La société anonyme : un ami qui vous veut du mal ?

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Par Pascal de Lima Modifié le 17 octobre 2013 à 2h28

Utilisée dès 1830 aux Etats-Unis et la deuxième moitié du 19° siècle en Europe, la société anonyme s'est imposée après 1945 comme la forme dominante d'entreprise dans le monde. Autant dire qu'elle a accompagné les mutations du capitalisme ces deux derniers siècles, jusqu'à en devenir un des moteurs.

En tant que forme juridique d'entreprise, elle est définie dans le Code du commerce français comme une société commerciale « dont le capital est divisé en actions et qui est constituée entre des associés qui ne supportent les pertes qu'à concurrence de leurs apports. » Cela signifie que le capital, mobilisable au moyen de l'émission d'actions, est protégé. Les responsabilités sont limitées.

Il ne s'agit pas là du seul avantage de la société anonyme

Son développement répond avant tout aux défis de la seconde industrialisation. Par une concentration sans précédent de ressources financières, matérielles et humaines (en mettant à disposition des grandes dynasties industrielles une masse de petits capitaux anonymes) dans des secteurs d'activité qui demandent de très lourds investissements, comme ceux du chemin de fer, de la sidérurgie, de la construction mécanique ou des grands travaux, elle contribue au financement du progrès technique et de l'acquisition de capital productif, ce qui accroît de manière considérable l'efficacité des facteurs de production, travail et capital. L'inventeur de la « business story », Alfred Chandler, en vient à considérer qu'elle a joué le « rôle le plus fondamental dans la transformation des économies occidentales ».

De surcroit, elle a permis une gestion complexe de très grandes structures, rendues inévitables du fait de la concurrence. En effet, si, théoriquement, l'organisation de la société anonyme repose sur la transmission de la direction de l'entreprise des mains de l'entrepreneur vers celles des propriétaires actionnaires, la réalité des compétences et des connaissances pratiques de ces derniers offre le véritable pouvoir de décision aux gestionnaires professionnels, les managers, au cœur du développement de l'entreprise. Cette séparation entre propriété et contrôle de l'entreprise est le fondement de ce qui est appelé la « révolution managériale », nouvelle phase de la division du travail, favorisant non plus tant la recherche du profit mais plus celle de la croissance de l'entreprise.

S'il est clair que le principe de la société par actions a largement contribué à l'essor et l'efficacité du capitalisme, ce transfert de propriété de l'entrepreneur vers l'actionnaire a très vite suscité des interrogations quant à la survie du capitalisme face aux dangers d'un capitalisme financier naissant. Marx, par exemple, considère qu'en quittant les mains du capitaliste individuel, le capital devient « capital social », ce qui constitue à ses yeux une contradiction fatale du capitalisme avec « un mode de production privé qui échappe au contrôle de la propriété privée. » Il décrit dès lors la finance comme une « puissance tout à fait nouvelle, qui à ses origines s'introduit sournoisement comme une aide modeste à l'accumulation, puis devient bientôt une arme additionnelle et terrible de la guerre de la concurrence, et se transforme enfin en un immense machinisme social destiné à centraliser les capitaux ». Ce début de socialisation du capital devait, selon Marx, entrainer de nouvelles crises du capitalisme qui déboucheraient enfin sur une socialisation total du capital dans sa vision d'une marche vers le communisme.

Cette analyse est en partie partagée par Schumpeter en 1942. Mais l'espoir de Marx est un tourment pour Schumpeter lorsqu'il s'inquiète des effets de cette financiarisation, coupable d'une « évaporation de la substance de la propriété » qui « relâche l'emprise, naguère si forte du propriétaire sur son bien, d'abord en affaiblissant son droit légal [...] d'en jouir comme il l'entend ; ensuite, parce que le possesseur d'un titre abstrait perd la volonté de combattre économiquement, politiquement et physiquement pour « son » usine [...] et s'il le faut, de mourir sur son seuil ».

Si la société anonyme n'a pas enfanté le socialisme tant attendu ou redouté

l'Histoire leur a pourtant donné en partie raison. La financiarisation de l'économie a explosé sous l'effet conjoint de la mondialisation économique et du virage libéral des années 1980 de Reagan et Thatcher (suivis en France par le tournant de la rigueur de 1983 de Mitterrand et son ministre de l'économie Delors). Au départ, catalyseur de la croissance économique, la financiarisation à outrance est devenue dans un certain nombre de cas un handicap, avec un coût du capital croissant. Entre 1982 et 1989, l'Insee indique que la part de l'excédent brut d'exploitation (en clair le profit) dans le partage de la valeur ajoutée, donc de la richesse produite, est passée de 22.7% à 30.5%, exerçant donc une pression notamment sur les salaires et ouvrant une nouvelle page d'histoire du capitalisme.

Serait-ce la dernière ? La socialisation du capital va-t-elle assassiner le capitalisme après l'avoir servi, tel un Talleyrand pour le Premier Empire ? Le capitalisme sera ce que les Etats voudront qu'il soit, car comme nous l'enseignait le diable boiteux : « Les financiers ne font bien leurs affaires que lorsque l'État les fait mal. »

Avec Gwenaël Le Sausse

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Chef économiste, Economiste de l'innovation, knowledge manager des cabinets de conseil en management (20 ans). Essayiste et conférencier français spécialiste de prospective économique, mon travail, fondé sur une veille et une réflexion prospective, porte notamment sur l'exploration des innovations, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socio-économiques. Responsable de l'offre "FUTURA : Impacts des innovations sur les métiers de demain". Vision, Leadership, Remote of Work, Digital as Platforms...secteurs Banque Finance Assurance, PME TPE, Industrie et Sport du Futur. Après 14 années dans les milieux du conseil en management et systèmes d’information (Consultant et Knowledge manager auprès de Ernst & Young, Cap Gemini, Chef Economiste-KM auprès d'Altran - dont un an auprès d'Arthur D. Little...), je fonde Economic Cell en 2013, laboratoire d’observation des innovations et des marchés. En 2017, je deviens en parallèle Chef Economiste d'Harwell Management. En 2022, je deviens Chef économiste de CGI et Directeur de CGI Business Consulting. Intervenant en économie de l'innovation à Aivancity, Sciences po Paris, ESSEC, HEC, UP13, Telecom-Paris... et Conférenciers dans le secteur privé, DRH, Directions Métiers... J'ai publié plus de 300 tribunes économiques dans toute la presse nationale, 8 livres, 6 articles scientifiques dans des revues classées CNRS et j'interviens régulièrement dans les médias français et internationaux. Publication récente aux éditions FORBES de « Capitalisme et Technologie : les liaisons dangereuses – Vers les métiers de demain ». Livre en cours : "La fin du travail" Site personnel : www.pascal-de-lima.com

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