Et si les pouvoirs publics s’inspiraient d’Airbus ?

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Par Jacques Bichot Publié le 6 décembre 2016 à 5h00
Airbus Suppressions Postes Fusion Holding
@shutter - © Economie Matin
1 000Airbus a annoncé une suppression de plus de 1 000 postes.

Airbus annonce plus de 1 000 suppressions de postes obtenues en fusionnant le holding qui chapeaute toutes les sociétés du groupe, et la principale de ces sociétés.

De nombreux double-emplois devraient disparaître, ce qui engendrera – si les espoirs se vérifient – non seulement des économies de personnel, mais surtout un raccourcissement du temps nécessaire à l’instruction des dossiers et aux prises de décisions. Autant dire que l’organigramme actuel a été reconnu comme un obstacle à l’efficacité : il est, d’après les décideurs de ce fleuron de l’industrie, possible de faire à la fois mieux et moins cher. Moins de palabres et de querelles entre petits et grands chefs jaloux de leurs prérogatives, plus de travail organisationnel réellement positif, tel est l’objectif.

Comment ne pas songer à tout ce que les pouvoirs publics pourraient faire dans ce sens ? N’avons-nous pas un doublonnage, ou parfois un triplement, de nombreuses fonctions et responsabilités au sein de l’Administration et de son encadrement politique ? Agnès Verdier-Molinier faisait récemment remarquer dans Le Figaro que la France compte un élu pour 100 habitants, contre 1 pour 500 en Allemagne et 1 pour 600 aux États-Unis ; elle proposait des mesures – notamment des fusions de communes et la suppression des départements – pour passer de 645 000 à 116 000 élus. Sans être d’accord avec elle sur la façon de raisonner, car la réduction du nombre des élus n’est pas un but en soi, pas plus que la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires qui figure dans un programme présidentiel, je lui reconnais le mérite de donner un salutaire coup de pied dans la fourmilière.

Ce qu’il faudrait, c’est dépister les double-emplois, les allongements inutiles de la chaîne décisionnelle, et toutes les entorses faites au principe de subsidiarité, selon lequel le bon sens est souvent « près de chez nous » plutôt que dans des sphères lointaines où l’on décide tardivement et sans connaissance du terrain. Reprenons les cas du département et de la Région : dans les deux cas il existe à la fois une structure préfectorale et une structure politique : est-ce un facteur qui augmente la productivité ainsi que la pertinence des décisions prises, ou plutôt une dualité de pouvoirs génératrice de conflits stériles, de lenteurs, et de doublement du travail administratif ?

La même interrogation doit être posée à propos de fonctions qui ne font pas intervenir le ministère de l’Intérieur, mais celui de l’Éducation nationale, ou la sécurité sociale, ou d’autres administrations. Quel intérêt y a-t-il à ce que les responsabilités des conseils régionaux et départementaux se télescopent avec celles des rectorats ? Je me souviens de la construction d’un nouvel IUT que la Région, le Département et la Communauté urbaine cofinançaient avec l’État : j’en garde le souvenir d’une réunionite aiguë et d’une maîtrise d’œuvre incertaine ayant débouché sur une terrasse qui laissait passer l’eau. Une responsabilité unique aurait divisé par 3 ou 4 le nombre d’heures de travail – ou de simili travail – de hauts et moyens fonctionnaires tout en donnant probablement de meilleurs résultats.

Le cas du RSA (et avant lui du RMI) présente des analogies avec celui des établissements scolaires et universitaires. Le méli-mélo des responsabilités entre les CAF, qui instruisent les dossiers, et les Départements, qui apportent une partie du financement et s’occupent en principe des actions de formation et de remise au travail, aboutit à faire deux fois une bonne partie du travail administratif et à diluer les responsabilités : qui gourmander si les résultats sont médiocres ou si la triche est importante ? Ce sont ces questions qu’il faut poser, sans exclure que leur étude débouche sur des décisions de rationalisation de l’action publique ayant certains points communs avec l’opération Airbus.

Faire mieux en dépensant moins est également nécessaire au niveau du législateur. Matteo Renzi s’est attaqué à ce problème. Il ne s’agit pas de copier ce qu’il essaye de faire au moyen d’un référendum destiné à modifier la Constitution italienne, mais d’adopter l’état d’esprit positif qui semble inspirer sa démarche. Son pari est de renforcer la gouvernance de l’État italien tout en diminuant son coût : la France a un besoin analogue. Pour cela, il propose aux Italiens de revenir sur certaines décisions de décentralisation prises en 2001, qui ont donné aux régions des compétences (partagées avec l’État) dans divers domaine tels que la santé, les transports ou la formation. Avoir l’audace de dire que la décentralisation est souvent, sous couvert de démocratie locale, un remède pire que le mal, mérite un grand coup de chapeau : puissent les hommes politiques français se défaire du discours politiquement correct qui leur permet surtout de s’ouvrir des postes supplémentaires !

Terminons cette revue terriblement incomplète par quelques considérations relatives au travail législatif. Il suffit de jeter un coup d’œil aux séances de l’Assemblée et du Sénat pour constater que nous avons mis en place un microcosme psychédélique qui ne risque guère de réaliser les grandes réformes dont le pays a besoin. Ce n’est pas pour rien que certains candidats à l’Élysée ont proposé de faire passer par ordonnances un maximum de changements importants et urgents. Or ce n’est pas la simple diminution du nombre des parlementaires, réclamée par certains, qui résoudra le problème : certes, nous avons trop d’élus, mais surtout nous les employons mal, car nous leur demandons principalement d’endosser la responsabilité d’un travail gouvernemental.

Le domaine de la loi a été étendu de manière très excessive : il suffit d’examiner les lois de financement de la sécurité sociale, les lois portant réforme des retraites, et les lois de finance, pour constater que ce sont à 90 % des actes de gouvernement déguisés. Quelle perte de temps et d’énergie que de faire voter des milliers de dispositions qui relèvent de décrets ou d’arrêtés ! Et quel malheur qu’en fourvoyant le législateur dans le domaine qui est logiquement de la responsabilité de l’exécutif ou du gestionnaire d’une agence on prive notre pays d’un ensemble restreint et cohérent de lois indiquant clairement les grands principes que doivent respecter non seulement les citoyens, mais aussi les gouvernants et les corps intermédiaires !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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