Une nouvelle mesure dirigiste : la prestation partagée d’éducation de l’enfant

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Par Jacques Bichot Publié le 14 août 2014 à 2h38

Une loi du 4 août "pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes" prépare la pénalisation des couples dans lesquels un seul des deux parents prend un congé parental pour s'occuper du jeune enfant.

L'idéologie et le dirigisme l'emportent ainsi sur l'intérêt de l'enfant et sur le réalisme économique.

La loi n° 2014 – 873 du 4 août 2014 "pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes" comporte un article 8 modifiant les dispositions d'ordre législatif du Code de la sécurité sociale qui instituaient et définissaient le "complément de libre choix d'activité de la prestation d'accueil du jeune enfant". Premièrement, la loi opère un changement de nom : ce qui s'appelait "complément" sera désormais désigné par la formule "prestation partagée d'éducation de l'enfant". Plusieurs dizaines de modifications du code, purement sémantiques, sont ainsi effectuées.
Deuxièmement, la "prestation partagée" sera attribuée pour une durée différente selon que le congé parental sera pris par un seul parent ou, successivement, par les deux ; la durée sera plus courte si un seul parent interrompt ou réduit son activité professionnelle.

Concrètement, l'importance de la discrimination sera précisée par les décrets d'application. D'après ce qui a été annoncé, si l'un seulement des parents réduit ou suspend son activité professionnelle, la prestation sera versée six mois de moins que si les deux le font successivement. Il est probable que la durée sera la même qu'actuellement dans ce dernier cas, si bien que le changement consisterait tout simplement à réduire de six mois la durée de versement de la "prestation" par rapport à celle du "complément" sauf si les couples se plient à la préférence gouvernementale pour un partage du congé entre l'homme et la femme.
Il s'agit donc de sanctionner ceux qui ne se soumettront pas à la volonté arbitraire de la majorité actuelle.
Bel exemple de dirigisme !

Les dispositions dont il faudra bientôt parler au passé préservaient la liberté de choix, comme le laissait entendre leur intitulé ("complément de libre choix d'activité"). Les nouvelles entendent promouvoir une "égalité réelle entre les femmes et les hommes", mais leur résultat sera surtout une réduction des dépenses de la branche famille, car beaucoup de ménages en resteront à la formule qui soulève généralement le moins de difficultés professionnelles : congé pris entièrement par l'homme ou entièrement par la femme. Subsidiairement, elles compliqueront la vie des employeurs.

Il ne faut pas se leurrer : pour un employeur, le congé parental est le plus souvent un problème supplémentaire à résoudre. Remplacer une personne pendant quelques mois, voire quelques années, n'est pas forcément facile, ni pour l'employeur ni pour la personne qui assure ce remplacement – et qui sera donc le plus souvent en CDD. Que deux employeurs au lieu d'un seul aient à faire cet effort, que deux salariés se retrouvent en situation précaire au lieu d'un seul, est-ce une bonne politique de l'emploi ?
Dans les circonstances qui prévalent depuis un certain nombre d'années, ne devrait-on pas faire passer l'attractivité de la fonction d'employeur et l'augmentation du nombre d'emplois en CDI avant les fantasmes idéologiques liés à la théorie du gender ?

Car c'est clairement de cela qu'il s'agit : tout papa devrait être aussi une maman, toute différence entre les sexes étant politiquement incorrecte ! La vision libérale de la société, qui laisse chaque personne et chaque famille faire ses choix de vie sans pression de la part des pouvoirs publics, dès lors que cela ne nuit à personne, et surtout pas à l'enfant, est honnie.
Chaque couple devrait fonctionner de la façon qui a la préférence de la faction politique au pouvoir ! Or il existe des familles très heureuses, où les enfants sont très bien élevés, dans toutes les configurations : double travail parental à temps plein, moyennant un recours important à des "auxiliaires" ; travail d'un seul parent (le père le plus souvent, mais aussi, dans une proportion qui augmente, la mère); et toutes les solutions possibles et imaginables de double travail dont un ou les deux à temps partiel. À chaque couple parental, et non au Parlement et au Gouvernement, de choisir ce qu'il estime le meilleur pour sa famille, compte tenu de sa situation particulière : c'est ce que nous enseigne le sage principe de subsidiarité.

Le manque de réalisme de ce changement fait penser à celui de la disposition d'inspiration généreuse qui donne le droit à tout salarié de donner de ses jours de RTT à un collègue qui doit s'occuper d'un membre de sa famille gravement malade. Que va faire l'entreprise où l'ingénieur du bureau d'études va bénéficier des jours du comptable ou de la secrétaire ? N'importe qui ne peut pas faire n'importe quoi, les travailleurs ne sont pas forcément substituables. Il se peut que, dans son entreprise, Madame Dupont soit très difficilement remplaçable, alors que Monsieur Dupont l'est dans son administration, si bien que Madame reviendra prendre son poste dès la fin du congé de maternité, et que Monsieur prendra un congé parental. Cela peut aussi être l'inverse. Comme il se peut qu'ils soient l'un et l'autre indispensables ou tous les deux assez faciles à remplacer. Il se peut que des grands-parents puissent donner un sérieux coup de main, ou que le couple n'ait pas cette ressource. Bref, la sagesse serait que le législateur et l'autorité réglementaire ne viennent pas, avec leurs gros sabots, piétiner ces délicates plates-bandes où des fleurs d'une incroyable variété s'épanouissent bien mieux si on les laisse un peu tranquilles.

Terminons par les questions de gros sous. Le changement relatif à la prestation d'éducation intéresse le gouvernement parce qu'elle va engendrer des économies au niveau de la branche famille de la sécurité sociale. On s'attend à ce que beaucoup de couples en restent à ce qui est la pratique dominante actuellement : une réduction ou un arrêt du seul travail salarié féminin.

Supposons que seulement 100 000 (sur près de 800 000 naissances annuelles) persévèrent dans la manière de faire politiquement incorrecte : cela ferait économiser chaque année environ 6 mois de prestations de l'ordre de 500 € mensuels, soit 300 millions au total. Il est donc probable que l'objectif de réduction du déficit de la sécurité sociale n'est pas pour rien dans le vote de cet article 8 de la loi du 4 août. "L'égalité réelle entre les femmes et les hommes" serait-elle simplement un cache-misère ? Sans doute pas, mais c'est aussi une de ses dimensions : les familles sont depuis quelque temps la cible privilégiée des économies. Celles-ci sont globalement nécessaires, mais leur répartition devrait être plus conforme à l'intérêt national, et donc moins pénalisante pour ceux qui préparent la France de demain.

Quant aux prélèvements sur les entreprises, pourquoi s'attaquer aux ressources de la Caisse d'allocations familiales au lieu de mettre progressivement fin aux deux anachronismes que sont les versements transport des entreprises (laissons chacun payer son ticket ou son abonnement au juste prix) et leur versement logement (0,45 %, dit improprement "1 % logement").

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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