Votre patron vous excède. Ses reproches sont incessants. Votre collaborateur, certes compétent, vous irrite, avec ses absences répétées aux réunions hebdomadaires. Ce client impatient oublie que le temps passe quand il s’agit de régler ses factures. La tension monte. Vous allez perdre votre sang-froid. Surtout pas !
Certes, des psychologues pourront dire que la colère est un exutoire salutaire. Des collègues vous féliciteront, ravis de voir leur alter ego s’emballer à leur place dans des gesticulations et des vociférations libératrices, sans en supporter les dégâts collatéraux : mesures de rétorsion de l’interlocuteur voué aux gémonies, ou réputation entachée de ridicule.
Il existe bien des études qui prouvent que la colère permet d’obtenir davantage de concessions lors d’une négociation. Mais les gains sont alors souvent de court terme. Les bouffées de colère laissent des traces. La menace, en revanche, serait une arme plus efficace. Il en serait des négociations en entreprise comme des négociations entre États. Mieux vaut utiliser la force de dissuasion que déployer l’arme nucléaire.
Deux chercheurs en comportement organisationnel, Margaret Neale, de la Stanford Graduate School of Business (États-Unis), et Marwan Sinaceur, de l’Insead, en apportent la preuve 10. On savait déjà que menacer de quitter la table de négociation est un moyen puissant d’arriver à ses fins. Mme Neale et M. Sinaceur avaient aussi démontré, dans une autre étude, que plus on en vient tardivement à cette extrémité, plus la manoeuvre est efficace. Mais la menace étant parfois proférée sur un ton colérique, les chercheurs s’interrogeaient : était-ce la menace ou la colère qui permettait d’emporter le morceau ? Ils ont réuni des candidats à une expérience sur le sujet. Ils leur ont expliqué qu’ils allaient observer leurs réactions lors de négociations menées entre eux, mais dans des pièces différentes, par l’intermédiaire d’un ordinateur. En fait, les cobayes dialoguaient tous, sans le savoir, avec la machine, dont les réponses et réactions avaient été formulées pour exprimer soit de la colère, soit une menace.
L’expérience a confirmé que la menace, surtout tardive, est plus efficace que la colère. Les négociateurs à sang-froid ont en outre été jugés plus sympathiques, plus équilibrés et plus crédibles. La colère est mauvaise conseillère.
Il fallait le prouver. C’est fait !
Extrait du livre "Les râleurs sont les meilleurs et autres vérités de l'entreprise scientifiquement prouvées" d'Annie Kahn aux éditions JC Lattès