Eoliens et prises illégales d’intérêt : les promoteurs ébranlés par les condamnations #BESTOF

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Par Louis Marin Modifié le 29 novembre 2022 à 10h07

La filière éolienne connaît actuellement une véritable tempête judiciaire. Suite au rapport du Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC) qui a émis une alerte en juin 2014 sur le développement massif des prises illégales d'intérêt dans le secteur éolien, les condamnations tombent. Le 23 octobre 2014, 6 élus dont un maire ont été condamnés pour prises illégales d'intérêt par le Tribunal Correctionnel de Cahors. Dans la Meuse, alors qu'une plainte importante pour prises illégales d'intérêt a été déposée auprès du Procureur, le Préfet a rendu un arrêté de rejet du permis de construire porté par la société Quadran qui souhaitait implanter des éoliennes dans la zone rouge, c'est-à-dire dans les champs de bataille historique. Le directeur de la Société est intervenu récemment sur Actu-environnement pour faire part de son amertume et dénoncer la radicalisation des antis-éolien. Par ailleurs, les deux syndicats de promoteurs d'aérogénérateurs (le SER et la FEE) ont diffusé un communiqué de presse en soutien aux élus.

Economie Matin a souhaité en savoir plus et a interviewé Louis Marin, spécialiste de la corruption dans le secteur éolien et porte-parole du réseau Ulysse, réseau d'associations anti-éolien.

La France semble touchée par une corruption massive dans le secteur éolien. Qu'en est-il exactement ?

Depuis des années les associations écologiques anti-éolien avaient constaté que les éoliennes sont très souvent installées sur les terres des maires, des conseillers municipaux ou des membres de leur famille. Dans de très nombreux cas, les élus délibèrent favorablement à l'installation des éoliennes qui peuvent être implantées sur leurs propres terres. Or c'est strictement interdit et condamné par l'article 432-12 du Code pénal qui punit les élus jusqu'à 750.000 euros d'amende et 5 ans de prison. Ces élus confondent tout simplement intérêt privé et intérêt public. Ils usent de leur pouvoir politique afin d'imposer plusieurs mâts de plus de 150 m de haut à leurs concitoyens créant par la même des tensions locales et portant atteinte à la cohésion des villages.

Il y a trois ans, nous avons incité les membres de notre réseau à porter plainte massivement auprès des procureurs de la République, tout en informant le SCPC de ces plaintes. Ce n'est que très récemment c'est-à-dire en juin dernier que le SCPC a lancé une alerte nationale sur le sujet des prises illégales d'intérêt dans l'éolien. La filière des promoteurs en est d'ailleurs aujourd'hui très contrariée car les projets éoliens reposent sur la forte implication des élus locaux.

Voulez-vous dire que les prises illégales d'intérêt sont systématiques dans le secteur éolien ?

Nous n'irons pas jusque là, mais en croisant les informations nous avons pu constater que dans de nombreuses régions ce sont bien les élus qui implantent les éoliennes sur leurs terres. Il est d'ailleurs intéressant de constater le soutien affirmé des promoteurs éoliens qui martèlent dans leur communiqué « Touche pas nos élus ». Cela montre bien la connivence affichée entre les promoteurs et les élus. Nous avons pu par ailleurs récupérer des chartes de bonnes relations que les promoteurs font signer aux maires pour faciliter les échanges entre eux et les promoteurs. Le directeur de Quadran dans son interview pour Actu-environnement ne dit pas autre chose. Il semble bien s'agir d'un système institutionnalisé. C'est toute la filière dans son entier qui repose sur l'implication forte des élus dans les projets éoliens. Le nombre de plaintes croissantes sur les projets et sur les parcs déjà attribuées est trop important pour être le simple fruit du hasard.

Pouvez-vous nous donner une idée des condamnations et du nombre de plaintes ?

Nous n'en sommes qu'au début. Les enquêtes préliminaires en la matière sont souvent assez longues et peuvent durer jusqu'à deux ans. Pour le moment nous connaissons les condamnations des toutes premières plaintes. A Ally-Mercoeur, le mari de la maire a été condamné pour recel de prise illégale d'intérêt à 4 mois de prison avec sursit et 8.000 euros d'amende, condamnation confirmée en appel. Dans l'Orne, une élue a été condamnée à 1.000 euros d'amende (11 élus étaient concernés mais les faits étaient prescrits). A Laramière, 6 élus dont la maire ont été condamnés à des amendes de 3.000 à 1.500 euros d'amende. Le procureur avait requis de la prison avec sursit. Il y a eu également des rappels à la loi. Dans les mois qui viennent, des élus de Mayenne et de Normandie vont être présentés devant les Tribunaux correctionnels.

Aujourd'hui, il est possible d'estimer qu'un minimum de 50 plaintes a été déposé dans la France entière. Mais les différentes émissions comme celle de France Inter ou le 20 heures de France 2 qui se sont saisies de l'affaire ont certainement suscité de nouvelles plaintes, informant des citoyens de leurs droits face à des élus intéressés. Par ailleurs, outre la prise illégale d'intérêt, des faits de corruption et de faux en écriture ont été parfois dénoncés par les plaignants.

Les promoteurs éoliens et les élus concernés sont donc dans une véritable impasse. Sauf à changer la loi sur la prise illégale d'intérêt, ou à envisager une loi d'amnistie, il est impossible d'empêcher les poursuites des élus délinquants.

Les promoteurs éoliens s'inquiètent de la radicalisation des anti-éoliens ? Qu'en est-il exactement ?

