Différents niveaux de lecture de l’environnement de marché

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Par Hervé Goulletquer Publié le 4 septembre 2020 à 13h27
France Emmanuel Macron Politique Relance
@shutter - © Economie Matin
100 MILLIARDS €Le plan de relance est doté d'un budget de 100 milliards d'euros.

La Tech américaine a « flanché » hier, entrainant le reste de la cote. En première lecture, tout ceci paraît très endogène. Attention toutefois à la logique des contingences, dans un environnement compliqué ; nous en parlions en début de semaine.

Trois réalités à garder à l'esprit : les Chinois font l'effort de penser la nouvelle stratégie économique à mettre en place face à une Amérique durablement moins « coopérative ; la France paraît s'inscrire dans une démarche visant à privilégier la « bonne » dette publique et pas la « mauvaise » ; si les chiffres de l'emploi américain retiennent toujours autant l'attention des marchés, il apparaît avisé de s'intéresser avant tout à la dynamique du chômage permanent.

Commençons par le plus évènementiel, même si on n'est jamais sûr de sa capacité à impacter le réel « profond ». Aux Etats-Unis, hier au soir, l'indice S&P 500 a clôturé sur une baisse de 3,5%. La Tech est à l'origine du mouvement. Le sous-indice correspondant a reculé de 5,8% et l'indice NASDAQ, de près de 5%. Le reste de la cote a été emporté par le mouvement, mais dans de moindres proportions. On a envie ce matin de pointer le caractère largement endogène au secteur des nouvelles technologies de ce qui s'est passé hier. Le fait que ce matin en Asie les replis soient plus modérés qu'à Wall Street la veille peut être lu comme un début de confirmation de l'hypothèse. Deux chiffres pour illustrer le propos : du 19 février au 23 mars, la sous-composante Tech du S&P 500 a reculé de 31%, avant de remonter de 80% jusqu'à avant-hier.

Au-delà de cette première lecture, deux questionnements apparaissent. D'abord, pour rester dans l'endogène, il faut se demander si des éléments nouveaux viendraient remettre en cause la tentation du diagnostic d'une « simple » respiration. J'ai envie de dire qu'il faut être attentif à d'éventuelles évolutions de l'environnement règlementaire du secteur. Celui-ci, sur le plan économique, est à la croisée de deux chemins : un « joyau » à cultiver, surtout dans le contexte de la rivalité avec la Chine, et la nécessité d'y introduire davantage de concurrence. En sachant que la Tech n'a pas vraiment « bonne presse » auprès de l'opinion publique américaine (seulement une personne sur 3 a un avis positif). Dans les arbitrages politiques à éventuellement rendre, cela compte. Ensuite, en élargissant la perspective, il faut revenir au point soulevé en début de semaine. Face à un environnement de marché compliqué et peu lisible, les contingences comptent. La Tech américaine, dans le rôle du canarie dans la mine avant le coup de grisou ? A priori, non ; mais le point est à surveiller. Quid en cas d'absence de compromis à Washington sur la question budgétaire et si les tensions sino-américaines remontent de plusieurs crans ?

Changeons de perspective et prenons un peu de recul par rapport à trois sujets importants aujourd'hui : la Chine, la dette publique et l'emploi américain.

En Chine, le Parti/Etat, sous la houlette de Xi Jinping, intègre la double ambition de l'Amérique de Donald Trump (mais peut-être aussi demain celle de Joe Biden) de découpler les deux économies et de limiter l'accès de China Inc. à la technologie made in USA. La question posée est alors celle de la stratégie à mettre en place pour que la croissance chinoise ne souffre pas trop du « changement de pied » initié à Washington.

C'est en mai dernier que le Comité permanent du Bureau politique du Parti communiste a introduit le concept de « circulation duale ». La définition, sans trop de surprise, est assez absconse : « un nouveau modèle de développement qui prend la circulation intérieure comme le moteur principal (de la croissance économique) avec des circulations intérieure et internationale se renforçant mutuellement ». Par circulation, il faut probablement entendre les échanges de produits bruts ou intermédiaires et des facteurs de production (dont le capital sous ses différentes formes) nécessaires au fonctionnement de l'économie.

