Depuis le début de l’année 2018, l’indice Bloomberg de la capitalisation boursière s’est stabilisé autour de 80 000 milliards de dollars, en hausse de plus de 30% depuis l’élection de Donald Trump. Néanmoins, la stabilisation de cet indice sur ses records cache une dichotomie existante entre les différents marchés qui s’est nettement accentuée ces derniers mois et pourrait être dangereuse. Les indices américains mènent la danse, enchaînant records historiques sur records historiques, prenant de plus en plus de poids dans l’indice. Parallèlement, indices émergents et européens perdent du terrain : -15% pour nombreux émergents ; -4% pour le CAC40 jusqu’ici très solide ; et -15% pour l’indice italien, le Footsie Mib, depuis leurs plus hauts annuels.
Nous pouvons constater que des flux historiques se portent à l’achat sur les indices américains. Entre les buybacks (rachats d’actions par les entreprises), les injections diffusées à travers le monde par les banques centrales, les particuliers américains dont le moral est au beau fixe (le sentiment des consommateurs est sur des plus hauts historiques), et les professionnels en quête de performance soit par choix soit par nécessité de battre un benchmark, les marchés US sont constamment abreuvés d’incommensurables liquidités. Bémol tout de même, depuis plusieurs trimestres, la hausse de certains secteurs prend le pas sur l’ensemble de la cote et la capitalisation des valeurs technologiques devient stratosphérique. Pire encore, à l’intérieur même des valeurs technologiques et internet, seules une poignée tirent leur épingle du jeu, extrêmement recherchées par les investisseurs, alors que de plus en plus d’autres se retournent à la baisse. Autrement dit, quelques mastodontes mènent la phase haussière en cours, ce qui pourrait se retourner contre les marchés. Imaginez que les locomotives d’aujourd’hui deviennent les freins de demain et c’est l’ensemble de la cote qui pourrait cette fois chavirer.
Au travers des comparaisons historiques, nous allons voir que les proportions de la hausse des FAANGM (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google et Microsoft) résonnent avec des exemples du passé. Sorte de mise en garde, cette analyse a pour but de vous sensibiliser aux risques inhérents à la phase de marché euphorique que nous connaissons en 2018. La hausse peut encore perdurer, mais une chose est certaine, il ne sera pas agréable de faire partie des derniers entrants à la prochaine explosion de volatilité.
Source: BofA Merrill Lynch Global Investment Strategy, Bloomberg, Septembre 2018
Sur le graphique ci-dessus sont comparées les performances de matières premières et d’indices sur les 40 dernières années. Plus particulièrement, les performances des bulles d’actifs. Une bulle est caractérisée par une accélération haussière violente, soutenue par des liquidités temporaires avec l’appui des médias et l’entrée tardives des particuliers. C’est exactement ce que pourrait être en train de réaliser l’indice e-Commerce Dow Jones (Amazon, Netflix, Google et Facebook) avec une hausse de 617% en 8 ans. Dans le monde boursier d’aujourd’hui, la capitalisation de la tech américaine dépasse celle de l’ensemble des entreprises de la zone Euro... rien ne va plus.
Mais ce qui est le plus inquiétant, c’est la façon dont la hausse déjà stratosphérique accélère. Observons ci-dessous la courbe des flux sur les valeurs technologiques ces dernières années. Alors que 2017 avait connu un afflux historique de plus de 15 milliards de dollars investis dans les actions technologiques, c’est le double qui pourrait être atteint cette année. L’euphorie est palpable.
Source: BofA Merrill Lynch Global Investment Strategy, Bloomberg, Août 2018
De fait, une poignée de titres prend le peloton de tête, et leur poids devient prépondérant dans l’indice. Sur le graphique suivant, à gauche, vous pouvez constater qu’entre 2014 et 2018 le poids des FAANGM est passé de 9 à 18% dans l’indice SP500. A droite vous pouvez constater ce qu’il s’est passé lorsque le poids combiné des géants de l’internet des années 2000 a atteint ce même chiffre. Lorsqu’un groupe de valeur attire l’ensemble des capitaux et devient trop lourd, il peut en subir le revers de la médaille.
Source : Bloomberg, Gluskin Sheff, Août 2018
Autre comparaison avec Apple et certaines valeurs américaines parmi les convoitées de l’histoire boursière, dont la capitalisation a un jour excédé le seuil des 4% du SP500. Que ce soit Microsoft, General Electric, Cisco Systems ou Exxon Mobil, dont on a entendu parler par le passé qu’elles dureraient éternellement et ne pourraient que croître, voyez ce qu’il s’est passé à chaque fois que l’une d’entre elles est devenue prépondérante. Il ne s’est pas passé plus de 15 mois avant que le marché ne corrige en quelque sorte cette anomalie, au-dessus de 4%, et c’est exactement le temps que vient d’y passer Apple ces derniers trimestres.
Source : The Leuthold Group, Septembre 2018
Pour finir, voici un graphique qui compare en noir en haut le Nasdaq100, dont les cours inscrivent des plus hauts encore ces derniers jours, et en bleu en bas le pourcentage d’actions du Nasdaq qui évoluent au-dessus de leur moyenne mobile à 200 séances (comprenez par-là les titres en tendance haussière de moyen/long terme). Nous pouvons constater une désynchronisation grandissante, le nombre de titres haussiers à long terme est passé de 61% à 49% alors que parallèlement l’indice n’a cessé d’inscrire de nouveaux records. Cela signifie que l’ensemble de la performance est effectué par un nombre de plus en plus restreint de valeurs.
Source : Stockcharts, Septembre 2018
En conclusion, ce ne sont plus les marchés actions mondiaux qui sont haussiers en 2018 mais bien une centaine voire une dizaine de titres américains qui mènent la danse haussière en trompe l’œil. Une telle situation n’est pas vouée à durer. Comme le disait Warren Buffet, qui cela dit en passant garde bien au chaud 50% de ses liquidités en réserve « Soyez craintif quand les autres sont avides. Soyez avide quand les autres sont craintifs. »