L’entrepreneur est aujourd’hui sommé de souscrire à des contrats collectifs, et c’est un motif de désespoir. L’intention est pourtant bonne: les contrats collectifs permettent généralement d’apporter des protections importantes aux salariés dans le domaine de la prévoyance ou de la santé. Mais les règles applicables à ces contrats se révèlent redoutablement complexes et difficiles à respecter. Voici comment une bonne idée se transforme en source de perturbation pour l’économie française.
Des règles fiscales complexes
Les contrats collectifs permettent à une entreprise d’assurer tout ou partie de ses salariés sur les risques maladie et prévoyance. A ce stade, la protection prévoyance n’est pas obligatoire, mais la protection santé le devient au 1er janvier 2016. Cette obligation s’ajoute au compte pénibilité et à diverses mesures qui entrent en vigueur à la même date, ce qui suscite une vraie surcharge pour les chefs d’entreprise.
Pour encourager le recours à ces contrats, le législateur a créé une niche fiscale: les contrats dits collectifs et obligatoires (et responsables dans le domaine de la santé) ont longtemps été exonérés de toute taxation. Ces dernières années, un forfait social a réintroduit une fiscalité, mais allégée, sur les versements des employeurs pour financer ce contrat. Le forfait social est de 8%.
Pour les chefs d’entreprise, l’application du forfait social peut se révéler très coûteuse: elle suppose le respect d’un formalisme étroit, touffu, chronophage, dont l’oubli même partiel condamne à un redressement en cas de contrôle de l’URSSAF. Et le problème central est ici: le chef d’entreprise échange un avantage fiscal contre une perte sèche de compétitivité due au temps passé à la constitution du dossier.
La question de l’acte fondateur
Pour bénéficier du forfait social, l’entrepreneur ne peut pas se contenter de souscrire au contrat d’assurance qui couvre le risque des salariés. Il doit d’abord s’embarrasser d’une formalité obligatoire: la décision unilatérale (ou l’accord d’entreprise) qui fonde le « régime ». Pour l’entrepreneur qui démarre, cette étape peut se révéler un vrai casse-tête: personne n’est en effet véritablement d’accord sur les mentions qu’il faut apporter à cet acte fondateur.
Doit-il se limiter à annoncer la création d’un régime santé? Non, car d’autres mentions sont incontournables, en particulier celles qui portent sur la population concernée. Dans l’hypothèse où tous les salariés ne seraient pas inclus dans le contrat, le risque couve de perdre la qualification de contrat collectif et obligatoire. Si le contrôleur URSSAF considère que l’entreprise ne couvre pas tout le monde, le redressement est assuré.
La décision unilatérale doit-elle mentionner le tarif pratiqué dans l’entreprise, sur la base duquel le salarié est assuré? Le bon sens le voudrait, mais toute évolution ultérieure du tarif doit être accompagnée d’une évolution de la décision, sans quoi, là encore, l’entrepreneur s’expose à un redressement. Il réfléchira donc à deux fois avant de prendre une décision trop « explicite ».
Souvent, les décisions unilatérales prévoient des cas de dispense, au demeurant en accord avec la loi. Mais l’entrepreneur qui n’a pas pris soin de collecter les demandes individuelles de dispense s’expose là encore à un redressement.
La question des garanties responsables
Ceux qui ne sont pas encore complètement effrayés par toutes ces règles doivent ensuite obéir à une réglementation minutieuse qui limite les prestations offertes par les contrats. Grâce à l’imagination débordante de Marisol Touraine, en effet, un contrat santé qui prévoit des remboursements trop généreux pour les lunettes est incompatible avec le forfait social. Il en va de même pour les remboursements intégraux des dépassements d’honoraires: ils sont jugés non responsables.
Autrement dit, l’entrepreneur qui veut sottement faire plaisir à ses salariés à leur finançant une « mutuelle » qui rembourse des lunettes chaque année (par exemple) ou l’intégralité de la visite chez le gynécologue en dépassement d’honoraires, s’expose là encore à un méchant redressement. Pour le commun des mortels, ce système est incompréhensible, mais les idéologues de l’Assemblée Nationale l’ont largement voulu.
Le redressement URSSAF
Le chef d’entreprise qui n’a pas le temps de s’occuper de tout cela a de grandes chances d’être redressé par l’URSSAF. L’article 11 du PLFSS 2016 a entrepris de limiter le montant des redressements en reconnaissant implicitement que les chefs d’entreprise ne devaient pas être complètement pénalisés par l’excès de règles. Ce faisant, le législateur reviendra sur le principe du « Nul n’est censé ignorer la loi », puisque l’article 11 dispose que le contrôleur doit apprécier si le manquement à la règle « ne révèle pas une méconnaissance d’une particulière gravité des règles ».
Autrement dit, on admet que le chef d’entreprise ne peut pas connaître toutes les règles qu’il doit appliquer et que, quand il est de bonne foi, il faut faire preuve d’indulgence. La règle à appliquer consiste alors à ne pas imposer au chef d’entreprise un redressement qui serait supérieur au manque à gagner de l’Etat.
Le montant du redressement ainsi établi par l’agent chargé du contrôle ne peut être supérieur à celui résultant de l’assujettissement de l’ensemble des contributions de l’employeur au financement du régime.
Tout l’enjeu consistera à savoir si le chef d’entreprise est de bonne foi dans son ignorance des règles ou non.
Le contrôleur URSSAF nouveau gabelou?
On se souviendra ici que l’une des causes de la Révolution Française a tenu au pouvoir discrétionnaire des « gabelous », chargés de collecter l’impôt sur le sel, et des fermiers généraux. Les sujets du Roi ne supportait plus la complexité fiscale qui les saignait.
L’article 11 du PLFSS acte cette complexité et donne aux contrôleurs URSSAF le même pouvoir discrétionnaire qu’aux gabelous en leur temps.
Aux mêmes causes les mêmes effets? L’avenir nous le dira.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog