L’État Providence, ennemi de la prospérité

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Par Jacques Bichot Publié le 5 août 2013 à 4h00

Depuis des années, le mouvement Contribuables associés annonçait le "jour de libération fiscale", celui à partir duquel le salarié français moyen commence à travailler pour lui-même, après avoir payé tous ses impôts et cotisations sociales. Appliquant la formule à l'ensemble des pays de l'Union européenne, l'institut Molinari a amplifié l'impact médiatique de cette forme d'étude. Réfléchissons donc à ce que signifie un tel calcul.

Principalement, il s'agit de se demander s'il est vrai que nous travaillons uniquement "pour le roi de Prusse", et pas du tout pour nous-même, quand notre travail sert à payer des impôts et des cotisations sociales, c'est-à-dire à financer l'État, les collectivités territoriales, et la protection sociale.

Cette question n'apparaît guère dans les media, qui schématisent le travail de l'Institut Molinari en faisant comme si, évidemment, les impôts et cotisations étaient gaspillés par les administrations. L'Institut, pourtant, met le doigt sur le vrai problème : le salarié "n'a pas la possibilité de décider individuellement combien il souhaite allouer globalement au titre des services financés par les prélèvements obligatoires. De même, il n'a pas la possibilité d'imposer ses préférences, en donnant la priorité à un service public ou social plutôt qu'à un autre". C'est la question de la liberté de choix, et plus encore celle de la démocratie : l'élection d'un président, de députés et de conseillers municipaux est un pouvoir bien fruste quand il s'agirait d'exercer une influence dans un grand nombre de domaines ; il faudrait pouvoir voter des centaines de fois par an avec des euros, et pas seulement trois fois tous les cinq ou six ans avec un bulletin.

Pour améliorer les choses, plusieurs directions complémentaires peuvent être suivies. Citons-en quatre – une liste qui n'est pas limitative.

La première est l'amélioration de l'efficacité des administrations : celle-ci n'est pas au top niveau, non seulement parce que certains fonctionnaires ou employés se la coulent douce, mais aussi et surtout parce que l'inflation normative les amène à gaspiller leur temps – et donc l'argent du contribuable. Songeons par exemple à la complication des procédures judiciaires, qui obère l'efficacité des tribunaux et de la police ; ou à celle de nos systèmes de retraites par répartition, qui entraîne des centaines de millions d'opérations inutiles, et environ trois milliards d'euros par an de frais de fonctionnement stériles.

La seconde est la mise en place de formules combinant le financement par prélèvement obligatoire et la liberté de choix. L'institut déplore à juste titre "la carte scolaire, limitant la liberté de choix entre les établissements publics". La solution est bien connue : le ticket scolaire, qui concilie le libre choix de l'école et le financement public. Elle ne sera pas mise en œuvre en claquant des doigts, mais aucune réforme d'envergure n'est possible si l'on renonce face aux difficultés.

Troisième direction à explorer, le remplacement de l'État providence par de véritables assurances sociales. Le député Arnaud Robinet et moi avons écrit sur ce thème un ouvrage (La mort de l'État providence ; vive les assurances sociales, à paraître aux Belles Lettres le 3 octobre) qui montre la possibilité d'ouvrir ce chantier titanesque mais de la plus haute utilité. Supposons par exemple que les quelque cent milliards d'euros consacrés chaque année à la formation initiale ne soient plus financés par des impôts, mais par des contributions procurant des droits à pension : une part non négligeable des prélèvements que nous subissons sans rien obtenir personnellement en retour serait remplacée par une formule d'épargne en vue de la retraite. Ce serait certes une épargne obligatoire, mais chacun saurait qu'en versant son écot il effectue un investissement dans la jeunesse dont il touchera ensuite les dividendes.

La quatrième direction est la liberté de choix de l'organisme d'affiliation aux assurances sociales. Le même régime de retraites par répartition (nous devons mettre en place un régime unique, le scandale des régimes spéciaux n'est pas tolérable) peut être distribué par différentes institutions se faisant concurrence, comme le même baril de lessive peut être acheté au choix dans un Leclerc, chez Carrefour ou au Monoprix.

Il faudrait poursuivre longuement l'exploration des pistes permettant de nous faire sortir du système bête et méchant de services publics financés essentiellement par des prélèvements obligatoires sans contreparties. Ce système constitue un moyen lent mais efficace pour nous faire Hara-Kiri, car il diminue l'incitation à travailler et augmente la propension à jouer les passagers clandestins – ceux qui cherchent à profiter de l'État providence sans payer leur billet d'entrée. La stagnation de notre économie, le niveau catastrophique du sous-emploi en France et dans la majeure partie de l'Europe, tiennent pour une part importante au recours immodéré aux impôts et à la transformation des cotisations sociales en des sortes d'impôts.

L'assimilation des cotisations sociales à des prélèvements obligatoires sans contrepartie – des impôts, en langage courant – est une erreur conceptuelle et stratégique majeure. C'est cette erreur commise par nos dirigeants qui justifie Contribuables associés et l'Institut Molinari lorsqu'ils calculent le jour de libération fiscale en additionnant impôts et cotisations. Dans un système de véritables assurances sociales, une telle addition serait absurde : une cotisation serait alors une prime d'assurance, elle achèterait une couverture contre un risque (maladie, invalidité, décès, dépendance, chômage) ou constituerait un placement permettant d'obtenir une rente viagère, comme un versement sur un PERP ou un PERCO.

Pour retrouver le dynamisme perdu de l'entreprise France, c'est dans ce sens qu'il faut aller.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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