C'est vrai que les associations anti-éoliens et les différentes fédérations n'agissaient jusqu'à présent qu'en réalisant des recours purement administratifs. Ce qui devait d'ailleurs rassurer les promoteurs éoliens. Ils intégraient dans leur coût de mise en place les frais de contentieux et les délais de recours.

La difficulté c'est que les promoteurs éoliens, par une puissante opération de lobbying ont obtenu récemment des modifications substantielles de la loi avec la mise en place de l'autorisation unique, la suppression des ZDE, de la règle des 5 mâts minimum dans un projet...

Et ce n'est pas fini, la loi sur la transition énergétique actuellement en discussion prévoit des simplifications incroyables. Un député du lobby éolien a demandé que les éoliennes puissent être installées aussi facilement qu'un abri de jardin... Il est même envisagé de supprimer un degré de juridiction en matière éolien et de créer une juridiction spéciale !

Il est clair que c'est le lobby éolien qui se radicalise en demandant des simplifications administratives insoutenables inacceptables dans un état de droit.

En tant que résistant, nous usons de toutes les armes en notre possession pour lutter contre cette nouvelle oppression. C'est pour cette raison que nous avons lancé notre objectif de 100 % de taux de recours, au pénal, au civil et en administratif. Et nous y travaillons en aidant fortement les nouveaux résistants.
Il s'agit d'une réponse proportionnée à l'attaque de nos adversaires.
D'ailleurs, nous nous sommes invités à plusieurs reprises à leurs colloques ou lors de réunions publiques et nous continuerons de le faire. Nous prévoyons d'ailleurs des actions inédites et envisageons de nouvelles formes d'actions...

Les promoteurs vous reprochent d'agir comme un véritable lobby ?

Alors là, c'est l'hôpital qui se moque de la charité ? Les promoteurs éoliens font un véritable lobbying apparent. Le député PS François Brottes, président de la commission de la loi sur la Transition Energétique ou Denis Baupin, député EELV, ont été intervenants lors de nombreux colloques des syndicats de promoteurs. Ces derniers ont toujours le soutien du Ministre de l'Ecologie. Leurs avocats rédigent souvent des recommandations de réformes avec une confusion qui frise la collusion.

Comparé aux petites gens des campagnes, leur pouvoir financier est considérable et leur frais d'avocats déductibles dans leurs frais généraux. A entendre les différents promoteurs, ils sont de véritables enfants de chœurs, des ONG de défense de la planète ! C'est se moquer du monde lorsque l'on connait les enjeux financiers considérables qui sont en jeu ! La Contribution au Service publique de l'électricité (CSPE) que paient les consommateurs représente à elle seul 6,5 milliards d'euros en 2013 et sert en partie à payer le surcoût généré par l'énergie éolien. C'est cette CSPE qui explique les augmentations régulières du tarif de l'électricité.

En face, les résistants anti-éoliens qui ont des compétences juridiques, économiques, techniques ou politiques agissent en réseau totalement bénévolement et souvent avec très peu d'argent. Le tarif de rachat a été contesté à la CJCE avec un budget de 15.000 euros. En revanche, les anti-éoliens, qui sont de tous bords politiques, ont la conscience chevillée au corps qu'imposer des milliers d'éoliennes en France est une imposture. Ils ont dépassé le projet éolien qui les touchait et se situe dans un engagement citoyen et une lutte sans relâche contre cette escroquerie et ce racket généralisé.

Quelles sont vos perspectives d'avenir ?

Nous allons continuer de multiplier les actions pénales. Nous étudions également actuellement le statut juridique des promoteurs éoliens dans le cadre des prises illégales d'intérêt. La complicité affichée entre les élus et les promoteurs encore soulignée dans leur récent communiqué de presse devrait interpeller les pouvoirs publics et les autorités judiciaires.

Dans le cadre civil, il y a lieu de s'interroger sur l'atteinte grave portée par les industries éoliennes au droit de propriété qui a valeur constitutionnelle. C'est un angle de travail qui nous intéresse. Lorsqu'une autoroute est construite, des indemnisations sont prévues afin de compenser la gêne prévue. Compte tenu de la rentabilité indécente des promotions éoliennes, il n'est pas acceptable que les riverains ne soient pas indemnisés des gènes occasionnés par la décision prise par l'Etat représenté par le Préfet d'accepter un parc d'aérogénérateurs.

Enfin, le changement de majorité au Sénat nous donne une occasion intéressante de solliciter la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire sur le thème de l'éolien, de son coût pour la collectivité, de son impact en terme de commerce extérieur et du développement de la corruption. Nous avions déjà obtenu une résolution en ce sens à l'Assemblée nationale. A l'heure où la loi sur la transition énergétique va être étudiée par le Sénat, nous sommes confiants dans le fait que cette noble institution sera sensible à ce problème national et s'emparera de ce sujet hautement politique.

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Louis Marin est sur le site Economiematin le pseudonyme de Fabien Bouglé lanceur d’alerte écologiste français et auteur du livre Éoliennes : la Face noire de la transition écologiques, publié en 2019 aux éditions du Rocher.  Depuis 10 ans, il dénonce le désastre écologique et financier des éoliennes. Entre 2011 et 2016, il est en lien avec le SCPC (service central de prévention de la corruption) du ministère de la Justice français qui dévoile le scandale de la corruption dans l’industrie éolienne. Il contribue à rendre public en 2018, le prix exorbitant de rachat de l'électricité des éoliennes en mer. A la suite de ces révélations, ce tarif a été renégocié à la baisse par le gouvernement français. Il a été auditionné en juillet 2019 à l'Assemblée nationale par la commission d'enquête parlementaire sur les énergies renouvelables.

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