Plaidoyer pour une épargne liquide

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Par Jacques Bichot Modifié le 18 juillet 2019 à 5h03
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@shutter - © Economie Matin
267,5 milliards d'eurosAu 31 décembre 2018, l'encours du Livret A s'élevait à 267,5 milliards d'euros.

Dans Le Figaro du 10 septembre, un article signé Bertille Bayart s’alarmait de La grande paresse de l’épargne française. Reproche principal fait à nos concitoyens : trop aimer l’épargne liquide, les « livrets », voire les comptes courants. Il serait quasiment scandaleux, et en tous cas très mauvais pour le pays, que « l’épargne française ne prenne pas de risque, ne s’engage pas, privilégie les placements faciles où l’argent reste disponible ». En tant qu’économiste, je ne partage nullement ce jugement sévère. S’il faut décerner un blâme, ce n’est pas aux épargnants, mais à nos gouvernants.

Stabilité de l’épargne dite « liquide »

L’épargne que l’on appelle liquide est globalement très stable. Elle n’a rien à voir avec l’eau d’un fleuve tumultueux, d’un « rapide », mais plutôt avec celle d’un lac paisible, où arrivent des cours d’eau, et d’où il en repart de même, sans que pour autant baisse le niveau, bien au contraire. Chaque jour, quantité de comptes à vue et de comptes d’épargne disponibles ad libitum sont débités, mais d’autres (ou les mêmes) sont crédités, pour des montants en moyenne un peu supérieurs, ce qui assure la croissance du total des avoirs monétaires et quasi-monétaires, comme on disait jadis pour désigner les sommes inscrites sur les livrets A et leurs clones tels que les LDD (Livrets de Développement Durable).

Il n’existe donc aucune contre-indication pour financer des investissements à long terme grâce à cette épargne liquide. La monnaie stricto sensu, qui est une dette des banques, en quelque sorte un emprunt qu’elles nous font, a depuis deux siècles financé les crédits bancaires aux entreprises, surtout les crédits à court terme, dont le renouvellement incessant fait qu’ils financent en fait les entreprises sur de très longues durées, avec une souplesse que n’ont pas les emprunts obligataires. C’est un excellent système, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il a fait ses preuves.

Cela ne signifie pas que les investissements doivent être financés par du crédit à court terme. Mais que des crédits à long terme et des portefeuilles d’actions aient pour contrepartie de l’épargne liquide, pourquoi pas ? Il existerait une contre-indication si les Français étaient globalement versatiles, c’est-à-dire se comportaient tantôt en fourmis, et tantôt en cigales. Mais justement, ce dont les accuse la journaliste citée plus haut, c’est de toujours amasser, comme de sérieuses et laborieuses fourmis. Personnellement, je les en félicite. Ils joignent l’utile à l’agréable : une épargne d’une stabilité globale remarquable, et néanmoins toujours disponible pour chaque épargnant. Nous devrions nous réjouir de cette heureuse conjonction de la disponibilité et de la permanence, et mieux l’utiliser.

En effet, ce qui est insuffisant, c’est l’utilisation qui est faite de ces dépôts, qui constituent globalement et statistiquement une épargne à long terme, pour souscrire aux augmentations de capital et aux émissions obligataires dont les entreprises ont besoin pour se développer. Concernant les obligations, ce qui est très regrettable, c’est l’excessif déficit budgétaire de nombreux États, dont la France, mais aussi les États-Unis et bien d’autres, car il empêche d’investir l’épargne liquide en prêts à long terme aux entreprises. Ce déficit budgétaire chronique et massif fait d’une partie importante de l’épargne à long terme une aberration économique : une variante du système de Ponzi, l’argent apporté par les épargnants étant versé aux Trésors publics qui l’utilisent en grande partie pour payer des dépenses courantes. Les déposants croient qu’il y a quelque chose de réel en face de leur créance, mais en réalité il n’y a que du vide, ou du moins davantage de vide que de richesses réelles telles que des infrastructures. Ce qui importe, c’est que l’épargne, qu’elle soit liquide ou « rigide », serve aux entreprises pour financer leur expansion, et aux États et collectivités territoriales pour effectuer les investissements publics réellement utiles.

Limites de l’actionnariat populaire

Certains voudraient que les particuliers soient eux-mêmes majoritairement détenteurs d’actions et d’obligations, ou qu’ils prennent des parts dans des portefeuilles servant à ce type d’investissement. Ce n’est pas raisonnable. Qu’une minorité de personnes ayant les compétences requises et les reins solides soient directement actionnaires, ou confient une partie de leurs économies à des fonds de placement de taille relativement petite qui investissent dans des entreprises, pourquoi pas ? L’actionnariat direct, de longue durée, donne aux entreprises une assise solide, bien plus favorable à leur bonne marche que les détentions d’actions par des fonds activistes dépourvus de toute affectio societatis, et à la recherche de plus-values rapides. Mais qu’on veuille transformer en actionnaires la grande majorité des ménages est suspect.

