,8 milliard USD, vendus par l'intermédiaire de trusts avant la fin de cette année, et 4 milliards d'USD supplémentaires en 2022. Certains de ces trusts ont remboursé leurs clients institutionnels et leurs investisseurs privés, ou négocient des prolongations, explique Bloomberg.

Les problèmes d'Evergrande n'ont pas surpris ceux qui connaissent son modèle de financement. Ce mois encore, les agences de notation ont abaissé la note de la dette du groupe. Chez Fitch, par exemple, elle a reculé de trois crans en trois étapes depuis le 22 juin. Le 7 septembre Evergrande est ainsi passé de la catégorie B+ il y a un an à CC, et l'agence a écrit qu'« une faillite semble probable ».

« Lignes rouges »

Malgré ses efforts pour réduire son endettement, Evergrande n'a pas respecté les trois « lignes rouges » fixées par la Chine l'année dernière pour limiter le risque lié aux promoteurs immobiliers. Selon ces tests, les promoteurs doivent maintenir un ratio actif-passif en dessous de 70%, conserver des liquidités pour couvrir leurs dettes à court terme et veiller à un ratio dette nette/fonds propres inférieur à 100%.

Ces chiffres peuvent toutefois surestimer le risque de contagion. Tant que le risque de faillite reste limité à Evergrande, la Chine dispose des outils fiscaux et monétaires pour éviter un impact majeur.

En juillet, la Banque populaire de Chine (BPC) a réduit le montant des liquidités que les banques doivent détenir en réserve, connu sous le nom de « taux de réserves obligatoires (TRO) ». Si la croissance du pays ralentit, la banque centrale peut encore assouplir sa politique en baissant à nouveau le TRO durant le dernier trimestre de cette année.

Les gouvernements locaux ont d'ores et déjà prévu d'accroître leurs émissions d'obligations dans les mois à venir et la semaine dernière, la BPC a injecté 460 milliards de RMB de liquidités dans le système bancaire du pays, garantissant ainsi que les marchés financiers continuent de fonctionner. La Bourse de Shanghai a ignoré les craintes de contagion de la semaine précédente pour clôturer en hausse de 0,3% le 24 septembre et le rendement de l'obligation de référence à dix ans du gouvernement chinois s'est établi à 2,88%, après un pic de plus de 3,3% cette année.

La priorité politique de la Chine sera de s'assurer que les clients du groupe Evergrande recevront effectivement leurs logements, les autorités locales gérant les contrats par l'intermédiaire d'autres promoteurs. En attendant, les investisseurs en actions et en obligations devront assumer leurs pertes.

Cela serait conforme à l'ambition du gouvernement de décourager les comportements à risque ou l'aléa de moralité, et en ligne avec ses efforts pour réformer les règles de faillite, restructurer les entreprises inefficientes et les laisser faire faillite. Il s'est également engagé dans une campagne réglementaire visant les entreprises technologiques et la semaine dernière, la BPC a prohibé les crypto-monnaies.

Construire sur la croissance

En Chine, le durcissement de la réglementation et du crédit se traduira par un léger ralentissement de la croissance économique sur l'ensemble de l'année, entraîné par le secteur immobilier. Pour 2021, le PIB devrait se situer autour de 8,5%, même si le troisième trimestre connaîtra sans doute une croissance faible, voire nulle. L'année prochaine, nous tablons sur une croissance de 5,6% pour la Chine, en ligne avec sa moyenne à long terme. L'économie chinoise s'adapte et évolue vers un modèle porté par la demande intérieure, sur fond d'une urbanisation qui plafonne lentement et d'un vieillissement de sa population active.

Le positionnement de nos portefeuilles privilégie les obligations gouvernementales libellées en renminbi. Du fait que le secteur immobilier chinois semble fragile depuis un certain temps, nous avons évité les titres à haut rendement. Nous avons augmenté notre exposition aux actions chinoises en août, suite à la sous-performance des marchés boursiers chinois cette année, pour ramener notre allocation à un niveau neutre. La monnaie chinoise devrait conserver sa valeur, du fait que la dette souveraine est majoritairement financée en renminbi avec des réserves de devises étrangères élevées. Les atouts structurels de la Chine, à savoir une balance courante robuste, ainsi que des investissements directs étrangers et des flux de portefeuille, restent solides et soutiennent le renminbi à moyen terme. Nous voyons la devise chinoise s'échanger autour de 6,45 contre le dollar d'ici la fin de l'année, et de 6,35 par USD d'ici la fin de 2022.

Nous continuons également à surveiller tout signe de contagion onshore, ou offshore. Plus précisément, nous examinons la santé du segment à haut rendement, où près des deux tiers du crédit sont liés à l'immobilier, et dont une grande partie se négocie avec une décote importante. En revanche, les obligations de qualité libellées en dollars continuent de se négocier sans aucun signe de contagion.

À terme, la Chine semble en mesure d'éviter le pire des retombées de la chute d'Evergrande. Par ailleurs, en éliminant les pires excès des pratiques d'endettement, nous pensons globalement que cet épisode constitue une évolution nécessaire du modèle économique chinois.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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