Epargne : vive le livret A !

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Par Jacques Bichot Publié le 14 novembre 2016 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
0,75 %Le taux du Livret A est passé à 0,75 %.

Le gouvernement veut modifier la formule de fixation du taux d’intérêt applicable aux livrets A, pour les rapprocher encore plus des taux monétaires à court terme.

Un journaliste saisit l’occasion pour vilipender « ces produits administrés qui créent une distorsion massive des comportements de placement des Français en surrémunérant une épargne défiscalisée, disponible et sans risque ». Il insiste, écrivant : « Le livret A est le symptôme le plus évident d’un système financier et fiscal absurde, qui privilégie la rente plutôt que le risque. » (Le Figaro du 10/11/3016)Ce projet, et cette réaction favorable, sont aussi des symptômes : ils manifestent l’étouffement actuel de la notion d’échange par celle de marché.

La gravité de cet étouffement est immense. L’échange est un concept et une réalité qui déborde très largement le marché. Une famille, par exemple, est un lieu d’échanges non marchands. Une conversation est un échange d’idées, d’informations, de gentillesses ou de vacheries, qui est fort différent du marché. La protection sociale – un gros tiers du PIB français – relève également de l’échange non marchand. Malheureusement, il existe une forte tendance à oublier que notre existence comporte au moins autant d’échanges non marchands que d’échanges marchands, et que les deux peuvent coexister dans une même opération : le commerce n’étant pas encore totalement robotisé, il arrive que vendeur et client échangent quelques paroles, voire même des plaisanteries, agrémentées de rires ou de sourires. Fort heureusement, c’est ça la vie !

Alors pourquoi le livret A devrait-il devenir une composante des marchés financiers ? Pourquoi son taux devrait-il s’aligner sur l’un des taux du marché monétaire ? Pourquoi ne pas prendre un risque analogue à celui d’un placement en actions ou en produits dérivés serait-il un comportement nuisible, une sorte de déviance ? Prendre des risques est souvent nécessaire et utile, mais la divinisation du risque est tout simplement ridicule. Chaque fois que nous montons dans une automobile, nous prenons un risque, mais le bon sens nous conseille de réduire ce risque en utilisant un véhicule bien conçu et en bon état, piloté par une personne ayant de bons réflexes et aucun goût pour les imprudences. Il faut affronter le risque quand c’est nécessaire, mais rechercher le risque pour le risque est un comportement de joueur compulsif, une addiction malheureuse.

Il en va du risque comme des sautes de températures : nous devons être capables de passer du chaud au froid quand cela est utile ou nécessaire, mais il faudrait être un peu dérangé pour régler systématiquement le chauffage de façon à passer rapidement, plusieurs fois par jour, de 10° à 30 ° et vice-versa. Les livrets d’épargne apportent à leurs titulaires une rémunération modeste – il lui est même arrivé à différentes époques de ne pas compenser l’inflation – mais pas trop aléatoire. Cela correspond bien aux besoins de nombreux ménages, et cela permet de financer à des conditions tout-à-fait raisonnables des projets qui, eux-mêmes, ne sont pas soumis à des aléas trop importants concernant leur rentabilité. Le logement – et pas seulement le logement dit « social » – possède cette caractéristique. Dès lors que le bailleur dispose d’un vaste parc, de qualité honnête, suffisamment diversifié, et convenablement entretenu, son activité est clairement beaucoup moins risquée que celle d’une entreprise produisant des services pour la recherche d’hydrocarbures ; il faut évidemment des financements différents dans les deux cas de figure. Dans un cas il faut des actionnaires n’ayant pas froid aux yeux, capables de subir des hauts et des bas vertigineux ; dans l’autre cas Madame Michu, avec son besoin d’avoir un peu d’argent de côté pour le cas où il faudrait fêter dignement le mariage de sa fille, fait très bien l’affaire.

Madame Michu veut un placement simple, liquide, lui rapportant si possible de quoi ne pas y perdre en pouvoir d’achat. Un certain nombre de Mme Dupont auront en plus des placements boursiers, en direct ou sous une forme intermédiée, sans vouloir pour autant mettre tous leurs œufs dans le même panier. Il existe donc une forte demande pour les livrets d’épargne, c’est-à-dire pour les placements liquides à taux réglementé, et cette demande très stable permet des financements de longue durée assortis de frais d’intermédiation très modestes qui conviennent bien à une catégorie assez importante de gros investisseurs. L’offre et la demande se rejoignent sans qu’il soit nécessaire de passer par un marché au sens strict du terme : un authentique libéral ne peut que dire « laissons faire ». Le « tout marché » est une forme de dirigisme !

En revanche, cet esprit libéral regrettera l’acharnement malsain des banquiers centraux qui ont utilisé leurs pouvoirs pour pervertir le marché des fonds d’État. Cette fois, il ne s’agit plus d’organiser un échange, marchand ou non marchand, mais de mettre des autorités indépendantes au service de politiciens incompétents qui trouvent merveilleusement pratique d’emprunter massivement à taux quasiment nuls plutôt que de gérer convenablement leurs boutiques. C’est contre cela qu’il vaut la peine de protester.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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