Travail : quand ne pas avoir d’éthique est déjà une posture éthique

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Par Pierre-Eric Sutter Modifié le 5 novembre 2012 à 5h46

Les Français ont-ils raison d'être exigeants avec leur travail ? D’où, côté salariés, la nécessité d’entamer un travail sur soi, parfaitement intime et personnel, pour tendre vers cette maîtrise et ne plus être le jouet de ses passions : vouloir toujours plus d’augmentation de salaire, plus de promotion, plus d’avantages, plus de sécurité, plus de confort, plus de bien-être... alors qu’on n’en a pas vraiment besoin et que l’on pourrait se contenter déjà de ce que l’on a.


Toutefois, il n’y a pas que les salariés qui doivent faire un travail sur eux-mêmes. Côté employeurs, il faut également balayer devant sa porte. Force est de constater que ceux qui conçoivent le prescrit le travail ne prennent que trop rarement en compte ce que pensent et vivent ceux qui l’exécutent (mais c’est la spécificité de la division du travail qui sépare les concepteurs des exécutants et oublie de les réunir une fois le prescrit du travail effectué ce qui contribue à les opposer au lieu de les faire travailler main dans la main), tant en amont lors de sa conception qu’en aval lors de sa reconfiguration.

De plus, une organisation du travail fonde sa finalité et donc son efficacité sur les principes de la rationalité instrumentale : atteindre un objectif au moindre coût et au meilleur rendement, sans se soucier d’éthique. Comme l’a brillamment souligné Weber, la rationalité instrumentale détermine les moyens nécessaires pour atteindre telle fin ("si je veux subvenir à mes besoins naturels, alors je dois travailler ou voler"), contrairement à la rationalité objective, fondée sur des valeurs, qui fixe des fins impératives et qui conditionnent les comportements de façon structurelle et durable ("il ne faut pas voler").

Or penser qu’une organisation ne doit pas se soucier d’éthique est à la fois vrai et faux : ne pas se soucier d’éthique, c’est certes être en phase avec les principes de la rationalité instrumentale mais c’est aussi avoir une posture éthique par défaut, susceptible d’entrer en conflit avec d’autres postures éthiques, fondées surs la rationalité objective. Estimer qu’il est possible de naviguer dans le monde comme dans une organisation, régi par les principes de la seule rationalité instrumentale, est une erreur grave. Car les organisations interagissent avec leur environnement dans tous les sens du terme : sociétal, social, environnemental…

Or leur environnement ne se fonde pas, loin s’en faut, sur la seule rationalité instrumentale. Les constructeurs automobiles, deuxième industrie la plus polluante de la planète, l’ont bien compris : ne pas prendre en compte les valeurs environnementales dans sa stratégie, sa R&D, son marketing ou sa communication, c’est se tirer une balle dans le pied. Car ces valeurs étayent la rationalité objective des clients automobilistes, de plus en plus concernés par la préservation de l’environnement et par la cherté du carburant qui orienteront leur acte d’achat vers le véhicule le moins polluant et le moins gourmand…

On touche du doigt le conflit de rationalité qui aujourd’hui titille les salariés français avec leur employeur. Par effet rebond ce conflit doit pousser les organisations à repenser non seulement les injonctions qu’elles adressent à leurs collaborateurs mais aussi par truchement leur politique « bien-être », si elles ne veulent pas accroître leur mal-être par perte de sens au travail. Le bien-être est ainsi indissociable du bien agir, comme la satisfaction de certains plaisirs (ceux qui ne sont pas addictifs) qui contribue à l’atteinte du bonheur sans pour autant être le bonheur en soi.

Ne pas se soucier de l’éthique du quotidien, celle qui se niche dans les pensées et actes des salariés, c’est pour une organisation mal agir et c’est pousser ses salariés à faire le mal, sans même avoir eu l’intention de le faire : s’abstenir d’avoir une posture éthique, c’est donc déjà avoir une posture éthique, susceptible de générer du mal et du malheur, plutôt que du bien-être et du bonheur.

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Psychologue du travail, titulaire d'un master en Gestion (IAE Paris), chercheur en Sciences Sociales, Pierre-Eric Sutter est expert depuis plus de 20 ans en évaluation des hommes dans la fonction RH et le management d’entreprises. Il est habilité IPRP (Intervenant en prévention des Risques professionnels). Pierre-Eric Sutter est également Président de m@rs-lab, société de conseil en management de la performance sociale et en en prévention des Risques psychosociaux. Il est membre du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants : commissions "stress & bien-être" et "dialogue social".) Il est l'auteur d'articles et d'ouvrages dans le domaine de l'ingénierie et l'informatisation des Ressources Humaines, la gestion des compétences et la performance sociale.  

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