Pour surmonter la pandémie, l’Allemagne joue à l’« Etat nation » !

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Par Jacques Martineau Modifié le 14 avril 2020 à 6h19
Croissance Allemagne Trou Air 1
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550 MILLIARDS €Le MES contre la crise du Covid-19 pèse à peine 550 milliards d'euros.

La crise générée par la pandémie du coronavirus est telle qu’il est impossible d’en mesurer les conséquences sanitaires, sociales, économiques et financières, sans oublier les chamboulements politiques. L’Union européenne, centre reconnu de l’épidémie, n’échappe pas à la crise. Oser parler de solidarité est un leurre. Les 27 pays de l’Union ont joué « seuls », en quête de moyens et d’aides locales de voisinage. Le Conseil européen et la Commission de Bruxelles ont été les grands absents de cette crise sanitaire. L’Europe du Sud en est un bel exemple.

Le déconfinement : un problème unique à résoudre

Confinement ou pas, l’heure d’un état des lieux viendra. Le déconfinement demeure le problème essentiel pour tous. Parallèlement aux mises en cause indéniables des politiques face à cette crise, presque partout, le bilan sera lourd en termes de chômage, de reprise partielle, de restructuration, de ralentissement ou de cessation d’activité. La reprise progressive du travail sera très délicate. Dans toute l’UE, d’importants secteurs de l’économie seront fortement touchés, avec des nuances différentes suivant les pays. Transport aérien et tourisme en situation catastrophique sont des points communs incontestables.

Pour exemple, la France se retrouvera en grande difficulté avec 4 millions de petites et moyennes entreprises, et plus de 2 millions de commerces, d’artisanats, de micro et d’autoentreprises, sans parler des milieux agricoles. Quant au secteur sanitaire et hospitalier, il devra faire partie des premières priorités. C’est pourquoi le retour à un niveau d’activité raisonnable est hypothétique avec une récession évaluée pour l’instant à -8% en fin d’année.

Cet exemple français n’est pas unique mais présent dans toute l’Union européenne. A des degrés divers, chaque pays, en fait chaque « Nation », pourquoi ne pas le dire, aura pour seul objectif un retour le plus rapide possible à une situation globale viable. Sachant que l’Union européenne n’est pas seule au monde !

Les grands absents européens, adeptes du « chacun pour soi »

L’Italie en a été la première victime, abandonnée, seule aux regards des autres comme une sorte de laboratoire « in vivo » en difficulté, incapable de surmonter sa crise. Puis ça a été le tour de la France et de l’Espagne. Fermer les frontières pour des raisons de protection et de santé publique est considéré comme un « crime de lèse-majesté » par des « européistes » convaincus. La frontière de l’UE est censée être celle de l’Espace Schengen, sachant qu’il ne concerne que 22 pays sur 27 ! Que dire de ce nouveau langage qui évoque la solidarité au travers du non-sens de l’évocation d’une « nation européenne ».

Les leaders, adeptes du « chacun pour soi », sont incontestablement l’Allemagne et les Pays-Bas. Pour être plus complet, il faut y ajouter, hors zone euro, le Danemark et la Suède, plus petits pays et totalement indépendants avec leur propre monnaie. Cet ensemble caractérise la plaque germanique, appelée « Europe du Nord », par opposition à l’« Europe latine », l’« Initiative des trois mers » et celle des « Balkans occidentaux ». La plaque du « Royaume-Uni » n’est plus à prendre en compte avec le Brexit. Cet ensemble interpelle, soulignant sa fragilité et son antinomie qui peuvent générer une tectonique naturelle des plaques1, même en dehors de toute pandémie.

L’attitude provocante de l’Allemagne en matière de financement de la reprise

Un simple rappel pour comprendre. Créée en 1949 sous le nom de République Fédérale d’Allemagne (RFA), plus connue jusqu’en 1990 sous le nom d’Allemagne de l’Ouest est une « Nation » récente, entièrement reconstruite après la guerre avec l’aide des Alliés, notamment des États-Unis. La chute du mur de Berlin, la réunification et le traité de Maastricht finiront de consacrer l’Allemagne fédérale.

Les alliances égocentriques en particulier de l’Allemagne et des Pays-Bas contrarient fortement les options économiques et financières de sortie du confinement. La récente mise en place de fonds à partir du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) avec 550 Md€ pour les 19 pays de la zone euro est évidemment très insuffisante. La sortie de crise de l’Italie dépasserait à elle seule les 400 Md€. Ajoutons à cela pour ne parler que de l’« Europe latine », c’est-à-dire de la France, de l’Espagne, du Portugal et de la Belgique, on aura vite compris. Les États-Unis, moins importants en termes de population ont déjà mis sur la table plus de 3500 Md$.

L’idée de créer des « eurobonds » ne date pas d’aujourd’hui (2009). L’Allemagne, en référence à sa rigueur et à sa meilleure situation économique s’y est toujours opposée. Avec les Pays-Bas, elle ne tient pas à se trouver engagée dans une aide permanente en faveur des pays européens considérés comme les « mauvais » élèves de la classe, même en cas de catastrophe sanitaire imprévisible ! Un recours à ces obligations pour protéger les pays des répercussions du Covid-19 est exclu. Et le gouvernement allemand conscient qu’il n’y a peut-être pas d’autre solution ne tranche pas.

Faut-il se rappeler que l’Allemagne n’avait déjà pas fait preuve de coopération active avec la crise financière de la Grèce de 2011 à 2015 ? Les engagements de l’Allemagne vis-à-vis de la Turquie à propos des migrants, ont forcé les européens à suivre. Les exemples solitaires ne manquent pas toujours au service d’une « Nation ».

Les « corona Bonds », obligations limitées dans le temps, à usage unique pour surmonter la pandémie, destinés encore qu’aux pays de la zone euro, pourraient-ils réveiller une certaine solidarité européenne ? Le doute persiste.

Avec cette attitude d’obstination solitaire de l’Allemagne2, l’Union européenne, partagée entre zone euro et le « reste », en arrive au point de mettre en cause son existence. Il ne s’agit peut-être pas de la fin d’une illusion, mais de prendre le risque d’une fin, tout court.

1 Déjà développé sur le site de Club Espace 21 en juin 2018

2 dénoncée dans DER SPIEGEL du 7 avril 2020

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Après un long parcours scientifique, en France et outre-Atlantique, Jacques Martineau occupe de multiples responsabilités opérationnelles au CEA/DAM. Il devient DRH dans un grand groupe informatique pendant 3 ans, avant de prendre ensuite la tête d'un organisme important de rapprochement recherche-entreprise en liaison avec le CNRS, le CEA et des grands groupes du secteur privé. Fondateur du Club Espace 21, il s'est intéressé aux problèmes de l'emploi avec différents entrepreneurs, industriels, syndicalistes et hommes politiques au plus haut niveau sur la libération de l'accès à l'activité pour tous. Il reçoit les insignes de chevalier de l'Ordre National du Mérite et pour l'ensemble de sa carrière, le ministère de la recherche le fera chevalier de la Légion d'Honneur.

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