Europe : vers la création d’un nouveau brevet unique ?

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Par Stéphane Agasse Modifié le 23 janvier 2014 à 13h14

Après plus de plus de 30 ans d’attentes et de discussions, le Parlement européen a finalement entériné le 11 décembre 2012 la création d’un brevet européen « unitaire ».

Ce brevet européen unitaire - et non pas « communautaire », l’Espagne et l’Italie ayant jusqu’à présent refusé d’adhérer pour des problématiques linguistiques - se fonde sur un « paquet législatif » comprenant trois textes distincts (deux règlements et un accord international) :

-deux règlements régissant d’une part le brevet unitaire et d’autre part le régime linguistique adoptés en décembre 2012 par l’ensemble des états membres de l’Union Européenne à l’exception de l’Espagne et de l’Italie;

-un texte régissant la juridiction « unifiée » devant (notamment) trancher les litiges relatifs aux brevets européens et unitaires signé en février 2013 par l’ensemble des états membres de l’Union Européenne à l’exception de l’Espagne et de la Pologne (l’Italie ayant, contre toute attente, signé ce texte).

Le brevet européen unitaire entrera en vigueur dès la ratification du texte régissant la juridiction unifiée par (au moins) 13 États membres (dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni). Un temps espérée pour le 1er janvier 2014, cette entrée en vigueur ne devrait pas avoir lieu avant début 2015, seule l’Autriche ayant à ce jour ratifié le texte.

Mais quels sont les principaux changements attendus avec la mise en place du brevet unitaire ? Quelles seront les conséquences économiques et juridiques ? Le brevet européen tel que nous le connaissons aujourd’hui est-il voué à disparaître ?

Voici quelques éléments de réponse.

Le brevet européen vs le brevet unitaire

Le brevet européen

Aujourd’hui, une entreprise ou un inventeur souhaitant obtenir une protection de son invention en Europe dépose auprès de l’Office Européen des Brevets (OEB) une demande de brevet européen. Cette demande de brevet doit être rédigée dans l’une des trois langues officielles : en français, en anglais ou en allemand. A la suite d’une procédure d’examen unifiée, les revendications acceptées par l’OEB sont traduites dans les deux autres langues officielles, et un brevet européen est délivré.

Mais cela ne s’arrête pas là. Le brevet européen doit ensuite être « validé » dans les États Contractants dans lesquels le breveté souhaite finalement protéger son invention. A l’exception principalement de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne, cette « validation » suppose une traduction de tout ou partie du brevet délivré dans la langue officiel de l’État Contractant considéré.

Suite à cette validation, le breveté se retrouve alors titulaire, non pas d’un brevet unique, mais d’une pluralité de brevets nationaux pour lesquels il devra s’acquitter annuellement d’une taxe de maintien et qui seront soumis à la compétence des juridictions nationales en cas de contrefaçon ou d’action en nullité.

Le brevet unitaire

Dès l’entrée en vigueur des dispositions légales précitées, une entreprise ou un inventeur souhaitant obtenir une protection de son invention en Europe pourra déposer, toujours auprès de l’OEB, et toujours dans l’une des trois langues officielles, une demande de brevet européen dite « unitaire ».

A la suite d’une procédure d’examen qui ne devrait pas différer – ni sur la forme, ni sur le fond – de la procédure d’examen d’une demande de brevet européen « classique », et après traduction des revendications dans les deux autres langues officielles, un brevet européen unitaire sera délivré.

Le brevet unitaire prendra alors immédiatement effet dans les 25 États membres signataires de l’accord instituant le brevet unitaire - à ce jour, l’ensemble des États membres de l'Union Européenne à l'exception de l'Espagne et de l'Italie - sans qu’aucune formalité d’enregistrement national, notamment la fourniture d’une traduction, ne soit nécessaire.

Le breveté se retrouvera alors titulaire d’un brevet unique pour l’ensemble des États membres concernés pour lequel il devra s’acquitter annuellement d’une unique taxe de maintien.

