Etats-Unis et Empire romain : bis repetita non placent ?

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Par Nicolas Pietrzyk Modifié le 29 juin 2013 à 13h09

Les Etats-Unis restent toujours la première puissance économique mondiale, mais craignent malgré tout une perte de suprématie dans les prochaines années.

Selon le CEPII, dans son étude de février 2012 intitulée "Le grand basculement des pouvoirs économiques : les projections du CEPII pour l'économie mondiale à l'horizon 2050", le PIB de la Chine devrait dépasser celui des Etats-Unis vers 2020 (vers 2040 à prix relatifs constants), en occupant 30% de la production mondiale, contre 12% pour les Etats-Unis et 9% pour l'Union européenne.

Dès lors, malgré une croissance chinoise moins forte que prévue en Chine (7,8%) en 2012 et une croissance positive des Etats-Unis (2,2%) pouvant retarder cette échéance, les Etats-Unis se sont grandement inquiétés d'un déplacement hégémonique vers l'Asie et s'interrogent sur les causes profondes de cette perte de vitesse, au point même d'évoquer l'idée de déclin.

Cette inquiétude est particulièrement vivace et obsédante outre-Atlantique où plusieurs économistes et historiens ont observé que beaucoup de difficultés actuelles ne sont pas sans rappeler les périodes de déclin de la Rome antique, que ce soit vers la chute de la République romaine (27 av. J.-C) ou bien vers la chute de l'Empire (476 apr. J.-C).

Par exemple, en 2007, le Comptroller of the Currency (Président de la Cour des Comptes américaine) déclarait : « La République romaine est tombée pour de nombreuses raisons, mais quelques-unes méritent d'être méditées : le déclin des valeurs morales et politiques, une expansion militaire sur des terres étrangères, l'irresponsabilité budgétaire du gouvernement, ça vous rappelle quelque chose ? A mon avis, il est temps de retenir les leçons de l'Histoire et de prendre les mesures indispensables pour s'assurer que les Etats-Unis soient la première puissance qui résiste à l'usure du temps ». Plusieurs ouvrages ont depuis repris cette interrogation et la question s'est même posée pour l'Union européenne, avec le livre Le Déclin de David Engels.

Beaucoup d'empires ont rayonné pour ensuite s'effondrer par excès d'ambition, perte d'identité ou manque de remise en question. L'aigle américain et l'aigle impérial romain sont-ils vraiment comparables ? Il convient donc ici d'interroger ce point de vue.

En effet, il peut être tentant pour les défenseurs de cette vision pessimiste de l'avenir occidental d'utiliser comme exemple, et de façon souvent exagérée, ce qui fut un des plus grands bouleversements de l'Histoire : la fin de l'Antiquité romaine et l'entrée vers le Moyen-Age. Les tentatives de prophéties et d'analyses purement scientifiques ne peuvent être pertinentes, car le contexte économique est trop différent et éloigné. Malgré tout, des similitudes entre les deux périodes sont surprenantes, en particulier sur la question des inégalités et de l'endettement public.


Quelques causes du déclin romain et ses similitudes avec la période actuelle

S'il existe une multitude de facteurs ayant conduit à la fin de l'empire Romain et qui ont été comparés à l'époque actuelle, deux éléments sont particulièrement révélateurs : Les inégalités et l'endettement public.

Daniel Cohen, dans « Homo Economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux » reprend dans son ouvrage quelques similitudes entre les deux périodes, en insistant tout particulièrement sur les inégalités, qui se sont accrues dans nos sociétés depuis une vingtaine d'années.

Celles-ci ont toujours été importantes dans la société romaine comme aux Etats-Unis. En effet, dans les deux cas, 11,5% des plus aisés possédaient 40% des richesses. Mais contrairement à aujourd'hui, le reste de la population romaine vivait sous le seuil de pauvreté, et il n'y avait pas de classe moyenne.

Ainsi, l'analogie entre nos deux périodes ne se situe pas tant sur le niveau des inégalités mais plutôt sur leur acceptation par la population et la façon dont l'élite affiche ses richesses. Après le règne de Marc Aurèle, la Rome antique « passe d'un âge d'équilibre à un âge d'ambition » selon Peter Brown. En effet, avant l'antiquité tardive, les élites recherchaient principalement les honneurs de la Cité, et effectuaient régulièrement d'importants dons aux cultes et à la communauté.

Dès le IIIe siècle, ce consensus vola en éclat, et l'esprit de compétition prit de plus en plus l'ascendant : la réussite s'affichât alors surtout à travers l'opulence et les palais, les cultes n'important plus comme auparavant. Peter Brown parle alors d'un malaise social général ayant pour fondement cette compétition de plus en plus dure.

