Pour Loïk Le Floch-Prigent, qui a dirigé tour à tour Rhône-Poulenc, Elf Aquitaine, Gaz de France et la SNCF, la crise énergétique menace comme jamais les entreprises françaises. Le gouvernement français n’a pas pris la mesure du péril économique, contrairement à l’Allemagne par exemple, qui a mis 200 milliards d’euros sur la table pour contenir les prix, et protéger ses PME.
« Énergie : la vraie vérité ! » par Loïk Le Floch-Prigent
En ce qui concerne l’énergie, il faut distinguer plusieurs points pour les entreprises. Tout d’abord celles-ci ont des contrats avec des « fournisseurs » sur le gaz et l’électricité plus ou moins importants selon les machines. Pour la fonderie ou la forge, par exemple, les températures sont très élevées et le prix de l’énergie est significatif au point de les mettre en difficulté parce qu’ils ne peuvent pas négocier aussi vite la répercussion sur leurs prix de vente, surtout lorsqu’il s’agit de collectivités, d’administrations ou d’entreprises publiques ! L’Etat parle d’aides ou de chèques mais ne fait pas le moindre effort pour stabiliser les comptes des entreprises sous-traitantes de leurs propres besoins !
Le bouclier tarifaire allemand pèse 200 milliards d'euros
Dans les PMI et les artisans qui sont les employeurs les plus importants en France, une entreprise sur deux va connaitre des difficultés avant la fin de l’année. Mais aucune ne veut être « aidée » toutes veulent avoir un juste traitement et que l’on se préoccupe d’elles . En Allemagne le gouvernement propose de plafonner l’augmentation du prix de l’électricité à 12% pour les particuliers et à 7% pour les entreprises énergétivores, soit l’essentiel du tissu industriel allemand ! Il débloque 200 milliards d’euros pour y arriver. Dans le même temps les fournisseurs d’électricité en France veulent nous faire passer des contrats sur 3 ans, à partir d’hier à 75 euros le MWH à 300 jusqu’à 600 ! Pour la plupart des PMI et des artisans c’est intenable, cela absorbe la totalité de la marge bénéficiaire.
Tout indique que la totalité des marchés de l’énergie, pour les particuliers comme pour les entreprises, ne fonctionne pas et que ce sont les gouvernements successifs les responsables, en acceptant que les prix demandés aux consommateurs n’aient plus rien à voir avec les coûts de la production et de l’acheminement (transport). Les intermédiaires ont toujours pris des marges, mais lorsqu’il s’agit de multiplier le coût par dix pour arriver au prix, on sait que quelque chose s’est profondément déréglé ! Il ne sert donc à rien de « réformer » un système qui explose aujourd’hui, il faut le remettre à plat en disant simplement que tous les consommateurs doivent connaitre les couts de leur énergie et que l’on doit leur explique comment on arrive du cout au prix dix fois plus important et ainsi supprimer les intermédiaires qui sont les « fournisseurs » d’électricité qui ne produisent pas, ne transportent pas, ne distribuent pas, ne font que spéculer en achetant sur des « marchés artificiels » pour revendre aux meilleures périodes.
Il faut arrêter le fonctionnement actuel du marché de l’électricité et le remplacer par une juste rémunération des acteurs qui feront passer le coût de production à un prix en rapport avec ce coût et ceux du transport et de la distribution. Pour sauver les entreprises c’est la priorité et c’est une urgence, on veut faire signer avant la fin du mois d’octobre à des centaines d’entreprises des contrats à plus de 300 euros le MWH alors que le coût de l’électricité nucléaire nationale, majoritaire dans le mix électrique, est autour de 30 euros !
Énergie : il faut calculer les prix en partant des coûts réels, non de la spéculation
Ensuite le gaz, pour les entreprises énergétivores, est un point de passage obligé. Il a commencé à augmenter il y a deux ans et demi pour que les Américains puissent gagner de l’argent en vendant leur gaz de schiste, le gaz russe a donc gentiment augmenté pendant deux ans avant le conflit actuel ukrainien, ce qui ne réjouissait pas les Allemands dont l’industrie dépendait à 60% du gaz russe.
Le conflit a alors montré, avec les sanctions demandées, que la prospérité allemande dépendait du gaz, mais aussi du pétrole et du charbon russes ! En ce qui concerne notre pays, nous avons les plus grands stocks souterrains de gaz d’Europe, nous l’avons obtenu à un prix raisonnable et nos stocks sont remplis et correspondent à une année pleine de consommation nationale. On nous dit aujourd’hui que nous allons céder notre gaz aux allemands pour que ceux-ci fassent fonctionner leurs centrales électriques à gaz pour nous faire de l’électricité lors des pics de consommation cet hiver ! C’est-à-dire que pour réparer notre manque de courage sur la remise en ordre électrique nous allons nous priver de gaz pour racheter à prix d’or l’électricité allemande lors des pics de consommation.
Ceci n’est pas une solution viable, on ne peut pas mettre à plat notre production industrielle par "solidarité" avec les allemands qui continuent à vouloir fermer leurs centrales nucléaires qui fonctionnent très bien sans aucune solidarité avec nous, par pure idéologie. De nouveau, reprenons en main nos réserves gazières et vendons les aux entreprises (comme aux particuliers) à un prix conforme au coût obtenu des vendeurs !
Enfin les entreprises sont aussi soucieuses de leurs personnels auxquels elles offrent une partie des frais de déplacement. Plus personne dans nos entreprises ne comprend les prix à la pompe pas plus que les pénuries entrainant des émeutes alors qu’on leur dit qu’il y a suffisamment de produits pétroliers dans le pays. Est-ce encore une fois, comme pour les masques d’hier, un problème d’organisation, de logistique, de bureaucratie, de multiplication d’ordres et de contre-ordres ?
Nous savons que les dépôts représentent trois mois de fonctionnement dans notre pays, comment ces outils peuvent-ils se dérégler en une semaine ? Mais surtout ni les chefs d’entreprises ni les consommateurs ne comprennent plus rien à la valse des étiquettes des centres de ravitaillement, il serait temps de mettre de l’ordre et de donner des explications crédibles.