L’Espagne est durablement sortie de la récession

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Par Sylvain Fontan Modifié le 8 novembre 2013 à 17h03

Alors que l'Espagne est un des pays les plus durement touché par la crise globale, puis par la crise des dettes souveraines en Europe, le pays semble se diriger vers un horizon économique plus favorable. En effet, malgré des défis qui persistent et après un assainissement économique profond toujours en cours et douloureux socialement, le pays montre plusieurs signes significatifs d'amélioration.

Indicateur de la reprise économique

L'analyse de la balance courante résume à elle seule l'amélioration de la situation espagnole. La balance courante est une représentation des transactions avec le reste du monde. Elle retrace l'ensemble des transactions économiques et financières d'un pays avec l'extérieur. Après une longue phase de dégradation de cette balance depuis le début des années 2000, jusqu'à atteindre un point bas en 2008, les transactions de l'Espagne avec l'extérieur se sont très significativement améliorées. En effet, cette balance est passée d'un déficit d'environ 110 milliards d'euros en 2008 à un excédent d'environ 5 milliards d'euros en 2013.

Le retour des excédents courants provient essentiellement de l'amélioration des exportations. En effet, même si le retour des excédents a été facilité par la contraction des importations (-15% par rapport à leur pic de 2008), l'amélioration de la situation tient essentiellement à la hausse sensible des exportations (+21% par rapport à 2008). Ainsi, la concomitance de la baisse des importations et de la hausse des exportations explique très largement l'amélioration de la situation générale des transactions de l'Espagne avec l'extérieur.

La hausse des exportations est une des conséquences de la mauvaise conjoncture nationale. En effet, la faiblesse de la demande domestique a obligé les entreprises espagnoles à chercher de nouveaux relais de croissance. Ainsi, les entreprises espagnoles ont entrepris de trouver des marchés de substitution à l'extérieur de leurs frontières. Pour ce faire, elles ont dû s'organiser et faire les efforts nécessaires pour pénétrer les marchés nord africains et asiatiques, mais aussi et surtout les marchés d'Amérique Latine avec lesquels le pays entretient des liens économiques de longue date et qui ont toujours représenté un atout pour l'Espagne. Une fois de plus cet atout s'est révélé fort intéressant pour le pays.

Raisons de la reprise économique

La reprise n'aurait pas été possible sans une compétitivité retrouvée. En effet, le retour de la compétitivité espagnole après de longues années de dégradations'explique essentiellement par la réforme du marché du travail qui a permis de flexibiliser les salaires et l'emploi afin de s'adapter à l'évolution de la conjoncture. Ainsi, d'une part, les salaires ont moins augmenté que par le passé (modération salariale) et, d'autre part, l'Espagne a été contrainte de détruire un grand nombre d'emplois. Tous ces éléments ont permis d'améliorer la productivité du travail et donc la compétitivité globale de l'économie.

L'ampleur et la rapidité de l'adaptation du marché du travail ont été particulièrement fortes. Les caractéristiques de cet ajustement s'expliquent par des emplois facilement ajustables. En effet, avant la crise, un tiers des emplois étaient des emplois d'intérimaires (contre deux fois moins en moyenne en Europe), autrement dit des emplois extrêmement précaires et très facilement supprimables, à fortiori avec l'évolution vers plus de flexibilité du marché du travail. Dès lors, entre le début de la crise et 2013, ce sont environ 2 millions d'emplois intérimaires qui ont disparu. Par conséquent, près de 80% de l'ajustement total de l'emploi a porté sur un tiers de la population (les intérimaires).

Au final, l'Espagne est devenue un espace où la production est très compétitive. En effet, la flexibilisation du marché du travail avec une variable d'ajustement conjoncturelle clairement identifiée (les populations les plus fragiles et les moins protégées par un statut : les intérimaires), combinée à une main-d'œuvre qualifiée et des salaires comprimés permet dorénavant d'attirer des investissements étrangers. A titre d'exemple, notons que l'entreprise Renault a préféré réaliser des investissements sur des sites espagnols au cours des dernières années plutôt qu'en France du fait, entre autres, du différentiel de compétitivité et de coût du travail entre les deux pays.

