Un journaliste des Echos s’est récemment interrogé sur la question de savoir à quoi pouvaient servir des prévisions de trésorerie, tout en semblant vouloir confronter la trésorerie et l’intelligence artificielle.
Il y parait que « le point de vue de la plus large partie des chantres des nouvelles technologies » convergerait vers celui des trésoriers d’entreprise pour se satisfaire d’une prévision de trésorerie qui serait simplement constituée des écritures comptables n’ayant pas encore eu leur conséquence en trésorerie…Si le propos est réducteur, l’auteur manifeste cependant assez bien le fait que les logiciels de trésorerie puissent en effet se satisfaire, par vocation première plus que par une idéologie dévoyée de la constitution d’un prévisionnel de trésorerie, d’un tel résultat, que le trésorier d’entreprise est alors bien légitime à exploiter afin de couvrir ses éventuels besoins au terme le plus court.
Cette vision à très court terme de la prévision, qui pourrait en d’autres termes être appelée un réel déjà prévu, semble constituer à ce stade le seul (ou premier ?) horizon de notre journaliste, qui conclut qu’avant de traiter efficacement le sujet des prévisions, il convient auparavant de répondre aux questions liées aux objectifs, aux enjeux et au rôle du trésorier dans la constitution de la méthodologie qui permettra avec ou sans intelligence artificielle (voilà, le sujet est couvert…) de prévoir des flux de trésorerie. Nous partageons tous ainsi l’avis de Pierre Dac, qui nous a rappelé que « les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir ».
Si le premier rôle du trésorier est bien évidemment celui de gérer les flux de trésorerie, ce dernier dans sa réalité quotidienne ne peut faire l’impasse sur des flux déjà constatés, pas plus que sur les flux bientôt constatés. Voilà sa réalité d’aujourd’hui, de demain matin mais aussi parfois sa réalité rétroactive, ses partenaires bancaires ne se privant pas de l’exercice du flux rétroactif !
Pourtant, borner la satisfaction de ce grand argentier de l’entreprise à la vision des flux avérés ou presque avérés semble réductrice. Si gouverner, c’est prévoir, prévoir, c’est déjà gouverner, et le trésorier n’a de cesse que de savoir ce qui va se passer, à plus ou moins long terme. Cela permet de répondre à des enjeux stratégiques, cela permet aussi et parfois surtout d’exister. Heureusement qu’ainsi des acteurs des fintechs ou des nouvelles technologies - l’appartenance à un groupe importe peu - se sont penchés depuis déjà un temps certain sur le sujet des prévisions de trésorerie, et c’est ainsi une occasion donnée de mettre en perspective l’innovation en la matière, et d’apporter quelques réponses aux questions posées.
Une première articulation de réponse serait de définir le rôle du trésorier par rapport à celui du contrôle de gestion dans la production des prévisions de trésorerie. Les enjeux ne sont pas les mêmes, et le vocabulaire utilisé en la matière non plus. En effet, si le premier s’intéresse davantage aux flux d’encaissement et de décaissement eux-mêmes, c’est parce qu’il est le premier responsable de la bonne utilisation des sommes disponibles, dans le respect des autorisations négociées avec ses partenaires financiers, bancaires ou non. Il anticipe afin de couvrir ses positions, et s’interroge sur les mouvements de demain, bien souvent poussés à un horizon trimestriel afin d’avoir le temps d’agir.
Selon son contexte, il aura plus ou moins à cœur d’affiner le détail de ses prévisions pour couvrir un besoin sur un mois, une semaine, ou même une journée. Négocier, alerter, couvrir, anticiper et réagir. Voilà certains objectifs identifiés, à lui de s’organiser pour anticiper.
Un deuxième élément de réponse est apporté sur cette notion d’organisation. Le trésorier est-il seul à la tête d’une société, ou pilote-t-il sa trésorerie à travers des filiales, en France ou ailleurs ? Selon la réponse, l’organisation de son travail va différer, pour s’appuyer dans le dernier cas sur une équipe. C’est alors qu’une clarification dans la définition des flux prend son importance, afin que chacun travaille de façon harmonieuse, avec le même langage et la même définition de ces flux de trésorerie. Cela permet à notre trésorier de consolider des éléments de même nature, et d’éviter toute confusion entre des flux de nature comptable ou des flux de nature financière.
Un troisième élément de réponse est porté par la méthodologie appliquée dans la constitution même de la prévision, que le trésorier privilégie ainsi à court terme. Son approche plus naturelle par les flux le conduit nécessairement à mettre ses prévisions en regard de ses réalisations. De façon pragmatique, il aura tendance à se baser sur sa connaissance des flux, de leur saisonnalité dans une semaine ou un mois pour essayer de reproduire les mouvements futurs et leurs cycles de réalisation. En confrontant la réalité à la prévision, il en tirera des leçons, de façon très pragmatique, pour l’aider à améliorer la qualité de ses prévisions.
Si le trésorier a pour bornes et référentiel son solde de trésorerie, le contrôleur de gestion, lui, a plutôt le réflexe de chercher ses bornes au bilan de son entreprise, avec l’écart qui peut exister entre un solde et l’autre. Car le contrôleur de gestion, lui, à un niveau différent, va développer tout son art pour prévoir un budget, les ventes et les achats. L’un contrôle ses risques en pilotant la trésorerie, l’autre en pilotant son résultat d’exploitation. L’un peut voir le mur arriver, l’autre non, car, malheureusement, la traduction d’une vente en cash n’est parfois ni immédiate ni évidente.
Cependant, chacun à sa place, le contrôleur de gestion va construire un budget et produire tous les éléments qui vont permettre à la direction de l’entreprise de prendre les bonnes décisions. Anticiper les ressources stables, auxquelles le trésorier sera nécessairement associé, pour bien les employer, et donner une traduction cash à ses budgets, pour s’assurer que le budget est réaliste et équilibré. Et c’est là que se pose la principale question de notre sujet, qui est de réconcilier le budget de trésorerie du contrôle de gestion avec celui du trésorier. C’est ce relais qui est fondamental et pour lequel l’intelligence artificielle n’apportera jamais rien. Notre sujet est une question de vocabulaire, de définition, de méthodologie et aussi de volonté et d’organisation.
Le monde des fintechs et des nouvelles technologies au service de la trésorerie est en plein boom. De nouveaux entrants viennent, chacun à leur façon, contribuer à apporter des éléments de réponse innovants aux problématiques de la trésorerie (gestion de trésorerie, prévisions de trésorerie, moyens de paiement, lutte contre la fraude, financement) sans que, pour le moment, la convergence ne soit parfaite, à défaut déjà de vraies complémentarités. Nul ne viendra faire converger les différents acteurs d’une même entreprise, tous au service de la prévision, autrement qu’avec de la méthode et de la volonté. En revanche, en matière d’innovation, l’Intelligence Artificielle doit permettre d’améliorer la pertinence de la prévision, et elle ne pourra se faire qu’à travers l’exploitation de très grands flux de data. Intégrer des éléments exogènes dans la modélisation des ventes ou des achats, des encaissements et des décaissements, voilà comment l’intelligence Artificielle viendra soutenir l’intelligence supérieure de l’homme.