L’Union européenne est en piètre forme – mais elle va tout de même mieux que les USA sur un point au moins…
Nous sommes arrivé à l’aéroport Kennedy International hier ; le retour était rude.
Prendre un taxi à New York est sinistre, comme se faire arrêter en Europe. On vous fait asseoir à l’arrière, séparé du chauffeur – qui ne parle pas anglais – par une épaisse plaque de plastique.
Tout est bien qui finit bien, cela dit : nous sommes arrivé à notre hôtel sans encombre. Nous sommes de retour aux Etats-Unis pour Thanksgiving… Noël… des mariages… des enterrements… des petits-enfants – tout ce qui fait la vie ordinaire.
Léthargique… surtaxée… surréglementée
Evidemment, notre vie serait plus ordinaire si nous restions au même endroit ; nous y gagnerions en temps… en stabilité… et en confort. Mais nous perdrions aussi quelque chose.
Il y a des avantages à sortir et aller voir le monde. Notre mission est de relier les points. Avec un peu de distance, le schéma devient plus clair.
Tout le monde sait par exemple que l’Europe est lourde… léthargique… surtaxée… et surréglementée. Les travailleurs y prennent trop de vacances, et ses entreprises n’ont pas l’esprit dynamique qui rend les entreprises US si prospères.
Comparée aux intraitables décideurs américains, l’Europe n’a aucune chance de tenir le rythme, n’est-ce pas ?
C’est pour cela que tous les foyers des Etats-Unis sont décorés de meubles tout droit sortis des prestigieux ateliers de Tallahassee… que les Américains portent la dernière mode provenant d’Alabama… qu’ils commandent leurs berlines de prestige directement aux usines de Detroit… s’aspergent d’un peu d’eau d’Indianapolis avant de partir… utilisent des microscopes de précision fabriqués dans l’ouest du Texas… et dégustent de délicieux fromages provenant d’Alabama.
Non ?
La meilleure économie de tous les temps
Bon… d’accord… peut-être que les Etats-Unis ne dominent pas les secteurs haut de gamme. Le bas de gamme, quant à lui, peut aller à la Chine, au Vietnam et d’autres.
Malgré tout, comme le dit Le Donald, les Etats-Unis ont la meilleure économie de tous les temps. Nous devrions avoir les taux les plus bas, a-t-il dit au président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, parce que « nous sommes les USA ».
Lorsqu’on vit en Europe, cependant, on commence à se poser des questions. Les Boches, les Ritals, les grenouilles et tous les autres ne semblent pas se débrouiller trop mal. Des camions circulent sur les autoroutes. Les boutiques tournent. Les consommateurs consomment. Les restaurants sont pleins. On voit moins d’abjecte pauvreté et de misère noire en Europe qu’aux Etats-Unis. Les gens y vivent plus longtemps et souvent mieux.
L’Irlande, par exemple, est florissante. Il reste des rangées de minuscules maisons mitoyennes, héritage des années sombres du siècle dernier et avant. Mais même elles sont propres et bien entretenues. Le PIB per capita en Irlande est désormais de 78 000 $ environ. Aux Etats-Unis, il n’est que de 63 000 $.
Sur les 20 dernières années, devinez quelle économie s’est développée le plus rapidement – les Etats-Unis ou l’Union européenne ? L’Amérique ou l’Europe ?
Ne faisons pas durer le suspense : la réponse est l’Europe. Le PIB per capita a augmenté de 35% entre 1997 et 2017 aux Etats-Unis. Dans l’Union européenne, il a cru de 37%.
Allez comprendre.
Apogée… puis déclin
Ce que nous comprenons, en ce qui nous concerne, c’est que notre hypothèse est essentiellement juste. Nous pensons que les Etats-Unis ont atteint leur apogée aux alentours de la fin du siècle dernier. Depuis, parmi les trois grandes économies mondiales – Etats-Unis, Europe et Chine –, les USA sont à la traîne.
Ce que nous trouvons le plus révélateur, c’est le déclin de la valeur des principales industries du pays en termes d’argent réel.
On pouvait acheter la fine fleur de l’industrie américaine – les 30 actions du Dow Jones – en 1999 pour 40 onces d’or… soit 1 400 $ en dollar pré-1971 (lorsqu’il était lié à l’or au prix de 35 $ l’once).
Si l’on avait laissé son investissement dans l’or, aujourd’hui, on pourrait acheter deux fois le Dow – en obtenir deux fois plus pour son argent – avec les mêmes 40 onces d’or. (Ces chiffres ne tiennent pas compte des dividendes… qui peuvent être considérables au fil du temps. Nous n’examinons que la valeur en capital.)
Le capitalisme est cassé
D’après nous, ces chiffres disent que quelque chose ne va pas dans le capitalisme américain. Un professeur de l’université de New York nous explique quoi :
« Premièrement, les marchés américains sont devenus moins compétitifs : la concentration est élevée dans de nombreux secteurs, les dirigeants sont bien installés et leurs taux de profit sont excessifs. Deuxièmement, ce manque de concurrence a nui aux consommateurs et travailleurs américains : cela a mené à une hausse des prix, un déclin des investissements et un recul de la productivité. Troisièmement, contrairement à l’idée communément acquise, la principale explication est politique, non technologique : j’ai identifié l’origine du déclin de la concurrence comme étant l’augmentation des barrières à l’entrée et une faible application des mesures anti-trust, [tout cela étant] soutenu par un lobbying intensif et d’importantes contributions électorales. »
L’auteur de ces lignes est Thomas Philippon. Son livre, The Great Reversal : How America Gave Up on Free Markets [« Le grand renversement : comment les Etats-Unis ont abandonné le libre-échange », NDLR] explique de quelle manière les USA ont laissé tomber les valeurs essentielles à leur grandeur. En deux mots, ils se sont détournés des marchés pour se concentrer sur la politique.
C’est par les marchés que les gens s’enrichissent. C’est par la politique que leur richesse est redistribuée et gaspillée.
La différence avec l’Europe…
Dans son livre L’Etat, ses origines, son évolution et son avenir, le physicien et sociologue Franz Oppenheimer formulait ainsi les choses :
« Il existe deux moyens, diamétralement opposés en principe, par lesquels l’homme, gouverné partout par le même instinct de conservation, peut arriver à satisfaire ses besoins : le travail et le rapt, le travail personnel et l’appropriation par la violence du travail d’autrui. »
Pourquoi la politique serait-elle plus pernicieuse aux Etats-Unis qu’en Europe ? La réponse simple est que l’Europe en a moins.
Les Européens parlent des langues différentes. Ils ont une histoire différente. Des drapeaux différents. Des cultures différentes. Ils se méfient les uns des autres… et aucun ne fait confiance à leur gouvernement central. Pendant que les Américains inondent d’argent et de pouvoir les créatures du marigot, les Européens râlent à chaque sou envoyé à Bruxelles.
Les capitalistes de copinage complotent avec le gouvernement en Europe tout comme aux Etats-Unis – mais on dépense moitié moins en lobbying à Bruxelles qu’à Washington. Quant aux contributions électorales, les candidats aux Etats-Unis touchent 50 fois plus d’argent que les politiciens européens.
Il n’y a que deux choix : la politique ou les marchés. Durant la dernière moitié du XXème siècle, les Etats-Unis se sont progressivement tournés vers la politique.
Ils en paient désormais le prix.
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