Le chiffre date, mais le problème reste entier : en 2009, le blanchiment d’argent sale dans le monde était estimé à 1 600 milliards de dollars par l’Office des Nations unis contre la drogue et le crime, soit 2,7% du PIB mondial. Plus de dix ans ont passé et tout indique que le phénomène a encore progressé.
Si un Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) a été créé en 1989 à l’instigation de la France, et si les listes noires fleurissent au sein de nombreuses instances internationales afin d’encourager les pays visés à muscler leur lutte contre le blanchiment, ces initiatives, maladroites quand elles ne sont biaisées, demeurent insuffisantes. Dernier exemple en date : une liste noire publiée par l’Union européenne « oubliant » nombre de pays pourtant connus pour leur opacité bancaire.
L’Union européenne, plaque tournante du blanchiment d’argent ?
Quand on parle de blanchiment d’argent, quelques noms viennent immédiatement à l’esprit tels que les îles Caïman, Panama, les îles Vierges, ou, plus près de nous, l’île de Man, le Liechtenstein, San Marin, Andorre et la Suisse. Les plus grands scandales récents ont cependant éclaté au sein même de l’Union européenne, en Lettonie, en Estonie et dans deux pays nordiques à la réputation impeccable, le Danemark et la Suède. Chypre est de manière notoire une plaque tournante du blanchiment de l’argent russe. En tout, l’UE reconnait l’existence d’un problème dans pas moins de 11 de ses Etats-membres, y compris 2 pays fondateurs de la Communauté européenne des années 50, le Luxembourg et les Pays-Bas.
Pourtant, la liste noire de l’UE des pays « à risque » et sous surveillance, largement inspirée par celle du GAFI, fait l’impasse sur un nombre important des pays réputés pour leur laxisme, y compris les deux considérés comme les plus problématiques par le GAFI, à savoir l’Iran et la Corée du Nord. D’une manière surprenante, la liste européenne vise en priorité des démocraties.
La liste noire européenne, une occasion ratée
Les intentions originelles de l’Union européenne étaient louables. « En Europe, il y a eu scandale après scandale, et de nombreux citoyens n’attendent plus rien des règles, pensent que les riches et les tricheurs jouent à un jeu privilégié. Cela doit cesser. Il est grand temps que l’Europe agisse » : c’est sur ce constat sans appel que s’appuyait, début 2019, la commissaire à la Justice Vera Jourova pour demander la création d’une liste noire européenne plus exhaustive rédigée sur la base d'une nouvelle méthode prenant en compte les critères plus stricts fixés dans la 5e directive anti-blanchiment, en vigueur depuis juillet 2018. 54 pays et territoires avaient alors été analysés, qu’il s’agisse, selon les critères officiels, d’entités ayant une incidence systémique sur l'intégrité du système financier de l'UE, étant considérées par le Fonds monétaire international comme des centres financiers offshore internationaux ou ayant une pertinence économique pour l'UE et des liens économiques solides avec cette dernière.
Une avancée sans précèdent, puisqu’au terme de cet examen, 11 nouveaux pays avaient été mis à l’index, afin d’atteindre un total de 23 juridictions « présentant des carences stratégiques dans leurs cadres de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ». Dans ce nouveau document apparaissaient certains pays comme les îles Vierges des États-Unis, Guam et l’Arabie saoudite, Las, sous la pression des Etats-Unis (le GAFI, fixant les standards en matière de lutte contre le blanchiment, est présidé par une Américaine), la liste sera finalement révisée afin de faire disparaître la plupart de ces pays. De quoi remettre en cause la crédibilité de la liste et de la méthodologie utilisée.
L’UE donne le sentiment dérangeant de ne s’attaquer qu’à des pays faibles, hors de l’Union européenne et de son voisinage, et ne bénéficiant pas de soutiens internationaux puissants. Face à des manquements aussi béants, il faut espérer que le Conseil des ministres de l’UE et surtout le Parlement Européen refusent de donner leur blanc-seing à cette liste de boucs émissaires sans capacités de représailles et auxquels ont été refusés les droits de la défense les plus élémentaires.
Pour mémoire, la liste de l’UE de 2019 avait été rejetée à l’unanimité des Etats membres, fait sans précédent depuis le traité de Rome en 1957. Le blanchiment est décidément un sujet avec lequel l’Europe a beaucoup de mal.