Enjeux de l’offshore français à l’aube de l’attribution de deux nouveaux parcs

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Par Julien Vidal Modifié le 29 novembre 2022 à 10h11

Au printemps 2012, un premier appel d’offres avait vu trois des cinq projets de parcs éoliens offshore tomber dans l’escarcelle du consortium EDF - Alstom, en cheville pour l’occasion avec le Danois Dong et l'Allemand WPD. Un quatrième site avait été cédé au téméraire électricien espagnol Iberdrola, allié à Areva. Le cinquième lot, sur lequel GDF Suez était le seul en lice, n’avait pas trouvé preneur, l’offre du Français ayant été jugée insuffisante. De quoi gonfler à bloc GDF Suez, qui revient à la charge dans le cadre d’un second appel d’offres, en collaboration avec Areva. Leur arme fatale : une turbine d’une capacité de 8 mégawatts. Fat. Dans les sens anglais et français du terme.

Les enjeux sont colossaux. On parle de la création d’une filière industrielle, ni plus ni moins. À titre indicatif, à l’annonce de la sélection des lauréats du premier appel d’offres, Éric Besson, alors ministre de l’Industrie, évoquait « un investissement de 7 milliards d’euros et la création de 10 000 emplois industriels directs dans les régions des Pays de la Loire, Bretagne, Basse-Normandie et Haute-Normandie ». Les quatre parcs attribués représentent une puissance d’environ 2 000 MW, alors que la France souhaite se doter d’une capacité de 6 000 MW installée en mer à l’horizon 2020.

Nouvel appel d’offres, nouveaux projets. Deux parcs éoliens émergeront des profondeurs de l’Atlantique et de la Manche, l’un au large de l'île d'Yeu et de Noirmoutier (Vendée) l’autre du Tréport (Seine-Maritime). D’une puissance de 500 MW chacun, ils représentent un investissement estimé à 4 milliards d’euros.

Sur la ligne de départ, deux consortiums. D’un côté EDF Energies Nouvelles, associé à l'énergéticien allemand WPD Offshore et au constructeur français Alstom. De l’autre GDF Suez, dont l’armada est composée du développeur portugais EDP Renovaveis et des Français Neoen Marine, spécialiste du développement d’énergie marine renouvelable (EMR), et Areva, qu’on ne présente plus.

Trois critères entreront en compte pour départager ces candidats : le prix de l’électricité produite (40%), la qualité du projet industriel et l’aspect social (40%) et, enfin, le respect de l’environnement ainsi que la prise en compte des activités existantes de pêche (20%). La Commission de régulation de l’énergie (CRE) et les acteurs régionaux donneront leur avis consultatif, ces derniers consistant essentiellement en Bruno Retailleau, président du Conseil général de la Vendée, Jean-Benoît Albertini, préfet de Vendée, et leurs homologues respectifs de Seine-Maritime, Didier Marie et Pierre-Henry Maccioni. Autant d’instances chargées, si ce n’est de cornaquer, du moins d’aiguiller le gouvernement, qui tranchera fin mars.

Tout ne se jouera pourtant pas dans les hautes sphères. La construction d'un parc éolien concerne au premier chef les acteurs locaux - organismes de formation, représentants de la pêche et associations environnementales. Leur opinion, décisive, est l'objet de toutes les attentions, chacun cherche à l'infléchir en sa faveur selon un mode opératoire propre. La concertation publique locale est un enjeu essentiel dans ce type de choix industriel structurant pour le pays.

Pour mener à bien cette concertation locale, les deux candidats ont opté pour des stratégies distinctes d’information et de communication. Celle du consortium EDF EN - Alstom - WPD reprend les mêmes motifs que lors du précédent appel d'offres. Elle consiste à tisser des liens de proximité avec les acteurs locaux via des concertations pérennes, entamées notamment avec les pêcheurs dès 2007. Plus de 200 réunions ont déjà été organisées avec ces derniers pour chaque projet de parc. Le partenariat piloté par EDF EN s'est par ailleurs engagé, dès 2008, dans des études techniques, géotechniques et environnementales poussées, pour des financements de plusieurs millions d’euros, afin de démontrer en amont la viabilité de ses ambitions.