Il y a en effet dans le monde financier une proportion non négligeable de requins qui se fichent éperdument de ruiner des braves gens en leur faisant prendre le risque d’investissements présentés comme mirobolants mais en réalité très hasardeux. Peu importe à ces affairistes de faire des opérations comportant une probabilité de perte supérieure à la probabilité de gains, dès lors qu’ils peuvent prélever des commissions de gestion confortables. L’épargnant moyen, et a fortiori le petit épargnant, doivent s’en méfier comme de la peste, et s’orienter vers des produits sûrs, des placements « tranquilles ».

Certes, rien ne leur interdit d’être actionnaires directs de deux ou trois entreprises particulièrement « lisibles », dont les activités sont compréhensibles et les projets de développement clairs. Pour le reste de leur épargne, qu’ils ne prennent pas le risque de jouer à des jeux dont ils ne connaissent pas les règles. Des fonds de très grande dimension, pratiquant une efficace diversification des risques, et disposant de spécialistes capables de suivre la gestion des sociétés « mises en portefeuille », peuvent investir pour le compte des titulaires de livrets d’épargne liquide. La grande stabilité de l’épargne sur livret permet à de tels fonds de n’être jamais obligés de vendre au mauvais moment.

Il ne s’agit donc pas d’écarter l’épargnant moyen du financement des entreprises en fonds propres, mais de sécuriser sa participation grâce à une diversification du portefeuille permettant de lui assurer un revenu modeste mais certain. Autrement dit, rien ne s’oppose à ce que l’épargne placée sur les livrets A et ses semblables serve à constituer quelques fonds de très grande dimension, bien diversifiés, investissant principalement en actions et obligations. Rien ne s’oppose à ce qu’une partie (raisonnable) de ces investissements bénéficie à des start-ups, des entreprises nouvelles qui ont besoin de trouver des fonds propres. Quand un portefeuille est de très grande taille, qu’un de ses compartiments investisse en capital dans des TPE ne pose pas de problème particulier.

Il faut donc arrêter de prétendre que l’économie a besoin que Monsieur Dupont et Madame Durand soient actionnaires en direct, ou par l’intermédiaire de petits fonds de placement : ils pourraient très bien l’être par l’intermédiaire d’un livret d’épargne. Ceux qui prêchent pour amener à la bourse Mr Dupont et Mme Durand sont en réalité les serviteurs, le plus souvent inconscients, des affairistes qui gagnent de l’argent en plumant les pigeons. Il ne faut pas livrer des pigeons aux vautours de la finance ! Si l’État participait à cette mauvaise action, parce que ses dirigeants se laisseraient aller à suivre des modes intellectuelles étiquetées politiquement correctes, ce serait une bévue de plus.

L’avenir de l’actionnariat populaire

Ce qui est possible, en revanche, c’est de proposer, à côté du livret A standard et de ses clones, des livrets participatifs, rapportant en sus d’un intérêt fixe légèrement plus modeste une « prime » dépendant des gains réalisés par les fonds de placement associés à ces livrets. Au terme d’une année fructueuse en matière de dividendes ou/et de plus-values, l’intérêt fixe serait complété par une participation à ce bénéfice. Cela serait très pédagogique : les Français comprendraient l’intérêt qu’il y a pour eux à ce que les entreprises se portent bien.

L’actionnariat direct est, pour le plus grand nombre, un moyen de se faire exploiter par les requins de la finance. L’actionnariat indirect, par l’intermédiaire d’institutions d’épargne liquide obligées de fournir un intérêt fixe minimal, et donc d’agir avec prudence et discernement, permettrait de faire participer des dizaines de millions d’épargnants à l’essor de l’économie française.

Telle est la forme raisonnable que pourrait prendre le « capitalisme populaire », c’est-à-dire l’intéressement de l’immense majorité des citoyens à la bonne santé des entreprises. C’est simple, ça peut faire évoluer beaucoup de choses dans un sens très positif, mais ça exige un changement dans la conduite des affaires publiques : primo, la comptabilité publique devra enfin permette de distinguer clairement ce qui relève de l’investissement et ce qui est dépense de fonctionnement ; secundo, il conviendra que les dépenses de fonctionnement soient intégralement couvertes par l’impôt. Un programme simple, mais très ambitieux vu l’état de déliquescence de nos lois de finances et des modes de gestion de la Res Publica.

Tous actionnaires par l’intermédiaires de livrets d’épargne capables d’investir dans nos entreprises plutôt que de déverser notre argent dans un Trésor Public aussi troué qu’une vielle chaussette, quel progrès ce serait !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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