Le think tank FARM Europe sert-il réellement les intérêts agricoles européens ?

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Par Christian Harbulot Modifié le 30 mars 2016 à 10h33
Traite Transatlantique Agriculture Think Tank Europe
@shutter - © Economie Matin
5 %L'agriculture représente 5 % des emplois en Europe.

La crise agricole et les négociations sur le Traité Transatlantique ont relancé le débat sur les stratégies d’influence initiées à Bruxelles par des intérêts étrangers non européens.

Les structures de réflexion sont d’autant plus concernées par ce problème qu’elles se présentent comme des instruments de soutien à l’élaboration de la politique européenne, à l’image de FARM Europe. Or, après quelques investigations, leur positionnement apparaît extrêmement ambigu voire contradictoire vis-à-vis des intérêts européens.

Cet organisme se présente comme « un think tank multi-culturel qui vise à stimuler la réflexion sur les économies rurales. Dans une Union européenne à 28 Etats membres, nous sommes convaincus que la mise en réseau et la confrontation d’idées peut générer et offrir aux décideurs européens des solutions politiques ambitieuses et innovantes ».

Afin de mieux « représenter les intérêts des organisations agricoles européennes auprès des Institutions européennes », le think tank FARM Europe est lancé au printemps 2015. Cette démarche n’a pas été facile car ses fondateurs ont rencontré certaines difficultés pour trouver des partenaires financiers.

Au début, tout semblait cohérent. Dans les premiers jours qui suivirent le remplacement de Dacian Ciolos par Phil Hogan au poste de commissaire européen à l’agriculture, le bruit circulait même que Ciolos pourrait présider le think tank. Lorsqu’il était en fonction, le Roumain Ciolos avait défendu une approche des problèmes agricoles allant dans le sens de la défense des intérêts européens. Les principales organisations agricoles françaises (Crédit agricole, Groupama, FNSEA, In Vivo, Avril) ont apporté des fonds à FARM Europe. Certains de ces soutiens se mobilisaient dans l’optique d’une agriculture européenne régulée et forte, capable de répondre aux besoins d’un monde en pleine expansion.

L’étude attentive des articles et des colloques de FARM Europe va faire naître au fil du temps quelques interrogations. A titre d’exemple, les articles sur le TTIP ou la volatilité des prix sont rédigés dans un sens qui semble soutenir une démarche européenne alors qu’en réalité ils visent à plaider pour le TTIP et à indiquer que la volatilité des prix ne peut être combattue que par l’assurance alors que les spécialistes savent que cela coûterait très cher et serait in fine inefficace. FARM Europe aurait-il changé d’orientation depuis sa création ? C’est la question qu’on peut se poser en faisant le constat que ce think tank va dans le sens de la Commission européenne, c’est-à-dire de la politique suivie par l’Irlandais Phil Hogan. Ce personnage, actuellement décrié dans plusieurs pays membres de l’Union, ne considère pas l’agriculture comme un enjeu stratégique pour l’Europe mais comme une activité qui doit se soumettre aux contraintes du marché.

FARM Europe ne soulève pas aujourd’hui que des interrogations dans ce qui pourrait être qualifié d’alignement sur les positions très contestées de l’actuel commissaire à l’agriculture Phil Hogan. Deux des dirigeants du think tank, J. Joao Pacheco et Laars Hoelgaard, ont occupé le poste de Directeur général adjoint de la DG AGRI. Or l’un comme l’autre s’étaient opposés à la conception « régulatrice » de la PAC de Dacian Ciolos. La personnalité de Joao Pacheco peut prêter à confusion. Cet ancien ambassadeur de l’Union européenne au Brésil a quitté la Commission fin 2013 dans des conditions contestées puisqu’il est passé directement d’une responsabilité à caractère public au sein de la Commission à un cabinet de lobbying américain, Allen F. Johnson (AFJ). Celui-ci est notamment spécialisé dans la défense de l’agriculture américaine et des accords de libre-échange, dont le TTIP en cours de discussion. Notons à ce propos que le fondateur de ce cabinet de lobbying, l’ambassadeur Allen F. Johnson, a été de 2001 à 2005, négociateur en chef pour l’Agriculture au sein du Bureau du représentant des États-Unis pour le commerce extérieur (USTR). Après un début de polémique sur cette relation passée quelque peu troublante, l’ordre de présentation des membres de l’équipe de FARM Europe change entre fin avril et juillet 2015: le Portugais Joao Pacheco est rétrogradé du 1er rang au 3ème. En mars 2016, il a retrouvé la première place sur l’organigramme.

Par ailleurs, deux Français font partie de l’équipe de direction du think tank : Yves Madre, fonctionnaire en disponibilité qui appartient au corps des Ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts (INPEF) et Luc Vernet qui est un ancien journaliste d’Agra Presse (principale agence de presse française sur l’agriculture). Tous deux étaient membres du cabinet du précédent commissaire à l’agriculture, Dacian Ciolos. Force est de constater qu’ils sont très suivistes par rapport à l’orientation actuelle de l’équipe et qu’ils ne cherchent pas à apporter une voix contradictoire.

Ces différents éléments interpellent sur le positionnement réel de ce think tank censé promouvoir l’agriculture européenne au niveau mondial. Il apparaît donc difficile de croire que les « solutions politiques ambitieuses et innovantes » proposées par Farm Europe aux décideurs européens défendent réellement les intérêts de l’Europe. L’Europe dispose de nombreux atouts pour se construire un bel avenir et occuper une place de choix sur la scène internationale. Néanmoins, si des structures de réflexion censées promouvoir ces atouts adoptent une posture hypocrite, c’est l’avenir de l’Union européenne qui est remis en question.

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Christian Harbulot est directeur de l'École de Guerre Économique et directeur associé du cabinet de conseil Spin Partners, spécialisé en intelligence économique et lobbying.

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