Deux signes supplémentaires viennent accréditer l'idée d'une reprise économique. Tout d'abord, après une chute continue de plusieurs années des prix de l'immobilier (environ -40% depuis 6 ans) il semble que le marché immobilier arrive vers la fin de sa période d'assainissement avec des prix qui commencent à se stabiliser. Toutefois, cette tendance demande à être confirmée dans le temps. Ensuite, les institutions européennes ont accordé un délai supplémentaire au pays pour atteindre son objectif de 3% du PIB de déficit de ses finances publiques. Dès lors, le relâchement (relatif) des contraintes budgétaires permet de moins brider la croissance. Néanmoins, là aussi il convient de relativiser cela car même si l'allégement de l'objectif budgétaire permettra effectivement de stimuler la croissance, il n'en demeure pas moins que la cible finale semble toujours inatteignable en raison de la récession et de l'ajustement des comptes des communautés autonomes espagnoles.

Des défis importants demeurent

Malgré l'amélioration de la situation globale du pays, plusieurs défis demeurent :

  • Assainissement du secteur bancaire : il reste toujours très fragile et le contexte actuel où la rentabilité des banques diminue n'est pas fait pour améliorer cette situation.

  • Comptes publics à rétablir : comme l'ensemble des pays du Sud de l'Europe le déséquilibre des finances publiques pose un problème structurel très important qui a entraîné la situation dans lequel les pays se trouvent. A ce titre, l'Espagne doit impérativement rétablir ses comptes. Toutefois, les coûts d'emprunt sur le marché obligataire s'est considérablement réduit, et semble même se stabiliser légèrement au-dessus de 4%, alors qu'au plus fort de la crise ces taux étaient supérieurs à 5%. Dès lors, les autorités publiques n'ont pas encore eu à faire appel au Mécanisme Européen de Stabilité (MES).

  • Une dette privée très importante : préexistante à la crise du fait de l'endettement élevé des ménages, et qui s'est renforcée avec la crise globale, la montée du chômage et la baisse des aides sociales qui a amené les ménages à devoir puiser dans leur épargne.

  • Des entreprises considérablement fragilisées : elles ont été confrontées à la fois à la chute de ventes domestiques, une pénurie de financement, l'augmentation de la taxation et un arrêt des subventions publiques. Par conséquent, les incidents et défauts de paiement ont augmenté, ainsi que les faillites d'entreprises. Toutefois, il convient de préciser qu'après presque 8'000 faillites d'entreprises en 2012, ce chiffre devrait s'élever à "seulement" 5'000 en 2013. La différence essentielle tient au fait qu'au début les entreprises concernées par les incidents de paiement et les faillites étaient surtout les petites entreprises, alors que maintenant ce sont également les plus grandes structures qui sont concernées, notamment dans le secteur de l'immobilier, de l'agroalimentaire, l'industrie électrique et la chimie.

Conclusion

Malgré ces défis, le pays se trouve clairement sur une trajectoire positive. Dans ce cadre, la sortie de crise devrait se profiler dès 2014 au regard des performances en matière de croissance économique. En effet, après des croissances négatives jusqu'en 2013 (-1,3%), la croissance économique devrait redevenir positive en 2014 (+0,7%) avant de s'accélérer à partir de 2015 (+1,5%). Par conséquent, il est possible de dire que le retour de la croissance aura été atteint au prix d'un assainissement économique profond, et douloureux socialement. Cependant, ces efforts permettent dorénavant d'envisager un avenir plus favorable, fondé sur des bases plus saines.

Retrouvez d'autres décryptages économiques écrits par Sylvain Fontan sur son site : www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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