David Engels reprend une démonstration similaire, mais pour l'Union européenne qu'il compare à la période de déclin précédent la fin de la République romaine : il observe tout d'abord qu'une part croissante des individus estime que l'acquisition de biens matériels est le premier moteur de l'épanouissement personnel (20% en 2000 puis 36% en 2008), et compare cette situation avec la fin de la Rome tardo-républicaine et impériale où des auteurs romains comme Tite-Live constatent clairement une montée d'un matérialisme de plus en plus important et un recul de la solidarité sociale. Cet individualisme croissant s'accompagne également d'une diminution de la démographie durant cette période.

Etats-Unis : un endettement public trop élevé

Il n'est pas nécessaire ici de rappeler la situation budgétaire délicate des Etats-Unis. L'Empire romain d'Occident a également connu des difficultés similaires à la fin du IIIe siècle, par une crise de plus en plus importante des finances publiques, qui précipitera son déclin. Celles-ci se sont dégradées par le biais de plusieurs facteurs :

Une crise économique : les mines et les ressources agricoles et forestières sont des secteurs en difficulté.

Les guerres : l'Empire romain passe d'une logique de conquête (qui apportait des butins) à une logique défensive qui demandait l'entretien permanente d'une force armée. Dès lors, il va progressivement « privatiser » son armée avec un recours croissant à des mercenaires (comme le fait aujourd'hui l'armée américaine).

L'injustice fiscale : les ressources fiscales reposaient principalement sur les paysans, et il existait de nombreuses dérogations pour les élites terriennes (ce qui n'est pas sans rappeler les débats actuels sur les niches fiscales). L'Etat devait aussi mener une politique d'augmentation des impôts. Face à cette situation, l'Etat a en effet tenté d'en lever davantage. Mais les curies (administrations locales) n'y sont alors pas parvenues et de nombreux fonctionnaires ont fui et ont été très durement sanctionnés.

Deux contextes très différents :

Ainsi, plusieurs points communs entre la période actuelle et la Rome antique ont pu être dressés. Il convient à présent de rappeler que les contextes économiques de ces deux périodes éloignées sont très différents, en particulier dans le rapport des deux sociétés à l'innovation.

En effet, selon une grande étude menée par Aldo Schiavone, la principale raison pour laquelle l'Empire romain diffère des sociétés modernes est une stagnation économique et technique. En effet, Rome disposait d'esclaves pour effectuer toutes les tâches les plus pénibles et n'ont dès lors pas cherché à innover et à avoir une logique entrepreneuriale, contrairement à nos sociétés actuelles tournées vers la croissance économique et la logique schumpétérienne.

A l'inverse, les Etats-Unis, selon Paul Romer, disposaient d'une insuffisance constante de main d'œuvre, ce qui a poussé les Américains à innover pour développer le capital.

Cependant, comme le rappelle Daniel Cohen, « l'indolence progressive des Romains, qui les a fait sous-traiter la conduite des guerres à des Barbares se retrouve ici dans le faible intérêt que les Américains manifestent pour les disciplines scientifiques » contrairement aux métiers du droit et de la finance. Les Etats-Unis attirent donc de nombreux étudiants étrangers, notamment asiatiques, dans ces domaines scientifiques. Ce pays possède donc encore un grand potentiel de ressources intellectuelles pour surmonter de nombreux défis à venir.

Conclusion :

Il est surprenant de voir à quel point les Romains connurent des difficultés économiques similaires aux notres : un malaise créé au sein des populations par des inégalités de moins en moins acceptées, par une compétition devenue plus effrénée et par une montée de l'individualisme. L'Etat romain fut également confronté à une importante crise budgétaire qui précipita son déclin. Même si les deux époques sont trop différentes pour dresser de réelles conclusion sur l'avenir des Etats-Unis, ces facteurs ne peuvent être négligés.

Ces défis contemporains feront donc sans doute partie des grandes questions que continueront à affronter les économies occidentales au XXIe siècle.

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Diplômé de l'Ecole Normale Supérieure de Cachan et de Sciences Po Paris, Nicolas Pietrzyk enseigne l'économie et la gestion au sein d'universités et de grandes écoles (HEC Paris / Paris Dauphine / Paris V). Il a auparavant travaillé dans plusieurs institutions nationales et internationales (OECD, Nations Unies, Assemblée Nationale...). Ses centres d'intérêts portent principalement sur les politiques économiques.

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