Autre consortium, autres méthodes. Si la troïka EDF EN - Alstom - WPD potasse études et analyses exploratoires, le duo GDF Suez - Areva est plus frontal dans son approche. Une communication agressive qui consiste à repeindre le web et les routes de Vendée et de Seine-Maritime aux couleurs des deux firmes, mais pas uniquement. Après avoir aidé les sauveteurs de la SNSM du Tréport à acheter une nouvelle vedette, GDF Suez leur a ainsi signé un chèque de 2 500 euros pour leur permettre de s'offrir des tenues flambant neuves. Cadeau. Pour séduire les Normands, Areva a quant à lui promis de construire un centre de R&D à Rouen.

Deux stratégies diamétralement opposées qu'on retrouve sur le plan opérationnel. Alors qu'EDF EN - Alstom - WPD mise sur l'empirisme et privilégie les axes de développement ayant déjà fait leurs preuves, GDF Suez - Areva préfère la hardiesse, quitte à tenter le coup de poker.

Chez EDF EN - Alstom - WPD, on l'aura compris, on table sur les valeurs sûres. Le consortium mise sur la même éolienne, revisitée en fonction des contraintes du site, que celle qui l'avait vu rafler la majorité des contrats lors du premier appel d'offres : l'Haliade, un oiseau de 1 500 tonnes à la pesée. Ses pales, pour l'anecdote, mesurent désormais 86 mètres, ce qui lui permet de brasser une surface équivalente à deux terrains de football et demi. D’une puissance de 6 MW, elle assure les besoins énergétiques de 5 000 foyers.

Pour ne pas laisser l'offre portée par EDF EN faire main basse sur la majorité des projets une nouvelle fois, le duo GDF Suez - Areva a vu les choses en grand. A l'en croire, l'engin n'existant encore que sur papier, sa turbine affichera une puissance maximale de 8MW. Luc Oursel, président du directoire d’Areva, a précisé que les pales de la machine flirteront avec les 90 mètres, quand sa nacelle devrait, à elle seule, peser 400 tonnes. Du jamais vu. Son nom n’a pas encore été trouvé/dévoilé.

Plus puissant, le moulin de GDF Suez permettrait d’avoir à installer moins de machines (62 par parc, contre 83 pour la concurrence), et donc de réaliser des économies. Simple. Simpliste ? Un peu. Construire de plus gros engins, c’est nécessairement engager des coûts plus élevés pour venir à bout des turbines et fondations, mais ça oblige aussi à adapter les bateaux servant au transport. Et à dévider des bobines de câbles de plus en plus grosses pour les connecter au réseau, comme l’explique Olivia Arana de Maleville, conseillère offshore du syndicat professionnel France Energie Eolienne, dans les colonnes de Libération : «Plus les machines seront grandes, plus elles mobiliseront de surface en mer, afin d’être suffisamment éloignées l’une de l’autre pour ne pas se gêner». Un ratio négatif au final, dont tout porte à croire qu’il ne sera pas même compensé par une meilleure production.

Une turbine de 8 MW est gourmande en vent. Trop gourmande pour les sites français, dont les mouvements de masse d'air ne sont pas suffisants pour la faire tourner à plein régime sur la distance. Si elle pourrait éventuellement trouver sa place dans des mers où le vent souffle plus fort, elle n'est pas taillée pour le littoral hexagonal.

En d’autres termes, le projet GDF Suez - Areva, s’il affiche apparemment des ambitions élevées, propose d’ériger moins d’éoliennes, plus puissantes dans l’absolu, mais occupant vraisemblablement davantage d’espace en mer et risquant fort de tourner au ralenti sur l’ensemble de l’année. Et donc de proposer une énergie plus chère pour le consommateur final, le compromis coût d'installation/puissance générée/conditions climatiques n’étant pas optimisé. Un hic d'importance, quand on sait que les précédentes offres de GDF - Suez avaient déjà été retoquées pour leur coût trop élevé.

De façon générale, l'éolien a aujourd'hui atteint une forme de maturité technique malgré son jeune âge. On se l'expliquera facilement en considérant que l'élaboration de ces moulins usinés est calquée sur celle des avions. Ce glissement de la science aéronautique à d'autres fins permet de s'appuyer sur le savoir accumulé depuis des décennies dans la construction des ailes (pales) et des boîtes de vitesse (nacelle). Et invalide de fait les projets péchant par excès d'ambition, en permettant grâce à l'expérience de se faire une bonne idée des besoins de telle ou telle région, et de la façon la plus ajustée d'y répondre.

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 Julien Vidal est expert-consultant en énergies renouvelables. Le suivi technique et la minimisation des risques n'ont plus de secret pour lui. Il travaille principalement au Canada.

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