Au moins deux enfants meurent chaque jour des suites de violences. Une réalité qui reste encore taboue dans notre société, et ce alors que les services de police et de gendarmerie ont recensé 194 décès d'enfants de moins de 18 ans en 2016, à la suite de violences – dont 73 au sein du cadre intrafamilial. 124 000 filles et 30 000 garçons sont violés ou agressés sexuellement chaque année – des chiffres que les experts jugent sous-estimés.
Afin de lutter contre ce phénomène inquiétant, le gouvernement a décidé de réagir. La ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, a présenté le mercredi 1er mars le premier plan triennal (2017-2019) et interministériel de mobilisation contre les violences faites aux enfants. Parmi la batterie de mesures présentées, un meilleur recensement des violences faites aux enfants, afin de rendre visibles des faits qui restent souvent confinés à l'ombre ou aux pages des faits divers. « Le côté extrême de ces faits divers est contre-productif, car ils sont à la fois représentatifs du pire et pas représentatifs d'un problème de société de grande ampleur, largement sous-estimé », explique la pédiatre Anne Tursz, directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Promouvoir une éducation sans violence, sensibiliser le grand public, diffuser des outils sur les violences sexuelles, mieux informer les professionnels et les parents, renforcer les liens entre les différentes plateformes téléphoniques de signalement figurent également parmi les mesures proposées. Afin de prévenir l'exposition des mineurs à la pornographie, la ministre propose l'organisation d'une « session de créativité », regroupant pouvoirs publics, producteurs, éditeurs, diffuseurs, fournisseurs d'accès, moteurs de recherche, acteurs associatifs de prévention et de soutien à la parentalité afin de mettre sur pied un groupe de travail d'ici au 15 avril prochain. « Peut mieux faire », répond en substance l'association Ennocence, qui a fait de la protection contre la pornographie sa priorité.
Ennocence : « un axe majeur manque à l'appel : celui du digital »
Dans un communiqué publié le lendemain de l'annonce du plan par Laurence Rossignol, Ennocence « pointe doigt l'absence de propositions (…) allant dans le sens d'une meilleure protection de l'enfance contre l'exposition non-voulue aux images à caractère violent et pornographique ». Et de déplorer « encore une fois l'absence de prise en compte de ce phénomène de société grandissant : celui du visionnage de vidéos en streaming », un « loisir » qui a dépassé, chez les enfants, la pratique d'un instrument de musique ou le dessin.
Le « cri d'alarme » poussé par l'association Ennocence est d'actualité. Un enfant a en moyenne 11 ans lorsqu'il est exposé pour la première fois à du contenu pornographique en ligne. Selon une enquête réalisée pour Le Parisien, 70% des jeunes hommes de 15 à 20 ans et 35% des jeunes filles consultent des sites pornographiques. A 15 ans, 55% des jeunes ont déjà visionné un film classé X, selon une enquête de l'IFOP.
Laurence Rossignol semble avoir pris conscience du phénomène, elle qui déclarait que « l'accès facile à la pornographie » est une « violence faite aux enfants ». Bien que la ministre ait souligné la nécessité de « lutter contre l'industrie pornographique » et « contre l'accès des mineurs et des jeunes à l'image pornographique », la qualifiant « d'avilissante pour l'amour, pour l'égalité femmes-hommes et pour la représentation de la sexualité », l'association Ennocence, dont les membres ont été reçus le 16 février au ministère, rappelle que 14% des 9-16 ans et 36% des 15-16 ans ont surfé sans le vouloir sur des sites pour adultes.
« L'industrie du porno a mis en place une stratégie marketing très féroce en forçant les internautes, via ces sites de streaming, à consulter des images pour adultes sans leur consentement et sans se préoccuper de leur âge », rappelle Gordon Choiseil, président d'Ennocence. Alors que ces contenus rapportent près de 150 millions de dollars par an, les armes pour lutter contre de telles stratégies publicitaires apparaissent encore très insuffisantes. En attendant que les pouvoirs publics s'emparent véritablement du sujet, ce sont les enfants exposés à de telles images qui sont les premières victimes.
« Le porno est un tombeau de l'imaginaire »
L'exposition précoce des enfants et jeunes adolescents à des images pornographiques a des répercussions négatives sur leur développement sexuel. Ces contenus donnent une image faussée et unilatérale de la sexualité et des pratiques sexuelles. Pour le psychiatre Serge Tisseron, « le porno est un tombeau de l'imaginaire et de l'imagination des spectateurs. (…) La pornographie réduit la sexualité à des images stéréotypées qui prétendent rendre compte de l'intégralité de ce qui se passe dans la rencontre amoureuse ».
Si le dialogue entre les jeunes et les adultes reste la base de l'éducation – sexuelle ou générale –, ces derniers sont 55% à reconnaître qu'ils ne maîtrisent pas l'usage que leurs enfants font d'Internet. Autant d'arguments qui plaident pour que les candidats à la présidentielle s'emparent du sujet de ces sites de streaming ou de téléchargement illégaux, et de leurs répercussions sur les plus jeunes.