Par ailleurs, les litiges – action en contrefaçon et action en nullité – relatifs à ce brevet seront soumis à la compétence unique de la Cour européenne des brevets.

La juridiction européenne unifiée en matière de brevets

En effet, le « paquet législatif » du brevet unitaire prévoit également la création d’une juridiction européenne unifiée en matière de brevets, fréquemment désignée par « Cour européenne des brevets ».

Les décisions rendues par la Cour européenne des brevets seront applicables dans l’ensemble des États membres signataires de l’accord instituant le brevet unitaire.

Cette Cour européenne des brevets sera constituée d’une division centrale, qui aura la charge de rendre les décisions de première instance, et d’une cour d’appel.

Le siège de la division centrale a été attribué - de façon symbolique - à Paris, mais les différents litiges seront répartis dans trois villes :

-les litiges relatifs aux brevets appartenant au domaine de la chimie ou de la pharmacie seront jugés à Londres ;

-les litiges relatifs aux brevets appartenant au domaine de l’ingénierie et de la mécanique seront quant à eux jugés à Munich ;

-La cour d’appel de cette juridiction unifiée sera basée à Luxembourg.

Enfin, l’administration de la juridiction sera basée à Munich.

Conséquences économique et juridiques

La prochaine entrée en vigueur du brevet unitaire aura des conséquences tant sur le plan économique que juridique.

Sur le plan économique tout d’abord. À protection équivalente en termes de territoire, on estime que le breveté réalisera une économie d’environ 80 % en optant pour le brevet unitaire plutôt que pour le brevet européen. Une telle économie s’explique principalement par l’absence de traductions à la délivrance du brevet unitaire et par le maintien d’un titre unique pour l’ensemble du territoire concerné plutôt que d’une pluralité de brevets nationaux.

Sur le plan juridique ensuite. Actuellement, en cas de litige portant sur un brevet européen validé dans les différents États Contractants, celui-ci doit être porté devant les différentes juridictions nationales compétentes concernées. Les juridictions nationales n’étant pas liées entre elles et demeurant libres de rendre des décisions sans tenir compte des décisions déjà rendues dans les autres États Contractants, cette pluralité de procédures judiciaires multiplie non seulement les coûts mais également les risques que des décisions contradictoires soient rendues en Europe pour un même litige.

Avec la Cour européenne des brevets, une décision unique sera rendue pour l’ensemble des États membres concernés, ce qui devrait assurer une réduction du coût des procédures contentieuses mais également une meilleure sécurité juridique (pour le breveté comme pour les tiers), une cohérence dans le contentieux des brevets, et une meilleure efficacité dans la lutte contre la contrefaçon.

Coexistence du brevet européen et du brevet unitaire

Pour autant, le brevet européen tel que nous le connaissons aujourd’hui n’est pas amené à disparaître.

Le brevet unitaire représente un intérêt incontestable pour les grandes entreprises qui, à budget constant voire réduit, pourront désormais protéger leurs inventions dans tous les pays européens, même ceux de moindre importance industrielle, et bénéficieront d’une action judiciaire unique en cas de contrefaçon. Ce brevet unitaire pourrait également permettre aux organismes de recherche publique d’améliorer la valorisation de leurs inventions par une protection plus large en termes de territoire.

Cependant, pour les PME ou les inventeurs seuls qui ne valident leur brevet européen que dans un nombre réduit d’États Contractants pour lesquels les coûts de traduction sont faibles voire nuls (e.g. France, Allemagne, Angleterre), le brevet unitaire représentera finalement un surcoût. Ceux-ci devraient donc continuer à utiliser le système du brevet européen « classique ».

Le brevet européen et le brevet unitaire devraient donc être amenés à coexister, chacun étant susceptible de répondre à des problématiques et des attentes différentes.

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C’est  au sein du Département Brevets d’un grand groupe agrochimique que Stéphane a débuté sa carrière avant d’intégrer en 2007 le Cabinet Germain & Maureau pour en devenir associé en 2013. Stéphane est en charge du pôle Chimie-Pharmacie-Sciences du vivant du Cabinet.

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