Le Président Xi, en juillet dernier, a voulu sortir de l'approche conceptuelle et s'est efforcé de présenter les choses plus simplement. Confrontée à la montée du protectionnisme et au ralentissement de la croissance mondiale, la Chine doit moderniser son industrie et repenser ses chaines d'approvisionnement, favoriser l'innovation technologique et accélérer la recherche dans les secteurs-clés. C'est ainsi que de nouveaux avantages comparatifs apparaitront, gages de prochains développements économiques. Les portes de la Chine ne se refermeront pas ; le but est de de mieux connecter le marché intérieur avec le marché international pour parvenir à un développement plus robuste et plus durable.

Faisons encore un effort de synthèse et essayons de prendre la mesure du changement. L'ambition est d'abord de consolider les chaines d'approvisionnement en mixant les sources domestiques et étrangères, tout en diversifiant ces dernières. Elle est ensuite de de mieux unifier l'offre chinoise à destination à la fois des marchés intérieur et extérieur. Il ne fait guère de doute que la déclinaison opérationnelle de la « circulation duale » sera au cœur de la réflexion lors des travaux du prochain plenum du Parti qui, au cours de la deuxième quinzaine d'octobre, se penchera sur le quatorzième plan quinquennal (2021 – 2025). En sachant bien sûr que la date ne doit rien au hasard ; n'est-il pas opportun juste avant l'élection présidentielle américaine de montrer le sens de la méthode des autorités chinoises et de le comparer à l'esprit brouillon qui règne à Washington ?

Dans l'essentiel du monde développé, les dettes publiques sont élevées et pourtant il est unanimement jugé nécessaire de continuer de soutenir une activité qui reste trop fragile. La dernière initiative en date est française, avec un plan de relance de 100 milliards d'euros, qui sera pour l'essentiel mis en place cette année et l'an prochain. Comme quoi des ratios dette publique sur PIB qui tutoient les 120% n'apparaissent pas comme un obstacle infranchissable !

Comment le marché doit-il se positionner par rapport à ce volontarisme affirmé ? Peut-être en suivant la grille de lecture proposée par Mario Draghi, peu après la mi-août, dans ce qui fût sa première contribution publique au débat de politique économique depuis son départ de la BCE. Le principe est simple, mais la déclinaison peut être pas toujours facile à suivre : il faut « faire » de la « bonne dette », c'est-à-dire venant financer des dépenses productives dont une partie de la valeur ainsi créée servira à la rembourser, et pas de la « mauvaise dette » qui ne viendrait financer que des dépenses courantes, davantage stériles en matière de préparation de l'avenir.

Disons que le gouvernement français s'inscrit assez bien sur la ligne proposée par l'ancien président de la BCE. Le plan de relance vise clairement à soutenir l'offre et donc à renforcer le potentiel de croissance. Le temps est moins au soutien, comme ce fût le cas au cours du printemps et encore en début d'été, et davantage au renforcement de la compétitivité des entreprises, à la réorientation de l'économie vers un fonctionnement plus respectueux de l'environnement et à une meilleure cohésion à l'intérieur de la Société.

Comme chaque début de mois, le marché se passionne pour les chiffres de l'emploi américain du mois passé. Ceux d'août seront publiés cet après-midi (heure européenne). Le consensus des économistes table sur 1,350 million de nouveaux postes de travail créés. Le chiffre est gros et donc doit envoyer un message favorable sur l'activité économique outre-Atlantique. Ce raisonnement, un peu trop as usual, n'intègre assurément pas assez les bouleversements introduits par la crise sanitaire et la réponse apportés de politique économique. D'ailleurs, la largeur de la fourchette des estimations pour le chiffre à sortir cet après-midi illustre le caractère exceptionnel de la situation actuelle. Si je me souviens bien, cela va de 100 000 à 2 millions ! Et puis, et surtout, il y a un double mouvement tout à fait inhabituel des chômeurs temporaires et des chômeurs permanents. Dans une récession « normale », le second augmentent très fortement et les premiers, beaucoup moins. Cela a été le contraire cette fois-ci. C'est à la montée du chômage permanent qu'il faut s'intéresser avant tout à l'heure actuelle. Là se trouve une partie de l'enjeu pour l'économie américaine au cours des prochains mois.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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